Russie : puissance impérialiste ou « empire non-hégémonique en gestation » ?
Comment caractériser la Russie actuellement, dans le contexte de la guerre en Ukraine et d’un pouvoir poutinien qui s’est installé depuis près de 25 ans ? Michael Pröbsting discute ici les thèses de l’économiste et militant argentin Claudio Katz sur ce sujet, dont nous publierons également très bientôt la réponse.
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Claudio Katz, un professeur progressiste de l’université de Buenos Aires, a publié un essai en quatre parties intitulé « La Russie est-elle une puissance impérialiste ? »[1] Katz est Membre des « Economistas de Izquierda » [Économistes de Gauche] et bien connu non seulement en Argentine mais encore dans toute l’Amérique latine. Sa thèse centrale est que la Russie n’est pas une puissance impérialiste mais plutôt « un pays semi-périphérique harcelé par les États-Unis » et « un empire non hégémonique en gestation ».
Je soutiens qu’un tel point de vue est erroné. Depuis 2001, je défends la thèse selon laquelle la Russie est une puissance impérialiste[2]. Comme je suis l’un des rares défenseurs de la thèse de la Russie impérialiste à laquelle Katz se réfère dans son essai, il m’a paru nécessaire de répondre à sa critique.
Par ailleurs, d’autres raisons plus importantes justifient également une telle entreprise. Pendant de nombreuses années, la discussion sur le caractère impérialiste ou non de la Russie (et de la Chine) a été traitée par la plupart des socialistes comme une question théorique plutôt abstraite. Elle ne suscitait en fait que peu d’intérêt. Le 24 février, date à laquelle Poutine a envahi l’Ukraine, la situation a toutefois changé. Désormais, de nombreuses personnes considèrent que cette question théorique a d’importantes conséquences pratiques pour la stratégie et la tactique politiques des socialistes !
Une discussion critique de l’essai de Katz est ainsi particulièrement importante car son concept ne parvient pas à saisir la dynamique contradictoire essentielle de l’impérialisme aujourd’hui. En outre, il permet objectivement de blanchir l’impérialisme russe et de justifier le refus de défendre les pays opprimés (comme l’Ukraine). Il ne s’agit pas d’une coïncidence, puisque, de fait, presque tous ceux qui nient le caractère impérialiste de la Russie ne défendent pas l’Ukraine contre l’invasion de Poutine !
Nous nous contenterons ici de répondre aux principaux arguments avancés par Claudio Katz. Pour une présentation plus complète de notre compréhension de la théorie marxiste de l’impérialisme ainsi que de notre analyse économique, politique et militaire de l’impérialisme russe, nous renvoyons à la littérature mentionnée dans la note de bas de page ci-dessus.
L’ « ordre mondial unipolaire » : une théorie erronée de l’impérialisme
Le refus de Katz de reconnaître le caractère de classe impérialiste de la Russie est enraciné dans sa théorie erronée de l’impérialisme. Comme on le sait, Lénine a élaboré la théorie marxiste classique de l’impérialisme, qui caractérise ce système comme un stade historique spécifique du capitalisme dans lequel un nombre réduit de monopoles et de grandes puissances dominent et exploitent le reste du monde[3].
Claudio Katz affirme que cette théorie marxiste classique de l’impérialisme n’est plus valide. Il propose plutôt de saisir l’impérialisme comme un système au sein duquel domine un noyau unique (les États-Unis et leurs alliés subordonnés) auquel toutes les autres parties du monde sont liées en tant que périphérie ou semi-périphérie.
« Lors de la guerre de 1914-18, une pluralité de puissances aux forces comparables se sont affrontées dans un cadre très éloigné de l’actuelle suprématie du Pentagone qui s’exerce de façon stratifiée. L’impérialisme contemporain fonctionne autour d’une structure dirigée par les États-Unis et soutenue par des partenaires alter-impériaux et co-impériaux en Europe, en Asie et en Océanie. L’OTAN articule ce conglomérat aux ordres de Washington dans les conflits majeurs qui l’opposent à Moscou et Pékin, ses rivaux non hégémoniques. Aucune de ces deux puissances ne se situe au même niveau que l’impérialisme dominant. Les différences avec la situation du début du 20ème siècle sont considérables »[4].
« L’existence d’un bloc dominant dirigé par les États-Unis est la principale caractéristique du système impérial contemporain. La première puissance mondiale est le représentant principal et le gestionnaire incontesté de l’appareil de coercition internationale qui assure la domination des plus riches. Toute théorisation de l’impérialisme actuel suppose nécessairement par une analyse des États-Unis, qui concentrent toutes les tensions de cet appareil »[5].
Nous pourrions continuer et fournir de nombreuses autres déclarations similaires, mais nous pensons que cela suffit à illustrer la définition que donne Katz de l’impérialisme aujourd’hui. Ce concept est très proche du discours de la « théorie du système-monde» d’Immanuel Wallerstein et d’autres, qui caractérisent l’impérialisme moderne comme un « ordre mondial unipolaire » dominé par les États-Unis. Une analyse similaire est également partagée par de nombreux partis staliniens et bolivariens, ainsi que par des idéologues de l’impérialisme russe et chinois comme le journaliste Pepe Escobar ou le conseiller de longue date de Poutine, Sergey Glazyev[6], qui prônent tous le remplacement d’un tel système impérialiste « unipolaire » par un « ordre mondial multipolaire », dépourvu supposément de tout caractère impérialiste.
Notons au passage qu’en tant que doctrine, un tel concept n’est pas nouveau. Karl Kautsky a élaboré une théorie similaire dès 1914 – la théorie dite de « l’ultra-impérialisme ». Il prétendait que tous les monopoles pouvaient s’unir en un seul cartel et, par conséquent, mettre fin à la rivalité inter-impérialiste entre grandes puissances sans conduire à un remplacement du mode de production capitaliste.
Erronée par le passé, une telle théorie de l’impérialisme l’est encore aujourd’hui. Elle sous-estime massivement les contradictions fondamentales du capitalisme. Le capitalisme est un système politique et économique qui repose sur la propriété privée des moyens de production ainsi que sur les États-nations. Il a toujours été caractérisé par la concurrence entre les capitalistes ainsi que par la rivalité entre les États en général et, en particulier, entre les grandes puissances[7]. Lénine, Boukharine et d’autres théoriciens marxistes ont montré que la concentration du capital a franchi un seuil critique à la fin du 19e siècle conduisant à la transformation du capitalisme en un système dominé par des monopoles liés à quelques grandes puissances. Les marxistes qualifient ce stade du capitalisme d’« impérialisme »[8].
