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Fondé le 21 janvier 1921 le Parti Communiste Italien fut immédiatement confronté à une violente vague de répression, entraînant la mort de centaines de militants. Alors que la police, les élites économiques et même les politiciens libéraux se rangèrent derrière Benito Mussolini, aucun parti ne résista autant à la menace fasciste que les communistes.

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Cent quatre ans après la création du Parti Communiste Italien (PCI), sa naissance reste controversée. Ces dernières années, un torrent de livres et d’articles ont condamné ce « péché originel », accusant les communistes d’avoir divisé la gauche face au fascisme et freiné la progression de la gauche réformiste.

Il est facile de comprendre pourquoi le PCI jette encore une ombre sur la politique italienne. Force principale de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il devint le plus grand parti communiste d’Occident, avec quelque deux millions de membres dans les années 1950. Il resta le principal parti d’opposition jusqu’à sa dissolution en 1991, et nombre de ses anciens membres continuent d’occuper une place centrale au sein du « centre-gauche », bien que la plupart d’entre eux aient évolué vers la social-démocratie libérale.

Compte tenu de ces transformations, les hypothèses révolutionnaires sur lesquelles reposait initialement le PCI sont largement méprisées. Massimo D’Alema, premier communiste italien à avoir accédé à la présidence du Conseil, a déclaré il y a quelques années que le PCI avait « toujours été un parti réformiste ». Il reprenait ainsi un discours dominant au sein du centre-gauche qui rejetait la scission du Parti avec les socialistes en 1921 comme une erreur, tout en érigeant Antonio Gramsci (1891-1937) en figure de « démocrate » réformiste.

Cette lecture trouve ses racines dans l’histoire même du PCI. Avant la Seconde Guerre mondiale, son dirigeant Palmiro Togliatti (1893-1964) le présenta comme une force patriotique défendant un large intérêt populaire, unie par l’antifascisme. Dans ce contexte, la presse en exil attaqua le dirigeant fondateur Amadeo Bordiga (1889-1970), l’accusant de ne pas avoir résisté à la montée initiale de la dictature de Benito Mussolini, tandis que Gramsci, emprisonné et mort en 1937, devint un martyr pour les antifascistes.

Aujourd’hui, ce récit est repris par les médias libéraux sous forme de platitudes sur la nécessité de la modération politique et les dangers d’un gauchisme « dogmatique » incapable de voir qui est le véritable ennemi. Pourtant, ces représentations renseignent rarement sur la lutte que les communistes menèrent contre le fascisme en 1921-22 et, encore moins, sur l’action des sociaux-démocrates réformistes ou de l’establishment politique et économique du pays. Or, cette histoire est essentielle pour comprendre les origines du plus grand Parti Communiste d’Occident.

Ne pas reconnaître le danger

L’Italie de l’après-Première Guerre mondiale était déchirée par des conflits sociaux. Bien que victorieuse, aux côtés de la Grande-Bretagne et de la France, sa propre fortune militaire avait été mitigée et plus de cinq cent mille personnes avaient perdu la vie. La reconversion brutale de l’économie civile écrasa les petites entreprises et laissa des millions de chômeurs, dont beaucoup de jeunes hommes brutalement marqués par la guerre.

En 1919-1920, un vague de militantisme ouvrier marquée par des grèves, des occupations d’usines et des soulèvements ruraux connus sous le nom de « biennio rosso ». Dans plusieurs villes, les ouvriers prirent contrôle de la production et formèrent des « gardes rouges » armées. À Turin, les grévistes réactivèrent les comités d’usine d’avant-guerre, que le journal communiste L’Ordine Nuovo associait aux conseils ouvriers de la révolution russe.

Dirigé par Gramsci, Togliatti, Angelo Tasca (1892-1960) et Umberto Terracini (1900-1986), l’Ordine Nuovo chercha à capter l’énergie du prolétariat turinois, mais aussi à trouver une issue à la crise du Parti Socialiste Italien. Allié au syndicat de la Confédération Générale du Travail (CGL), ce parti était profondément enraciné dans le mouvement ouvrier et paysan, les coopératives, mais restait largement un patchwork de groupes locaux dirigés par une fraction parlementaire, dépourvus de toute stratégie globale.

