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Raji Sourani est avocat, fondateur (en 1995) et actuel directeur exécutif du Centre palestinien pour les droits humains (PCHR). Détenu entre 1979 et 1982 dans les geôles israéliennes pour son appartenance au Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), il a également été incarcéré à trois reprises en 1985 et 1986, puis placé en détention administrative en 1988. En 1991, il a reçu le prix Robert F. Kennedy pour les droits humains. Il est un ancien prisonnier d’opinion d’Amnesty International en raison de sa critique des violations des droits humains par l’Autorité palestinienne. 

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Une fois de plus, j’ai été secouru d’une maison détruite. La première fois que cela s’est produit, une bombe a frappé la maison de ma famille à Tel al Hawa, un quartier de classes moyennes de la ville de Gaza. J’étais avec ma femme Amal et mon fils adulte. En réponse aux bombardements voisins qui secouaient violemment notre maison, Basal nous a demandé de rester cachés dans un couloir, afin de s’assurer que nous resterions ensemble en cas d’attaque directe. Une bombe a frappé à proximité, détruisant une grande partie de la maison familiale et le petit mais magnifique jardin que je chérissais à l’extérieur. Après cela, nous avons déménagé dans une autre maison, plus proche du centre de la ville de Gaza, mais elle a également succombé aux bombardements incessants.

Je n’ai jamais rien connu de tel que ces bombardements. Les Israéliens utilisent les frappes aériennes des F-16, des canonnières, des hélicoptères Apache et des F-35 pour instiller la terreur dans l’esprit et le cœur de la population, pour faire croire que la seule option qui nous reste est de perdre notre vie et celle de nos proches. Je suis particulièrement inquiet pour ma famille, car je crains que les défenseurs des droits humains ne soient pris pour cible, tout comme l’ont été les journalistes.

Depuis trois heures, la maison ne cesse de trembler et je ne peux m’empêcher d’imaginer la prochaine bombe qui frappera cette maison. Cela fait cinq jours que nous ne dormons pas à cause des bombardements. Pendant la journée, j’essaie de me promener dans la ville. Les destructions sont incroyables. Je n’en crois pas mes yeux : des familles entières sont décimées, des abris sont réduits à l’état de ruines, des immeubles résidentiels autrefois imposants ont disparu, des mosquées, des églises, des ambulances, des journalistes, des boulangeries, des marchés et des écoles de l’Office de secours des Nations unies pour lesréfugié.es de Palestine (UNRWA) ont été détruits.

Nous avons essayé de nous déplacer vers le sud, vers la zone dite de sécurité. En convoi, nous avons longé la route côtière en brandissant des drapeaux blancs. La route était bordée de nombreux cadavres et de véhicules calcinés. Après seulement cinq minutes de route, nous avons essuyé des tirs.

Les bombardements israéliens visent les boulangeries, qui constituent la principale source de nourriture pour les habitants de la région. De nombreux supermarchés, restaurants et boulangeries dépendent de panneaux solaires, qui sont également visés et détruits. Par conséquent, les restaurants qui préparent des plats préparés n’ont pas d’électricité, ce qui les empêche de préparer ou de vendre de la nourriture. Nos réserves alimentaires limitées, comme le thon en conserve, auront bientôt disparu.

À l’hôpital et dans toute la région, de nombreuses personnes sont victimes de crises cardiaques, et les patient.es souffrant de maladies rénales ne peuvent accéder à la dialyse, si bien qu’ils et elles meurent à la maison. L’Hôpital Turc contre le Cancer (l’Hôpital de l’Amitié Turco-palestinienne) a été pris pour cible et bombardé.

Les bombes frappent des endroits fortement peuplés de civils. Nous savons que 70 % des morts sont des femmes et des enfants. Les quartiers et les camps tels que Jabaliya, Shujaiya, Nuseirat et Bureij sont tous des zones civiles.

Il est incroyable que la plus grande puissance du Moyen-Orient, dotée des armes les plus sophistiquées, prenne délibérément pour cible des civils et que personne ne s’élève contre cela. Le monde tolère un état d’anomie alors que ce que nous souhaitons vraiment, c’est un monde régi par le droit.

En tant que civils palestinien.nes, nous comptons sur la Cour pénale internationale (CPI) pour nous protéger. La société civile palestinienne a consacré de nombreuses années à plaider pour que la Cour prenne des mesures à l’encontre d’Israël. Malgré l’occupation la plus longue de l’histoire, la saisine de la Cour est restée impossible. Même après plus de dix ans de requêtes, ce n’est qu’en 2021 que le procureur de la CPI a décidé d’enquêter sur les crimes de guerre commis par Israël après 2014. Avant le mois d’octobre de cette année, aucun acte d’accusation n’avait été émis et aucun individu n’avait été jugé malgré la perte de milliers de vies humaines et la destruction de biens civils.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous comptons sur la Cour pour garantir que les crimes de guerre d’Israël contre les civils palestiniens ne restent pas impunis. Lors d’un discours prononcé au Caire la semaine dernière, le procureur de la CPI a promis que les enfants de Gaza ne seraient pas oubliés. Nous, les civils, avons besoin de toute urgence qu’il tienne cette promesse.

Nous comptons également sur les pays occidentaux pour soutenir les normes qu’ils ont établies après la Seconde Guerre mondiale pour protéger les civils. Leur complicité dans la création d’une culture d’impunité pour Israël est honteuse. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne mettent de côté les règles du droit humanitaire international. Après trente ans d’accords d’Oslo, il n’est pratiquement plus question de paix, de solution à deux États ou de fin de l’occupation et du blocus. Au lieu de cela, la communauté internationale semble approuver toutes les actions d’Israël en matière d’apartheid, de siège et de crimes de guerre.

Il semble que la stratégie israélienne consiste à pousser 2,4 millions d’entre nous hors de Gaza et dans le Sinaï. Si cela se produit, la Cisjordanie et Jérusalem-Est occupée pourraient être la prochaine étape, et le projet sioniste sera achevé.

Mais nous sommes des êtres humains – nous sommes le peuple de Palestine. Nous méritons la dignité. Nous méritons la justice et la liberté. Nous croyons que nous sommes du bon côté de l’histoire et que nous sommes les pierres de la vallée. Malgré l’immensité des défis auxquels nous sommes confrontés, les gens d’ici n’abandonnent pas.

En tant que révolutionnaires pleins d’espoir, nous nous engageons à préserver notre optimisme stratégique.

Le soutien de millions de personnes qui défendent les valeurs de l’État de droit et la dignité de tous nous renforce.

Je vous demande à tous de continuer à travailler pour briser la conspiration du silence. Nous vaincrons.

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