Bien sûr, le système impérialiste mondial a connu divers changements et transformations, comme l’ont souligné de nombreux marxistes au cours des dernières décennies. Mais son essence même – les monopoles et les grandes puissances, ainsi que les contradictions qui les opposent – reste le trait caractéristique du système capitaliste mondial d’aujourd’hui.
Par conséquent, la conception de l’impérialisme de Katz est erronée au niveau de ses hypothèses fondamentales. Il n’existe pas de noyau – dominés par les Etats-Unis ou transnational – de tous les monopoles qui contrôleraient ainsi conjointement l’économie mondiale. Il n’existe pas non plus de noyau – dominés par les Etats-Unis ou transnational – d’États impérialistes qui contrôleraient ainsi conjointement le reste du monde.
De même, une telle théorie sous-estime les contradictions entre les monopoles et les grandes puissances de ce que l’on appelle le noyau dur. Il est vrai que les puissances impérialistes ont été contraintes de collaborer plus étroitement entre elles au cours de la période 1945-1991. Cela s’explique par l’existence d’un bloc massif d’États staliniens dirigé par l’URSS. Dans ce cas, la rivalité systémique entre les puissances impérialistes et les États ouvriers staliniens dégénérés a supplanté ou relativisé dans une certaine mesure les contradictions entre les impérialistes.
Mais, même à cette époque, la rivalité entre grandes puissances existait – il suffit de penser au conflit entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la France lors de la crise dite de Suez en 1956 ou lorsque de Gaulle a décidé de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Quoi qu’il en soit, depuis l’effondrement de l’URSS en 1991 et l’émergence de la Russie et de la Chine comme nouvelles puissances impérialistes, la rivalité entre grandes puissances est redevenue un élément dominant de la politique mondiale.
De fait, depuis un certain temps déjà, Les États-Unis ne sont plus l’hégémon absolu. Comme nous l’avons montré dans nos travaux, dans tous les domaines essentiels de l’économie mondiale capitaliste – dans la production de valeur capitaliste, le commerce mondial, les grands monopoles et les milliardaires, etc. – les États-Unis sont soit concurrencés par la Chine, soit même dépassés. Quoi qu’il en soit, si les États-Unis restent une grande puissance, ils ne dominent plus le monde. (De fait, cela n’a été le cas que pendant une très courte période après 1991 !)
Le déclin de l’impérialisme américain et la montée en puissance de ses rivaux orientaux se sont produits aux niveaux politique, économique et militaire, comme nous l’avons démontré dans nos travaux sur la base d’un large éventail de faits et de chiffres réels. Nous nous contenterons ici d’en fournir une petite sélection. Ces chiffres démontrent que les États-Unis, tout en restant une grande puissance, ne sont plus une force dominante dans l’économie mondiale. (Voir tableaux 1 à 4.)
Tableau 1 : Les 10 premiers pays par part de la production manufacturière mondiale (2018, %)[9].
Chine | 28.4 |
USA | 16.6 |
Japon | 7.2 |
Allemagne | 5.8 |
Corée du Sud | 3.3 |
Inde | 3.0 |
Italie | 2.3 |
France | 1.9 |
UK | 1.8 |
Mexique | 1.5 |
Tableau 2 : Principaux pays par part des exportations mondiales de marchandises (2020, %)[10].
Chine (avec Hong Kong) | 14.7 (17.8) |
USA | 8.1 |
Allemagne | 7.8 |
Pays-Bas | 3.8 |
Japon | 3.6 |
Corée du Sud | 2.9 |
France | 2.8 |
Italie | 2.8 |
Belgique | 2.4 |
Tableau 3 : Top 5 des pays dont les entreprises figurent dans le classement Fortune Global 500 (2020)[11].
Pays | Entreprises | Part (en %) |
Chine (sans Taïwan) | 124 | 24.8% |
USA | 121 | 24.2% |
Japon | 53 | 10.6% |
France | 31 | 6.2% |
Allemagne | 27 | 5.4% |
Tableau 4. La Chine et les États-Unis en tête de la liste des milliardaires mondiaux (2021)[12].
Nombre | Part (en %) | |
Chine | 1 058 | 32,8 |
USA | 696 | 21,6 |
Notons au passage que ces chiffres démontrent que la Chine joue un rôle de premier plan dans l’économie mondiale capitaliste dans tous les secteurs concernés. Cela rend absurde l’affirmation de Katz selon laquelle « le capitalisme [en Chine] est présent mais ne domine pas encore l’économie »[13]. Comment une puissance peut-elle jouer un rôle de premier plan dans l’économie mondiale capitaliste sans être pleinement capitaliste ! Le traitement de cette question dépasserait les limites de cet essai, mais les lecteurs intéressés peuvent se rapporter à nos ouvrages respectifs[14].
L’« empire non hégémonique en gestation » – un concept erroné
Cela nous amène à la nouvelle catégorie – « empire non hégémonique en gestation » – que Claudio Katz invente pour caractériser la Russie en tant que puissance montante.
« La Russie ne fait pas partie de l’impérialisme dominant et n’est pas non plus un partenaire alter-impérial ou co-impérial au sein de ce réseau. Mais elle déploie des politiques de domination par le biais d’une intense activité militaire. Elle est globalement hostile aux États-Unis, mais adopte des comportements oppressifs dans sa sphère d’influence. Comment définir ce profil contradictoire ? Le concept d’empire non hégémonique en gestation synthétise cette multiplicité de caractéristiques. La composante non hégémonique est déterminée par le positionnement du pays par rapport aux centres de pouvoir impérial. Comme la Chine, elle fait l’objet d’un harcèlement systématique de la part de l’OTAN. Ce harcèlement place la Russie en dehors du circuit principal de domination au 21ème siècle. L’élément impérial émerge à l’état embryonnaire. La restauration capitaliste dans une puissance ayant des siècles de pratiques oppressives a déjà été consommée, mais les indices de politiques pleinement impériales restent encore non tout à fait réalisés. Le terme d’empire en formation met en évidence un statut incomplet et, en même temps, congruent avec le retour du capitalisme »[15].