Lors des élections générales de novembre 1919, le PSI obtint 32 % des voix, devenant pour la première fois le plus grand parti d’Italie. Mais alors que des réformistes comme Filippo Turati (1857-1932) cherchaient à influencer les gouvernements libéraux (le moyen par lequel le suffrage universel masculin avait été accordé en 1912), le programme électoral du PSI était un « vote pour le socialisme » abstrait plutôt qu’un ensemble de mesures spécifiques. L’appel lancé au parlement pour qu’il décrète la création de soviets locaux en est un exemple typique.

Cette situation – une menace révolutionnaire croissante, sans résultat concret – a servi de base à la montée du fascisme. Sa base sociale initiale se situait dans les classes moyennes sous pression, mais les dirigeants étaient souvent d’origine plus professionnelle, allant des fonctionnaires militaires aux étudiants. Bien qu’il s’agisse d’une force électoralement insignifiante, les Chemises noires constituèrent rapidement une force armée redoutable en tant que bras armés des propriétaires terriens et des industriels pour briser le mouvement ouvrier.

Jusqu’à l’automne 1921, les fascistes n’avait pas de parti centralisé. Mais sur le plan militaire, ils coordonnaient efficacement leurs forces, ses milices armées se déplaçant de ville en ville pour écraser les opposants isolés. Alors même que le PSI atteignait sa plus grande popularité électorale – en remportant 2 162 des 8 059 municipalités en novembre 1920, dont Milan, Bologne, Vérone et Vicence – sa réponse au fascisme restait désorganisée.

Le cas d’Ennio Gnudi (1893-1949), un jeune cheminot de 27 ans élu maire de Bologne, est frappant. Lorsqu’il monta au balcon pour saluer la foule, le 21 novembre 1920, des coups de feu éclatèrent, les escouades fascistes attaquant les partisans de Gnudi. La police et la garde royale ouvrirent également le feu et dix socialistes et un conseiller nationaliste furent tués. Gnudi fut destitué au bout d’une heure de mandat et l’État central lui imposa un commissaire non élu. Il fut ensuite élu député communiste.

Les paramilitaires fascistes avaient déjà établi des liens étroits avec les « forces de l’ordre » de l’État. Le 21 juillet 1920, leurs escouades avaient détruit les bureaux du journal Avanti ! du Parti Socialiste Italien à Rome, et lorsqu’elles attaquèrent son siège à Turin deux mois plus tard, Avanti ! rapporta que les attaquants étaient pour la plupart des gardes royaux, dirigés par un sergent, ainsi que d’autres personnes en civil. Les officiers de la police et de l’armée ne fermèrent pas seulement les yeux sur les attaques fascistes, ils les coordonnèrent activement.

Pourtant, dans un climat de « peur rouge » dans la presse libérale et conservatrice, les socialistes furent constamment accusés de préparer un coup d’État armé. Les « recherches d’armes » étaient un prétexte courant pour les fascistes armés de saccager les bureaux des coopératives et des syndicats, alors qu’ils s’efforçaient de détruire l’infrastructure du mouvement ouvrier dans les noyaux socialistes comme l’Émilie-Romagne. La presse du PSI réagit mollement, appelant les membres à ne pas se laisser « provoquer ».

En effet, lorsque la scission PCI-PSI fut consommée en janvier 1921, le PSI continua d’insister sur le fait qu’il s’agissait d’une ligne de démarcation entre les partis. Le 22 mai 1921, Avanti ! publia un article intitulé « Ne résistez pas », célébrant l’histoire du Christ et exhortant les socialistes à « tendre l’autre joue ». Insistant sur le fait que le succès des socialistes devait reposer sur l’éducation et le travail pacifique de construction d’associations, et non sur le fait de « forcer les choses » en prenant les armes, Turati déclara que si le rejet de la violence était lâche, « nous devrions être assez courageux pour être lâches ».

La scission communiste

La destitution du maire de Bologne ne fut qu’un exemple parmi d’autres de l’assaut meurtrier des fascistes contre les administrations socialistes et les structures du mouvement ouvrier dans toute l’Italie. Le congrès national du PSI, qui se tint dans cette ville en octobre 1919, déclara son soutien à l’Internationale Communiste. Mais le PSI n’était pas un parti bolchevique centralisé et le principal interlocuteur du Komintern en Italie, Giacinto Serrati (1872-1926), restait attaché à son alliance de réformistes et de révolutionnaires.