Il est certainement juste de souligner que la Russie est économiquement plus faible que les États-Unis et la Chine. Cependant, Moscou dispose d’une force militaire considérable, d’un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies et d’un rôle clé dans la politique mondiale (voir tableaux 5 et 6).
Tableau 5. Puissances nucléaires mondiales (2020)[16].
Pays | Ogives nucléaires déployées | Autres ogives | Total |
Chine | — | 350 | 350 |
USA | 1800 | 3750 | 5550 |
Russie | 1625 | 4630 | 6255 |
France | 280 | 10 | 290 |
UK | 120 | 105 | 225 |
Tableau 6 : Les 10 principaux exportateurs d’armes dans le monde (2016-20)[17].
Exportateur | Part globale (%) |
USA | 37.0% |
Russie | 20.0% |
France | 8.2% |
Allemagne | 5.5% |
Chine | 5.2% |
Le problème de la catégorie « empire non hégémonique en gestation » provient à la mauvaise compréhension qu’a Katz de la nature de l’impérialisme. Puisqu’il ne considère pas les contradictions entre monopoles et grandes puissances comme des éléments fondamentaux du capitalisme moderne, il ne peut reconnaître comme impérialiste que la puissance dominante de la période historique passée (c’est-à-dire les États-Unis). Toutes les autres ne sont pas impérialistes ou ne le sont que dans la mesure où elles sont alliées aux États-Unis. Par conséquent, les nouvelles grandes puissances – comme la Russie et la Chine – ne peuvent pas être considérées comme impérialistes. Il s’agit d’une logique tautologique.
Cependant, le capitalisme moderne a toujours connu un développement inégal. Par conséquent, les grandes puissances n’ont jamais été égales. Il y a toujours eu des puissances plus fortes et plus faibles. Elles étaient en rivalité les unes avec les autres, créaient des alliances avec certaines, menaçaient d’autres et entraient parfois en guerre – soit pour la conquête de colonies, soit les unes contre les autres. Certaines ont été relativement fortes sur le plan économique mais faibles sur le plan militaire (par exemple, les petits États d’Europe occidentale, l’Allemagne et le Japon après 1945). D’autres étaient relativement fortes sur le plan militaire mais faibles sur le plan économique (par exemple la Russie, l’Autriche-Hongrie avant 1917 et le Japon ou l’Italie avant. 1945).
En outre, ces grandes puissances occupaient des positions très différentes dans la politique mondiale. La Grande-Bretagne et la France possédaient de vastes empires coloniaux. L’Allemagne et les États-Unis n’avaient que des possessions coloniales relativement modestes et l’Autriche-Hongrie n’en avait aucune (si l’on fait abstraction des colonies intérieures). Entre 1919 et 1938, l’Allemagne ne possédait aucune colonie. En fait, de 1933 à 1938, Berlin s’est efforcé de récupérer les territoires allemands qu’elle avait perdus à la suite de sa défaite lors de la Première Guerre mondiale.
Nous avons discuté de ces analogies historiques plus en détail ailleurs et nous nous contenterons donc ici de démontrer cet argument par quelques faits[18] (voir tableaux 7 et 8).
Tableau 7 : PIB par habitant et niveaux d’industrialisation en 1913 relativement aux valeurs pour la Grande-Bretagne[19].
Pays | PIB par habitant relatif | Niveau d’industrialisation relatif |
Grande-Bretagne | 100 | 100 |
France | 81 | 51 |
Allemagne | 77 | 74 |
Autriche | 62 | 29 |
Italie | 52 | 23 |
Espagne | 48 | 19 |
Russie | 29 | 17 |
Tableau 8 : Part des grandes puissances dans la production industrielle, le commerce et l’exportation de capitaux en 1913[20].
Pays | Production industrielle | Part dans le commerce mondial | Investissements à l’étranger |
UK | 14% | 15% | 41% |
USA | 36% | 11% | 8% |
Allemange | 16% | 13% | 13% |
France | 6% | 8% | 20% |
Si l’on accepte la méthodologie de Claudio Katz, on peut se demander quelle grande puissance, selon cette méthodologie, aurait dû être identifiée comme impérialiste avant 1914 et avant 1939 Si l’on suit la théorie de Katz, n’est-il pas évident que les marxistes n’auraient pas dû qualifier la Russie arriérée[21], le Japon ou l’Autriche-Hongrie d’impérialistes à l’époque ? Et l’Allemagne avant 1938/39 n’aurait-elle pas constitué un excellent exemple d’« empire non hégémonique en gestation » ?
Katz affirme que la Russie et la Chine remettent en question les forces dominantes de l’impérialisme (c’est-à-dire les États-Unis et leurs alliés). Mais comme elles n’ont pas remplacé les États-Unis, elles ne sont pas déjà « hégémoniques » et ne peuvent donc pas être considérées comme impérialistes. Mais ce concept est absurde. Il permet en effet de qualifier une puissance d’impérialiste uniquement dans le cas où elle a déjà vaincu de manière décisive la puissance impérialiste hégémonique. Cela signifie que seule la plus forte des grandes puissances – et personne d’autre – peut être considérée comme impérialiste ! On en vient à se demander comment une puissance peut être en mesure de défier sérieusement un hégémon si elle n’est pas déjà impérialiste !
En définissant l’impérialisme comme un système dominé par un seul noyau (les Etats-Unis), Katz méconnaît des caractéristiques essentielles d’un Etat impérialiste. Bien sûr, il est important de reconnaître les changements qui ont eu lieu dans les caractéristiques politiques et économiques du système impérialiste mondial. La plupart des pays qui étaient des colonies dans le passé sont devenus des semi-colonies. Par conséquent, la domination des puissances impérialistes se fait généralement de manière indirecte et, dans certains cas seulement, de manière directe, c’est-à-dire par des moyens militaires. Toutefois, ce qui fait la spécificité des puissances impérialistes demeure : elles dominent l’économie et la politique mondiales et oppriment et exploitent, directement ou indirectement, les autres nations. Dans l’un de ses écrits sur l’impérialisme en 1916, Lénine a résumé sa définition d’un État impérialiste de la manière suivante : « les grandes puissances impérialistes (c’est-à-dire qui oppriment toute une série de peuples étrangers, qui les tiennent ligotés par les entraves de la dépendance à l’égard du capital financier, etc.) »[22].
Sur cette base, nous avons développé dans des travaux antérieurs la définition suivante : un État impérialiste est un État capitaliste dont les monopoles et l’appareil d’État occupent une position dans l’ordre mondial où ils dominent avant tout les autres États et nations. En conséquence, ils tirent des bénéfices supplémentaires et d’autres avantages économiques, politiques et/ou militaires d’une telle relation basée sur la super-exploitation[23] et l’oppression.
L’impérialisme, une politique étrangère agressive et militariste ?
La conception de l’impérialisme de Katz résulte du fait qu’il ne considère pas les monopoles, l’oppression et la surexploitation comme les caractéristiques essentielles de ce système, mais plutôt la politique étrangère agressive et militariste (notons en passant qu’il s’agit là d’une autre similitude avec Karl Kautsky).
« Ce fait décisif est omis dans les élaborations focalisées sur les paramètres de la ‘recette’ de Lénine. La présence d’ingrédients économiques – soulignée dans la formule classique de ce dernier – n’est plus aujourd’hui utile lorsqu’il s’agit de ranger un pays dans le cercle impérial. Pour déterminer ce statut, il faut analyser plus en détail les interventions étrangères, les actions géopolitiques et militaires extérieures et les tensions avec l’appareil de guerre dirigé par les États-Unis. Cette enquête doit privilégier les faits et ne pas se limiter aux seules déclarations à caractère expansionistes. L’impérialisme n’est pas un discours. C’est une politique d’intervention extérieure systématique. En utilisant ce critère, nous avons soutenu que la Chine n’est pas une puissance impérialiste. Dans le cas de la Russie, nous proposons le concept d’empire non hégémonique en gestation ».
« Cette théorie marxiste renouvelée offre la caractérisation la plus cohérente de l’impérialisme du 21e siècle. Elle souligne la prééminence d’un appareil militaire coercitif, dirigé par les États-Unis et rendu cohérent par le biais de l’OTAN, pour assurer la domination de la périphérie et harceler les formations rivales non hégémoniques telles que la Russie et la Chine. Ces puissances ne présentent que des modalités impériales embryonnaires ou limitées et mènent essentiellement des actions défensives »[24].
Cette définition présente plusieurs lacunes. Tout d’abord, elle signifie que les États qui ne mettent pas (ou rarement) en œuvre une politique étrangère agressive et militariste ne peuvent pas être considérés comme impérialistes. Cela exclurait de fait l’Allemagne et le Japon des rangs des puissances impérialistes (sans parler des petits États d’Europe occidentale). La France a-t-elle vraiment effectué plus d’interventions militaires à l’étranger que la Russie au cours de la dernière décennie ?
Par ailleurs, peut-on vraiment soutenir la Russie « mène essentiellement des actions défensives » ? Qu’est-ce que les troupes russes « défendent » exactement en Syrie, en Libye ou au Mali ? Ou au Kazakhstan en janvier 2022 ?
La Russie – un pays semi-périphérique harcelé par l’OTAN ?
Puisque Katz réduit l’impérialisme aux États-Unis et à leurs alliés, il nie le caractère impérialiste de la Russie. En outre, il présente la Russie comme une victime de l’impérialisme qui, soi-disant, se défend essentiellement.
« La Russie est un pays semi-périphérique, situé dans le maillon intermédiaire de la division mondiale du travail.(…) La Russie ne fait pas partie du club des puissances qui commandent le capitalisme mondial. Quelque soit l’indicateur choisi – de niveau de vie, de consommation moyenne ou de taille de la classe moyenne – des écarts structurels subsistent entre elle et les pays développés. Mais la distance avec les économies d’Afrique et d’Europe de l’Est est tout aussi importante. Elle reste dans la semi-périphérie, aussi éloignée de l’Allemagne et de la France que de l’Albanie et du Cambodge. »
« La Russie est harcelée par le Pentagone qui fait preuve ici de la même hardiesse qu’il manifeste à l’égard de tous les pays rejetant ses exigences. Mais les Etats-Unis sont confrontés dans ce cas à un rival qui n’est ni l’Irak ni l’Afghanistan, ni un rival qu’ils peuvent maltraiter comme ils le font en Afrique ou en Amérique latine. La Russie est un pays capitaliste qui a reconstruit son poids international, mais qui, jusqu’à l’incursion en Ukraine, ne présentait pas les caractéristiques générales d’un agresseur impérial ».
« De plus, le système impérial actuel fait face à une gamme d’alliances non hégémoniques – qui prouvent bien l’existence de tendances impériales en gestation en-dehors du noyau impérial dominant. Ce dernier attaque et les formations en construction se défendent. Contrairement au siècle dernier, il n’y a pas de bataille entre des interlocuteurs également offensifs »[25].
En fait, les grandes puissances se « harcèlent » toujours les unes les autres. Il ne fait aucun doute que les États-Unis et leurs alliés ont travaillé dur pour faire reculer la Russie dans ses sphères d’influence traditionnelles. Mais on pourrait également affirmer que la Russie « harcèle » les États-Unis et l’Europe occidentale dans leurs sphères d’influence traditionnelles. Ainsi de l’avancée de Moscou en Syrie, en Libye et dans d’autres pays du Moyen-Orient ; du remplacement des troupes françaises par des Russes au Mali ; des bonnes relations du Kremlin avec le Nicaragua, le Venezuela et Cuba. La catégorie « harcèlement » n’a pas de sens dans une discussion marxiste sur la rivalité entre grandes puissances.
Dans ce contexte, Katz suggère également une sorte de relation supra-historique entre la Russie de Poutine et l’URSS et affirme que la politique étrangère agressive des États-Unis à l’égard de la Russie serait également motivée par cette relation.
« Le caractère impitoyable des positions des États-Unis à l’égard de la Russie s’accompagne d’une touche d’inertie et d’une autre de mémoire historique de l’expérience de l’Union soviétique. Démolir le pays qui a vu naître la première révolution socialiste du XXe siècle est un objectif réactionnaire qui a survécu même après la disparition de l’URSS. (…) L’agression contemporaine contre la Russie comporte des traces de vengeance contre l’Union soviétique »[26].