Jusqu’au deuxième congrès du Komintern à Moscou en juillet-août 1920, les dirigeants russes furent peu informés des événements en Italie et s’en remirent aux idées de Serrati. Mais la crise du PSI, incapable de faire face au conflit social dramatique, encouragea les groupes communistes locaux à chercher des alliés à l’étranger. Les plus notables furent l ‘Ordine Nuovo de Turin et Il Soviet de Naples, autour de Bordiga, qui se rendit à Moscou pour le Deuxième Congrès de sa propre initiative.

Si l’internationalisme proclamé du PSI était souvent romantique, certains militants comprenaient mieux la guerre civile qui menaçait d’atteindre également l’Italie. Francesco Misiano (1884-1936), collaborateur d’Il Soviet, passa dix mois dans une prison berlinoise en 1919 après avoir participé au soulèvement Spartakiste. Devenu député en novembre 1919, il insista, lors d’une réunion du Conseil National du PSI en avril 1920, sur la nécessité de se concentrer sur la préparation militaire et la défense active contre le fascisme.

Cet été-là, les divisions au sein du parti s’accentuèrent. La question de l’expulsion des réformistes était particulièrement décisive. C’était une condition posée par le Deuxième Congrès du Komintern, mais rejetée par les « Unitari » de Serrati, qui refusèrent de rompre avec le gros du groupe parlementaire du PSI. La Fraction abstentionniste-communiste de Bordiga s’opposait à la participation électorale en général, bien que ses réunions aient également intégré ceux (comme Francesco Misiano (1884-1936) et Gramsci) qui voulaient expulser les réformistes mais utiliser les élections à des fins de propagande.

Lorsque la scission intervint en janvier 1921, il était trop tard : les grands mouvements de classe de 1919-20 s’étaient essoufflés, les révolutions en Allemagne et en Hongrie aveint déjà été vaincues et les fascistes, de plus en plus puissants, formèrent des listes électorales communes avec les libéraux et les conservateurs (les Blocs Nationaux des élections locales de novembre 1920). Mais le Parti Communiste naissant insistait aussi sur le fait qu’il était né de la nécessité de construire une organisation centralisée – « et de s’engager sur le même terrain que celui sur lequel la bourgeoisie se bat aujourd’hui ».

Vers l’illégalité

Le nouveau parti – construit autour de la Fraction de Bordiga, du groupe l’Ordine Nuovo de Turin et des courants qui défendaient des idées « maximalistes » plus anciennes – partait d’une position de faiblesse. Il ne s’empara pas de l’appareil du vieux parti ni des principaux organes de presse, comme l’avait fait son parti frère français en décembre 1920, mais il prit le contrôle de journaux locaux tels que Il Lavoratore à Trieste, un centre majeur de l’organisation communiste grâce à son importante population de langue serbo-croate. Il conservait également un petit nombre de conseils locaux et de députés.

Les cinquante-neuf mille votes en faveur de la résolution communiste à Livourne ne se traduisirent pas par autant de membres ; les attaques des Chemises noires ne firent que s’intensifier et, dans les petits centres, de nouvelles branches durent souvent être créées de toutes pièces. Le PCI gagna en bloc la jeunesse socialiste et, malgré son manque de leadership syndical, il était presque entièrement composé d’ouvriers. Une enquête sur les « intellectuels, enseignants, conférenciers et avocats » dans ses rangs, un an après sa création, révéla que ces professions ne représentaient que deux cents de ses quarante-cinq mille membres.

Reconnu comme le principal dirigeant du Parti, Bordiga était souvent en minorité au sein de sa direction composite. Malgré ses objections fermes à tout travail électoral, critiquées par La maladie infantile du communisme de Lénine, le parti participa aux élections générales de mai 1921. Plusieurs branches proclamèrent publiquement qu’elles ne se présentaient que par obéissance aux instructions du Komintern, ou trouvèrent des prétextes pour ne pas se présenter.