Il n’est pas nécessaire d’expliquer aux marxistes qu’il existe un fossé entre l’URSS – un État ouvrier déformé basé sur des relations de propriété planifiées – et la Russie impérialiste de Poutine. Les socialistes devaient défendre la première – mais pas la seconde – contre l’OTAN.
Malheureusement, cette déclaration trahit également une tendance réactionnaire consistant à mélanger l’anti-américanisme avec le chauvinisme grand-russe ou panslaviste. Bien sûr, les socialistes ne doivent soutenir aucune des deux parties dans un conflit entre les États-Unis et la Russie. Mais si les États-Unis sortent de ce conflit « démolis » en tant qu’État, nous ne considérerons certainement pas cela comme un événement « réactionnaire ». Il en va de même pour la Russie, d’autant plus qu’il s’agit d’un empire réactionnaire où de nombreuses minorités nationales sont opprimées[27]. En fait, seuls les chauvins grands-russes ainsi que de nombreux staliniens et bolivariens adoptent des positions similaires à celle de Katz.
Notre interprétation critique est également étayée par une autre déclaration honteuse dans l’essai en question :
« la Russie est la cible préférée de l’OTAN. Le Pentagone s’acharne à saper tous les dispositifs de défense de son grand adversaire. Il cherche à désintégrer Moscou et a failli y parvenir à l’époque d’Eltsine. (…) La première étape a été la destruction de la Yougoslavie, avec pour conséquence la conversion d’une ancienne province serbe en la fantomatique (!) république du Kosovo. Cette enclave garde aujourd’hui les couloirs énergétiques des multinationales américaines proches de la Russie »[28].
Cette déclaration est scandaleuse à plusieurs égards. La formulation « la désintégration de Moscou » reflète l’identification de l’État « Fédération de Russie » avec son noyau ethnique russe. La formulation « destruction de la Yougoslavie » suggère que Katz s’oppose au désir d’autodétermination nationale des peuples non serbes. Et, plus scandaleux encore, il qualifie la « fantomatique (!) république du Kosovo » d’« ancienne province serbe ». En tant qu’activiste politique ayant visité la Serbie et le Kosovo à plusieurs reprises pendant les guerres des années 1990, je dois dire qu’il s’agit d’une violation honteuse de la vérité historique et d’une expression vulgaire du chauvinisme réactionnaire de la Grande Russie et de la Grande Serbie. De fait, le Kosovo n’est absolument pas une « ancienne province serbe ». Il a été conquis par le royaume serbe en 1912 contre la volonté de la population albanaise majoritaire. Pendant toute cette période et jusqu’à aujourd’hui, la population albanaise majoritaire n’a jamais voulu faire partie de la Serbie ! Elle n’est une « ancienne province serbe » que dans le monde mystique et fantaisiste du chauvinisme grand-russe et grand-serbe[29].
Des conséquences politiques dangereuses
Il est vrai que Katz exprime des critiques politiques claires à l’encontre du régime de Poutine. Il déclare également qu’il considère l’invasion de l’Ukraine comme injustifiée. Mais il ne faut pas oublier qu’il ne dit pas non plus un seul mot de soutien à la guerre de défense nationale du peuple ukrainien – ce qui est un devoir essentiel pour les socialistes aujourd’hui[30].
Pire encore, s’il ne soutient pas explicitement la Russie, il justifie théoriquement cette position en affirmant que ce n’est pas la Russie, mais plutôt les États-Unis et l’OTAN qui sont les principaux responsables de l’invasion de Poutine !
« Cette approche oublie que le conflit ukrainien n’a pas d’origine économique. Il a été provoqué par les États-Unis, qui se sont arrogé le droit d’encercler la Russie avec des missiles tout en négociant l’adhésion de Kiev à l’OTAN. Moscou a cherché à neutraliser ce harcèlement et Washington a ignoré les revendications légitimes de son adversaire en matière de sécurité »[31].
Dans un autre article sur la guerre d’Ukraine, Katz déclare : « les États-Unis sont à la tête du côté agresseur tandis que la Russie est le côté qui est affecté par le siège des missiles »[32].
Il n’est pas loin de prendre ouvertement le parti de la « victime » de « l’agression de l’OTAN », c’est-à-dire de l’impérialisme russe. Il n’est guère nécessaire de souligner la logique absurde de telles déclarations. Certes, les États-Unis et l’OTAN sont des forces impérialistes réactionnaires. Mais c’est exactement ce genre d’arguments que les Etats-Unis eux-mêmes ont avancés contre l’URSS lorsque celle-ci a installé des missiles à Cuba en 1962. Et dirons-nous que les États-Unis sont une « victime » si la Russie installe des missiles au Venezuela ou au Nicaragua dans les années à venir ? Par ailleurs, un bref coup d’œil sur une carte du monde montre que l’OTAN n’a pas « encerclé » la Russie, mais qu’elle s’est rapprochée des frontières de Moscou à l’Ouest.
Une autre déclaration de Katz qui éveille nos soupçons quant à ses semi-sympathies cachées pour l’impérialisme russe est son évaluation positive du succès électoral du parti stalinien KPRF.
« Mais les résultats prometteurs de la gauche aux dernières élections [NdT : 2021] suscitent l’espoir qu’il y ait de la lumière au bout du tunnel. Le Parti communiste (KPRF) a obtenu son meilleur résultat depuis 1999 et a consolidé sa position de deuxième force à la Chambre des députés. Cette organisation a oscillé entre soutien et critique du gouvernement, mais a commencé à s’ouvrir à des courants radicaux insérés dans les luttes sociales. Ces courants ont intégré des activistes dans leurs listes de candidats, modifiant ainsi le ton de la dernière campagne électorale (Budraitskis, 2021). »[33]
Est-il possible que Katz ne soit pas conscient du fait que le parti de Zyuganov n’est pas du tout « oscillant » et a été au contraire le whip[34] du chauvinisme grand-russe et de ses guerres réactionnaires ! Comment peut-il ne pas avoir appris que le KPRF a soutenu sans réserve l’intervention de 3 000 soldats russes au Kazakhstan en janvier afin d’écraser le soulèvement populaire ? Et Katz ne sait-il vraiment pas que ce parti a soutenu avec enthousiasme l’invasion de Poutine depuis la première minute – il a même présenté le projet de loi crucial à la Douma d’État pour reconnaître officiellement la « République populaire » de Lougansk et de Donetsk qui a servi de prétexte à la guerre ![35]
Il existe même plusieurs partis staliniens (le réseau international autour du KKE grec) qui dénoncent vivement le KPRF pour son soutien au chauvinisme grand-russe ! Mais Katz présente ce parti social-impérialiste comme une « lumière au bout du tunnel » ! C’est inadmissible pour un internationaliste et un anti-impérialiste !
Conclusion
Nous résumerons notre discussion critique de la théorie de l’impérialisme de Katz sous la forme de quelques thèses.
1. A notre avis, Katz a tort de rejeter la théorie de l’impérialisme de Lénine et de la remplacer par une conception influencée par la soi-disant « théorie du système mondial ». Il divise le monde en un noyau (les Etats-Unis et leurs alliés) qui domine le reste du monde (la semi-périphérie et la périphérie).
2. Un tel concept ignore la nature du capitalisme qui repose sur la propriété privée et les États nationaux et qui, par conséquent, se caractérise par la domination du monde par un petit nombre de monopoles capitalistes et de grandes puissances. L’impérialisme n’est pas un noyau unique qui domine le monde, mais un système global qui se caractérise par les contradictions entre les monopoles et les grandes puissances qui dominent et, en même temps, rivalisent entre eux.
3. Le concept de Katz d’« empire non hégémonique en gestation » est théoriquement erroné et son application à la Russie est trompeuse. Son refus de qualifier la Chine d’impérialiste et, plus encore, son affirmation selon laquelle « le capitalisme en Chine est présent mais ne domine pas encore l’économie » n’ont aucun rapport avec la réalité. Il y a toujours eu des grandes puissances plus fortes et plus faibles, plus avancées et plus arriérées, etc. Mais elles doivent toutes être considérées comme impérialistes, et pas seulement la plus forte ! En outre, il faut tenir compte du fait que la Chine a déjà surpassé les États-Unis sur plusieurs niveaux.
4. Nous considérons qu’il est erroné de caractériser l’impérialisme principalement comme une politique étrangère agressive et militariste. Il est plus approprié d’utiliser la définition suivante : un État impérialiste est un État capitaliste dont les monopoles et l’appareil d’État occupent une position dans l’ordre mondial où ils dominent avant tout les autres États et nations. En conséquence, ils tirent des bénéfices supplémentaires et d’autres avantages économiques, politiques et/ou militaires d’une telle relation basée sur la surexploitation et l’oppression.
5. De même, nous rejetons la caractérisation par Katz de la Russie comme un pays semi-périphérique harcelé par l’OTAN. En effet, il présente la Russie comme une victime de l’impérialisme qui ne ferait que se défendre. En fait, les grandes puissances se « harcèlent » toujours les unes les autres. Les socialistes n’ont aucune sympathie pour l’une ou l’autre.
6. La théorie de l’impérialisme de Katz et son concept de la Russie en tant que semi-périphérie et « empire non hégémonique en gestation » ont également des conséquences politiques dangereuses. Bien qu’il exprime des critiques politiques à l’encontre du régime de Poutine, il ne soutient pas l’Ukraine. En fait, il justifie théoriquement son soutien à Moscou en affirmant que ce n’est pas la Russie, mais plutôt les États-Unis et l’OTAN qui sont les principaux responsables de l’invasion de Poutine !
Nous concluons en soulignant que les marxistes considèrent la théorie non pas comme un but en soi, mais comme un guide pour l’action. La condition préalable est que la théorie soit capable d’expliquer la réalité et ses contradictions. La théorie de Katz sur l’ordre mondial unipolaire ne saisit pas la nature de la rivalité inter-impérialiste. Par conséquent, elle est trompeuse car elle ouvre la porte à un blanchiment des impérialismes russe et chinois – les principaux adversaires des puissances occidentales. Traduite dans le langage politique, une telle théorie fournit objectivement une couverture au soutien social-impérialiste, ou du moins une justification, de la politique réactionnaire du Kremlin et de Pékin.
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Michael Pröbsting est un militant politique et un écrivain vivant en Autriche. Il a publié de nombreux écrits en plusieurs langues, dont Rosa Luxemburg – « Ich bin ein Land der unbeschränkten Möglichkeiten » (1999), The Credit Crunch – A Marxist Analysis (2008), et Cuba’s Revolution Sold Out ? (2013). Il a écrit sur la transformation de la Chine en une puissance impérialiste dans son livre The Great Robbery of the South (2013). Une traduction allemande de ce livre a été publiée par Promedia au printemps 2014. Il est l’éditeur du site web The Communists.
Ce texte a d’abord été publié par New Politics. Traduit pour Contretemps par Paul Haupterl.
Notes
[1] Claudio Katz : “¿Es Rusia una potencia imperialista?” [La Russie est-elle une puissance impérialiste ?] Cet essai a été reproduit sur divers sites web. [NdT : l’original en espagnol : Partie I ; Partie II ; Partie III ; Partie IV ; une traduction en anglais : Partie I ; Partie II ; Partie III ; Partie IV ; la traduction de la troisième partie en français. On a essayé de sourcer précisément chacune des citations qui se rapportent à cet essai de Katz].
[2] Pour ma contribution à la théorie marxiste de l’impérialisme (en anglais), je me réfère à deux livres : Anti-Imperialism in the Age of Great Power Rivalry, RCIT Books, Vienne 2019 ; The Great Robbery of the South, 2013. Également : “Great Power Rivalry in the Early Twenty-first Century”, New Politics, Vol. XVIII, No. 3, Whole Number 67, été 2021. Voir ici pour une bibliographie de mes travaux sur l’impérialisme russe.
[3] Voir par exemple V. I. Lénine : “Imperialism and the Split in Socialism” (1916) ; in : Collected Works Vol. 23, pp. 105-106 [NdT : une traduction française est disponible sur l’Internet Marxist Archive].