Pourtant, un problème central pour le parti naissant était la nécessité de se mobiliser contre la violence fasciste. À Florence, le 26 février, les squadristi (Chemises noires) fascistes détruisirent les bureaux du journal socialiste La Difesa et, le lendemain, ils assassinèrent Spartaco Lavagnini (1897-1921), rédacteur en chef de l’organe des communistes dans cette ville, l’Azione Comunista. Ces attaques meurtrières déclenchèrent une grève des chemins de fer et plusieurs jours de rébellion populaire, au cours desquels les fascistes, encadrés par la police, détruisirent également les principaux bureaux syndicaux de la ville.

La combinaison des paramilitaires et des « forces de l’ordre » alimenta le sentiment du PCI d’une offensive bourgeoise unie, d’autant plus que les Blocs Nationaux réunissaient les fascistes avec les libéraux et les conservateurs, même au moment des élections. Pour Bordiga, la société se durcit en deux camps – les communistes contre la contre-révolution, y compris les sociaux-démocrates. Cependant, cette attitude tendait à négliger la possibilité que les fascistes écrasent également les formes de démocratie bourgeoise, au lieu de servir simplement d’instrument de la réaction capitaliste.

Pourtant, face à l’offensive anticommuniste pressante, le PCI n’était guère passif. En effet, le PCI était le seul parti à avoir combattu les forces de la rue de Mussolini de manière cohérente, malgré son manque de moyens. Créé au printemps 1921, son Ufficio I (Bureau du travail illégal), dirigé par Bruno Fortichiari (1892-1981), mit en place une organisation clandestine dans toute l’Italie. Elle forma ses membres aux techniques militaires et leur fit parvenir des milliers de bombes et de fusils, souvent récupérés au lendemain des révolutions en Hongrie et en Allemagne.

Pour Bordiga, mais aussi pour d’autres dirigeants comme Togliatti (1893-1964) et Terracini, le point décisif de ce travail était de défendre l’organisation même du Parti : étant donné leur perspective catastrophiste de la révolution (et les désastres très réels qui se produisaient), ils ne mettaient pas l’accent sur la défense des droits et des institutions démocratiques dans l’abstrait. Au contraire, ils imaginaient que les structures politiques existantes allaient perdurer précisément à cause de la violence anticommuniste, les libéraux bourgeois ayant intégré Mussolini dans les institutions parlementaires.

Arditi del Popolo

Cette illusion était répandue dans presque toutes les forces politiques. En juillet 1921, le premier ministre libéral Ivanoe Bonomi (1873-1951) exclut les communistes des forces armées, mais pas les fascistes, ce qui conduisit Gramsci à le qualifier de « principal organisateur du fascisme italien ». Quatre semaines plus tard, Bonomi négocia un « Pacte de Pacification » entre les socialistes et les fascistes, promettant la fin de la guerre civile latente. Mais les dirigeants fascistes locaux du centre et du nord de l’Italie ayant immédiatement rejeté le pacte, celui-ci ne servit qu’à désarmer les socialistes.

Le Pacte joua un rôle important en distançant les socialistes des Arditi del Popolo (AdP), une organisation de défense antifasciste sans parti qui était née de « formations de défense prolétariennes » antérieures au cours du premier semestre de l’année 1921. Bordiga, en particulier, désavoua les Arditi del Popolo. Attaquant ses dirigeants anarchistes et républicains, il insista sur le fait que les militants ne pouvaient obéir qu’à un seul commandement, celui du PCI. Pourtant, dans les grandes villes, les membres du PCI rejoignirent souvent les Arditi del Popolo en tant que force distincte, voire faisant fi des instructions du Parti et y jouèrent un rôle de premier plan (comme à Rome).

Les Arditi del popolo étaient l’expression la plus importante de l’antifascisme militant au cours de cette période : sa défense de Parme pendant une semaine contre dix mille squadristi en août 1922, à un moment où la domination des Chemises noires était presque totale dans toute l’Italie, fut la plus grande bataille rangée de la période. Elle était due en particulier au leadership de Guido Picelli (1889-1937), un socialiste dissident élu député avec le soutien tacite des communistes locaux en mai 1921. Il rejoindra lui-même le PCI après l’accession des fascistes au pouvoir.

Les impulsions sectaires n’étaient pas une simple imposition « russe ». Les responsables du Komintern critiquèrent l’incapacité du PCI à prendre la tête de la formation des Arditi del popolo et l’invitèrent à rechercher des fronts unis avec les socialistes. Mais pour Bordiga, cela risquait de brouiller les lignes politiques de la toute récente scission de Livourne. Le PSI était, en tout cas, un allié peu fiable : une « grève légale » appelée par les deux partis à partir du 31 juillet 1922 fut unilatéralement annulée par les réformistes au premier signe de contre-attaque fasciste, laissant isolées les instances locales de résistance armée.