[4] [NdT : Part III : “In the 1914-18 war, a plurality of powers with comparable forces clashed in a scenario far removed from the current stratified supremacy exercised by the Pentagon. Contemporary imperialism operates around a structure headed by the United States and supported by alter-imperial and co-imperial partners in Europe, Asia and Oceania. NATO articulates this conglomerate under Washington’s orders in major conflicts with its non-hegemonic rivals in Moscow and Beijing. Neither of these two powers are on the same level as the dominant imperialism. Differences with the situation at the beginning of the 20th century are large.”]
[5] Claudio Katz, « The imperial system in crisis« , Links International Journal of Socialist Renewal, 6 juin 2022. Cet essai a été reproduit sur divers sites web.
[6] Voir par exemple « Events Like These Only Happen Once Every Century« , entretien avec Sergey Glazyev, 27 mars 2022 ; Pepe Escobar, « Russia’s Sergey Glazyev introduces the new global financial system« , 14 avril 2022 ; Katharina Bluhm, « Russia’s conservative counter-movement : genesis, actors, and core concepts », in : Katharina Bluhm et Mihai Varga (eds.), New Conservatives in Russia and East Central Europe, Routledge, New York 2019, pp. 25-53.
[7] [NdT : Que « l’accumulation capitaliste est un processus mondial par son contenu mais national par sa forme » est un élément fondamental dans les travaux de l’économiste argentin Iñigo Carrera et ses collaborateur·ices. Voir page 57 dans Iñigo Carrera J., 2013, El capital: razón histórica, sujeto revolucionario y conciencia, Imago Mundi].
[8] [NdT : on peut se référer au récent livre de Benjamin Bürbaumer, tiré de sa thèse de doctorat, qui retrace l’évolution des théories de l’impérialisme, de Boukharine et Lénine jusqu’aux débats actuels : Bürbaumer B., 2020, Le souverain et le marché, Paris, Amsterdam, 214 p.]
[9] Felix Richter : These are the top 10 manufacturing countries in the world, World Economic Forum, 25.2.2020, https://www.weforum.org/agenda/2020/02/countries-manufacturing-trade-exports-economics/ ; la production mesurée sur la base de la valeur ajoutée en dollars américains courants.
[10] Alessandro Nicita et Carlos Razo, « China : The rise of a trade titan« , CNUCED, 27 avril 2021.
[11] Fortune Global 500, août 2020 (notre calcul des parts des pays).
[12] Hurun Global Rich List 2021, 2.3.2021.
[13] Voir Claudio Katz, Deciphering China, Part II [NdT : l’original en espagnol ; sur le même sujet, paru dans la revue Contretemps « La Chine ni puissance impérialiste, ni pays du Sud »].
[14] Pour une bibliographie de mes travaux sur l’impérialisme chinois, voir ici.
[15] [NdT : Part I : “Russia is not part of the dominant imperialism, nor is it an alter-imperial or co-imperial partner within that network. But it carries out policies of domination through intense military activity. It is globally hostile to the United States, but adopts oppressive behaviours within its own radius. How can we define this contradictory profile? The concept of non-hegemonic empire in gestation synthesises this multiplicity of features. The non-hegemonic component is determined by the country’s positioning in terms of the centres of imperial power. Like China, it is the object of systematic harassment by NATO. This harassment places Russia outside the main circuit of domination in the 21st century.”]
[16] [NdT : note de bas de page manquante dans l’original].
[17] Stockholm International Peace Research Institute : SIPRI Yearbook 2021. Armaments, Disarmament and International Security, summary, p. 15.
[18] Voir par exemple les pages 94 à 101 de l’ouvrage susmentionné Anti-Imperialism in the Age of Great Power Rivalry [L’anti-impérialisme à l’ère de la rivalité des grandes puissances]. Voir également Lenin’s Theory of Imperialism and the Rise of Russia as a Great Power, août 2014.
[19] François Crouzet, A History of the European Economy, 1000–2000, University Press of Virginia, 2001, p. 148.
[20] La colonne contenant les chiffres de la production industrielle et du commerce mondial est tirée de Jürgen Kuczynski : Studien zur Geschichte der Weltwirtschaft, Berlin 1952, p. 35 et p. 43. La colonne contenant les chiffres relatifs au commerce des investissements à l’étranger est tirée de Paul Bairoch et Richard Kozul-Wright : Globalization Myths : Some Historical Reflections on Integration, Industrialization and Growth in the World Economy, UNCTAD Discussion Papers No. 113, 1996, p. 12.
[21] [NdT : de fait, dans la Part III de son essai, Katz soutient que ce n’est pas simplement le caractère économiquement – pas de prédominance de l’exportation de capitaux ; pas de primauté des grands monopoles dans l’économie nationale ; pas de prééminence du secteur financier (la Part II est plus spécifiquement consacrée à l’actualisation de la théorie léniniste, développée avec la perspective d’une « abolition imminente du capitalisme », Lénine soutenant que l’impérialisme est « le capitalisme agonisant ») – arriéré de la Russie tsariste qui permettait à Lénine de la qualifier d’« impérialisme féodal-militariste », mais cette arriération économique en conjonction avec le caractère pré-capitaliste de l’économie fondée sur l’exploitation des serfs : « Lenin characterised this structure as a feudal-military imperialism that imprisoned countless peoples. He emphasised the pre-capitalist character of this configuration based on the exploitation of serfs. Any analogies that can be established with that past must take into account the qualitative differences that exist with that social regime. There is no continuity between the feudal structures managed by Ivan the Terrible or Peter the Great and the capitalist system commanded by Putin. This point is important in the face of so many essentialist views that denounce the intrinsic imperial nature of the Eurasian giant. Relying on those prejudice, the Western establishment built all its Cold War legends (Lipatti, 2017). »]
[22] V. I. Lénine, « A Caricature of Marxism and Imperialist Economism » (1916) ; in : Collected Works Vol. 23, p. 34. [NdT : une traduction en français est disponible sur l’Internet Marxist Archive. Il s’agit du texte dans lequel Lénine utilise l’exemple de l’indépendance de la Norvège en 1905 comme preuve que le « droit prétendument irréalisable à la libre disposition », soit l’autodétermination nationale, reste possible dans le cadre du capitalisme. Il faut noter que Lénine est bien conscient qu’indépendance politique ne signifie en aucune façon que les liens de dépendance économique sont dépassés, les anciennes colonies, devenues politiquement autonomes, restant des pays dépendants – pour cela, une rupture avec le capitalisme serait nécessaire.]
[23] [NdT : s’il n’est pas certain que Pröbsting l’utilise en ce sens, le terme renvoie principalement aux théories marxistes de la dépendance développée par Bambara ou encore Marini. Il désigne une situation où les travailleurs ne reçoivent sous forme de salaire qu’une fraction des sommes qui leur serait strictement nécessaires pour reproduire leur force de travail. En d’autres termes, il y a super-exploitation lorsque la valeur d’échange – soit le salaire – de la force de travail est inférieure à sa valeur. Dans Le Capital, Marx suppose à l’inverse implicitement que ces deux grandeurs ne sont, au pire, jamais très éloignées l’une de l’autre sur le court terme, et identiques sur le long terme, faute de quoi la classe des travailleurs dépérirait de ne pouvoir se renouveler adéquatement. Pour une reformulation de ce concept à la lumière des travaux décoloniaux et féministes, on peut consulter Féliz M., 2021, « Notes For a Discussion on Unequal Exchange and the Marxist Theory of Dependency », Historical Materialism, 29, 4, p. 114‑152 ; ou encore Féliz M., Pedrazzi J.P., 2019, « Dependencia, tipo de cambio y valor Revisando la articulación entre la teoría marxista de la dependencia y la teoría marxista del tipo de cambio », REBELA – Revista Brasileira de Estudos Latino-Americanos, 9, 1, p. 48‑71].
[24] Claudio Katz, The imperial system in crisis.
[25] Ibid.
[26] [NdT : Part I, “US ruthlessness against Russia includes one touch of inertia and another of historical memory of the experience of the Soviet Union. The goal of demolishing the country that incubated the first socialist revolution of the 20th century is a reactionary one that has survived even after the disappearance of the USSR (Piqueras, 2022). Despite the categorical pre-eminence of capitalism, the West has not incorporated Russia into its current sphere of operation. ]
[27] [NdT : voir la note 21, pour le passage où Katz présente la façon dont il comprend la caractérisation léniniste de la Russie tsariste comme impérialiste.]
[28] [NdT : Part I “Russia is NATO’s favourite target. The Pentagon is hell bent on undermining all the defensive devices of its great adversary. It seeks the disintegration of Moscow and came close to achieving it in the Yeltsin era, when US banks were probing around for shareholder control of Russian companies (Hudson, 2022). That failed attempt was followed by systematic military pressure. The first step was the destruction of Yugoslavia, with the consequent conversion of an old Serbian province into the ghostly republic of Kosova. This enclave now guards the energy corridors of US multinationals in the vicinity of Russia.”]
[29] Voir à ce sujet, par exemple, Michael Pröbsting, « Stalinists Support Serbian Expansionism against Kosovo Albanians« , 13 déc. 2018.
[30] Voir à ce sujet, par exemple, Michael Pröbsting, « The Fundamental Meaning of the Ukraine War. The current events are a key test for revolutionary strategy in the coming period« , 25 mai 2022.
[31] Part III : « This approach forgets that the Ukrainian conflict did not have an economic origin. It was provoked by the US, which assigned itself the right to encircle Russia with missiles while negotiating Kyiv’s accession to NATO ».
[32] Claudio Katz, Duas confrontações na Ucrânia, 04/03/2022, (notre traduction). [NdT : cette déclaration de Katz est suivie immédiatement par la remarque suivante : « Mais cette asymétrie ne justifie pas par avance les réactions des agressés et n’implique pas que les réactions de Moscou soient invariablement défensives […] La décision d’envahir l’Ukraine, d’assiéger ses grandes villes, de détruire son armée et de changer son gouvernement ne se justifie pas en tant qu’action défensive de la Russie ». L’original en portugais : “os Estados Unidos comandam o lado agressor e a Rússia o campo afetado pelo cerco de mísseis. Mas esta assimetria não justifica qualquer resposta dos agredidos, nem determina o caráter invariavelmente defensivo das reações de Moscou. No campo militar, a validez de cada medida depende de sua proporção. Este parâmetro é essencial para avaliar os conflitos bélico. […] A decisão de invadir a Ucrânia, cercar suas principais cidades, destruir seu exército e mudar seu governo não tem qualquer justificação como ação defensiva da Rússia”.]
[33] [NdT : Part IV “But the promising results of the left in the last elections introduce a quota of hope that there is light at the end of the tunnel. The Communist Party (KPRF) achieved its best result since 1999 and consolidated its position as the second force in the Chamber of Deputies. This organisation has oscillated between supporting and criticising the government, but has started to open up towards radical currents inserted in the social struggle. These currents integrated activists into their lists of candidates, modifying the tone of the last electoral campaign (Budraitskis, 2021).”
Si Pröbsting parle dans le paragraphe suivant de Zyuganov, Katz évoque en fait un entretien d’Ilya Boudraitskis avec Mikhail Lobanov, « professeur de mathématiques à l’Université d’État de Moscou, […] désigné par le KPRF mais [qui] s’est positionné comme un socialiste indépendant » et qui s’inscrit dans la gauche radicale. Budraitskis et Lobanov font partie des opposants russes « internationalistes » à la guerre en Ukraine, contre au moins une partie de la direction « communiste nostalgique » du KPRF.]
[34] [NdT : Il s’agit d’un terme difficilement traduisible dans ce contexte, désignant, dans le système parlementaire britannique, le « député qui est chargé du maintien de la discipline de son parti ».]
[35] Voir par exemple les brochures de Michael Pröbsting, “Putin’s Poodles (Apologies to All Dogs)”, 9 février 2022 ; par le même auteur : “Servants of Two Masters. Stalinism and the New Cold War between Imperialist Great Powers in East and West,” 10 juillet 2021 ; voir également: “‘Socialism’ a la Putin and Zyuganov. On a telling dialogue between the Stalinist party leader and the Russian President,” 13 juillet 2022.[NdT : sur la division au sein du KPRF entre ces « activistes » issus des « courants radicaux » dont parle Katz et la direction du KPRF sur la question de l’Ukraine, voir l’article (payant) de Budraitskis dans Le Monde Diplomatique.]