Lorsque les Chemises noires marchèrent sur Rome à la fin du mois d’octobre 1922, l’apparent « coup d’État » ne fut qu’un coup de théâtre : Mussolini arriva le plus tranquillement du monde, dans un wagon-lit, et le roi le nomma Premier ministre sans aucune résistance de la part de l’État. Le dirigeant de l’Ufficio I, Bruno Fortichiari (1892-1981) demanda à ses cadres communistes locaux de se préparer à une intervention armée, si des combats devaient éclater entre les paramilitaires fascistes et les propres « forces de l’ordre » de l’État – mais cette autodéfense des institutions libérales n’eut jamais lieu.

Après 1922

Le PCI proclama sa mission révolutionnaire à une époque où les partis communistes battaient en retraite dans toute l’Europe et où le fascisme montait à l’intérieur du pays. Pourtant, le parti qui contribua le plus à la lutte contre les Chemises noires peut difficilement être accusé de n’avoir fait qu’émettre une rhétorique militante. Comme le décrit l’historien Luigi Cortesi (1929-2009), l’esprit « classe contre classe » de la scission de Livourne tendait à réduire tous les réactionnaires capitalistes et fascistes à un seul adversaire – mais face à la violente offensive de la classe dirigeante, les preuves ne manquaient pas pour confirmer ce point de vue.

Les discussions contemporaines sur le fascisme suggèrent souvent qu’il s’agit d’un danger qui nous guette lentement. Pourtant, nous ne devrions pas excuser aussi facilement ceux qui ont aidé les premiers fascistes à prendre le pouvoir. À l’automne 1922, quatre anciens premiers ministres libéraux votèrent en faveur du premier gouvernement de Mussolini, alors qu’ils avaient vu les fascistes assassiner des centaines de militants ouvriers et incendier des mairies gérées par les socialistes dans toute l’Italie. Le fascisme avait de nombreux autres crimes en réserve, mais il était déjà parfaitement clair de quoi il était capable.

Nommé Premier ministre à la tête d’un Bloc National réunissant libéraux et conservateurs, Mussolini lança une nouvelle offensive contre les communistes, avec plus d’un millier d’arrestations en février 1923 qui brisèrent une grande partie de l’organisation de l’Ufficio I. Ce n’est qu’en juin 1924, avec l’assassinat du député socialiste réformateur Giacomo Matteotti (1885-1924), que les autres partis démocratiques adoptèrent une position ferme contre le durcissement du régime, en boycottant le parlement et créant un bloc antifasciste connu sous le nom de Sécession de l’Aventin.

Leur antifascisme n’apparut qu’après que le mouvement ouvrier eut été neutralisé et que des milliers de personnes eurent été contraintes à l’exil. Pourtant, les communistes pouvaient s’enorgueillir d’un véritable bilan de la mobilisation contre les fascistes. Alliés à une foi révolutionnaire en l’avenir, les combats qu’ils menèrent dans les années 1920 les aidèrent à entretenir la flamme de la résistance au cours des décennies suivantes. Dans de nombreux cas, leur isolement au sein de la société fasciste renforça leur intransigeance à l’égard de la guerre des classes – une politique que Togliatti s’efforça de briser pendant le Frontisme populaire de la Seconde Guerre mondiale.

Le Parti qui réapparut en 1943 était très différent de celui de 1921. Rejetant le « séparatisme de classe », il allait devenir une véritable force de masse, avec une base sociale beaucoup plus diversifiée et des objectifs moins clairement révolutionnaires. Alors que la classe dirigeante italienne se débarrasse de Mussolini face à l’invasion étatsunienne, le PCI se fit une place dans les limites de la démocratie parlementaire. Ce n’était plus le Parti de Livourne, mais il n’aurait pas pu exister non plus sans les batailles que le Parti avait menées face à la première montée du fascisme.

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David Broder est rédacteur pour l’Europe à la revue Jacobin et historien du communisme français et italien. 

Article publié initialement dans Jacobin. Traduit de l’anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

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