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Dans cet article, Ugo Palheta interroge le récit politique et médiatique des dernières semaines à propos d’une supposée « ultra-droite » qui serait l’équivalent – à droite du champ politique – de ce que la police nomme « ultra-gauche ».

Il insiste au contraire sur la communauté de vision du monde de l’ensemble de l’extrême droite, entre ses branches institutionnelles (le RN mais aussi Reconquête), qui visent la conquête du pouvoir par les urnes, et les différentes mouvances extra-parlementaires, qui cherchent à intimider les militant·es de l’émancipation dans la rue et réalisent également un travail idéologique et de formation de cadres, toutes choses qui servent pour l’essentiel les desseins du RN.

Pour affronter ces extrêmes droites, la gauche sociale et politique doit parvenir à intensifier et combiner l’autodéfense (populaire, féministe, antiraciste), la bataille des idées (sur tous les terrains où les obsessions néofascistes et réactionnaires s’insinuent) et la construction d’une alternative politique, articulant unité et radicalité, sans laquelle on ne parviendra pas à enrayer durablement la montée en puissance du néofascisme.

Ce texte est une version écrite et légèrement approfondi d’un épisode du podcast d’Ugo Palheta : Minuit dans le siècle, disponible sur Spectre et toutes les plateformes d’écoute de podact.

L’extrême droite au cours des derniers mois 

On a vu une forte médiatisation ces dernières semaines de défilés de militants néonazis, royalistes et ultra-réactionnaires. La marche du 6 mai à Paris a fait couler beaucoup d’encre parce qu’on y voyait parader plusieurs centaines de personnes, sans doute autour de 450, essentiellement des jeunes hommes, cagoulés pour un bon nombre d’entre eux et arborant tous les signes d’appartenance à la mouvance dite « nationaliste-révolutionnaire », c’est-à-dire néo-nazie. Il paraît évident que les extrêmes droites de rue s’agitent particulièrement depuis quelques mois dans un certain nombre de villes, non pas simplement Paris ou Lyon mais aussi des villes moyennes : Annecy, où l’on a vu il y a quelques jours une marche aux flambeaux de militants néonazis, mais aussi Clermont-Ferrand, Angers, Poitiers, etc. 

Il faut se souvenir par ailleurs qu’en décembre dernier, lors de la Coupe du monde de football, les groupes informels appartenant à cette mouvance dans plusieurs villes de France s’étaient manifestement coordonnés pour attaquer physiquement des supporters marocains ou plus largement issus de l’immigration maghrébine, le soir du match France-Maroc, s’en félicitant ensuite sur le compte Telegram Ouest Casual (où la mouvance néonazie revendique ses actes et exhibe ses trophées). D’ailleurs, trois hommes – dont deux militaires – ont récemment été condamnés pour ce qui était apparu comme une forme de lynchage, justement à Annecy, contre de très jeunes supporteurs. A leur domicile avaient pu être retrouvés des armes, des munitions et des objets renvoyant à l’Allemagne nazie : deux exemplaires de « Mein Kampf », une bague aux initiales de l’organisation SS et une carte bancaire au nom d’Adolf Hitler. 

Cela ne signifie pas nécessairement que ces bandes néonazies grossissent, et encore moins que le nombre de militants néofascistes serait en train d’exploser. Il est plus probable que leur nombre soit stable, autour de 2-3000 (auxquels il faut ajouter quelques milliers de sympathisants), mais que ces groupes cherchent actuellement à se rendre plus visibles. Dans une optique de confrontation physique et symbolique avec la gauche sociale et politique, ils veulent montrer qu’ils sont capables eux-aussi de prendre la rue, de l’occuper, après plusieurs mois d’une contestation sociale exceptionnelle, qui a bousculé le pouvoir politique et qui a mis en action les travailleurs·ses et leurs syndicats, la jeunesse et les organisations lycéennes et étudiantes, le mouvement féministe, les partis de gauche, les collectifs antifascistes, autrement dit tout ce qui est précisément honni par l’ensemble des extrêmes droites, parlementaires ou extraparlementaires. 

Cette séquence a d’ailleurs rappelé une fois encore que, même lorsque l’extrême droite prétend s’opposer au gouvernement, même lorsqu’elle affirme incarner ou représenter le « peuple », elle n’est jamais dans le camp et aux côtés des classes populaires quand il s’agit d’affronter réellement le pouvoir capitaliste en général et l’offensive néolibérale en particulier, celle qui depuis des décennies dégrade les conditions de travail et de vie des salariés. Pour ce qui est du FN devenu RN, c’est-à-dire la branche institutionnelle de l’extrême droite, il ne s’est opposé que verbalement au projet macroniste ; il n’a mené aucune véritable bataille à l’Assemblée nationale (allant jusqu’à déposer moins d’amendements que les macronistes eux-mêmes). Surtout, le FN/RN n’a jamais soutenu le mouvement de grève, s’opposant explicitement à la perspective de bloquer l’économie pour empêcher la contre-réforme. Et pour cause : le FN/RN est radicalement hostile au mouvement syndical, aux grèves, à la lutte des classes quand elle est menée par la classe travailleuse. S’inscrivant parfaitement dans toute la tradition de l’extrême droite, le FN/RN n’aime le peuple que passif, attendant son salut du chef (ou aujourd’hui de la cheffe). 

Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella s’est ainsi opposé explicitement aux grévistes, notamment aux éboueurs engagés dans une grève reconductible, et comme on pouvait s’y attendre il a soutenu de manière indéfectible la police dans la répression féroce du mouvement populaire, notamment au mois de mars après l’imposition du 49-3. Il n’avait d’ailleurs rien ou presque à proposer aux classes populaires puisque, contrairement à une idée reçue, le projet de Marine Le Pen en matière de retraite c’est aussi de nous faire travailler de plus en plus longtemps, jusqu’à 67 ans pour certains. De son côté, l’extrême droite de rue s’est montrée invisible pendant plusieurs semaines avant de sortir du bois en attaquant physiquement des cortèges étudiants, notamment à Paris. 

Vous avez dit « ultra-droite » ? 

Les médias ont beaucoup glosé ces dernières semaines sur ce que la plupart des journalistes nomment l’ « ultra-droite ». Il faut commencer par dire que l’usage de cette catégorie d’ « ultra-droite » a trois effets particulièrement néfastes.

D’abord, cette catégorie d’origine policière est construite en miroir avec celle d’ « ultragauche », qui est plus ancienne. Or, ce faisant on crée un parallèle entre des courants politiques dont les projets sont radicalement antagonistes, et on les agglomère de manière dépolitisante, sous la catégorie « ultra », au nom de leur usage de la violence. On oublie au passage non seulement que les violences sont beaucoup plus présentes du côté de l’extrême droite que de l’extrême gauche (8 fois plus entre 1986 et 2016 selon un comptage des chercheurs Nicolas Lebourg et Isabelle Sommier), mais aussi que les violences attribuées à l’ « ultra-gauche » portent essentiellement sur des biens (des vitrines notamment) alors que les violences de la dite « ultra-droite » visent surtout des personnes. 

Ensuite cette catégorie dissimule le projet réel des individus et des groupes qui sont ciblés comme appartenant à l’ « ultra-droite ». Qu’est-ce que l’ultra-droite sinon la droite un peu plus à droite que la droite de la droite ? En somme, on ne sait pas de quoi on parle ; on ne distingue les courants que selon une géographie politique sommaire alors qu’il faudrait les caractériser politiquement. Ce qu’il importe de rappeler, et qui devrait être évident, c’est que les groupes en question professent des idéologies xénophobes, antisémites, islamophobes, suprémacistes, masculinistes, homophobes, transphobes, réactionnaires et ultra-autoritaires : en somme il s’agit de groupuscules ou de bandes néofascistes, voire néonazis, même si on trouve aussi des branches qui se caractérisent davantage par une ligne ultra-réactionnaire et intégriste (comme Civitas), avec pour certains une dimension royaliste (comme l’Action française). 

Ces groupes fonctionnent en général comme autant de milices de rue, commettant des agressions régulières. À ce titre, le fait qu’ils aspirent à être plus visibles, à davantage occuper la rue, est particulièrement inquiétant et dangereux, parce qu’on sait que ces groupes sont intrinsèquement ultra-violents. Toute leur idéologie, toute leur vision du monde, les incline à commettre des violences racistes, sexistes, homophobes ou transphobes, mais aussi contre tous ceux et toutes celles qui défendent des idées d’égalité et de justice sociale.

Ces violences vont jusqu’au meurtre, y compris du côté du FN. Pour s’en tenir à la France, on se souvient par exemple que ce sont bien des colleurs d’affiche du FN qui avaient tué par balles un jeune de 17 ans à Marseille en 1995 : Ibrahim Ali.  Que ce sont des nazis présents dans une manifestation organisée par le FN avait tué Brahim Bouaram en 1995 en le jetant dans la Seine. Il y a 10 ans, c’était Clément Meric, un militant antifasciste et syndicaliste qui était assassiné par des nazis en plein Paris. Et plus récemment, deux militants du GUD passés par l’armée ont assassiné par balles le rugbyman argentin Federico Aramburu, manifestement parce que celui-ci s’était opposé dans un bar à des propos et/ou comportements racistes. 

Le troisième effet néfaste de la catégorie d’ « ultra-droite », c’est qu’elle crée une distinction factice entre celle-ci et une extrême-droite qui serait quant à elle légitime parce qu’elle n’utiliserait pas la violence, en l’occurrence le FN/RN principalement mais aussi Reconquête, dont le leader multi-condamné pour incitation à la haine raciale ou religieuse, Éric Zemmour, continue d’être invité dans les médias dominants. Il est vrai qu’il y a une différence de stratégie : la tactique du RN, c’est la conquête du pouvoir par la voie légale (ce qui d’ailleurs ne les distingue pas des mouvements fascistes de l’entre-deux guerres, qui sont pour la plupart parvenus au pouvoir légalement). Mais on laisse entendre qu’il y aurait deux phénomènes radicalement distincts : l’extrême droite d’un côté (le RN ou Reconquête), et l’ultra-droite de l’autre. 

Il faut ajouter que nombre d’idéologues dominants (Michel Onfray, Marcel Gauchet ou plus récemment Jean-François Kahn) vont jusqu’à nier le fait que Marine Le Pen et le FN/RN appartiendraient à l’extrême droite. Marine Le Pen qui est entrée au FN en 1986, à une époque où le FN comptait nombre d’anciens collaborationnistes ou d’ex-membres de l’OAS (Organisation Armée Secrète, une organisation terroriste pro-Algérie française). Marine Le Pen qui a assumé sans broncher toutes les déclarations antisémites et négationnistes de son père pendant plus de 25 ans. Marine Le Pen qui défend la « priorité nationale », c’est-à-dire l’institutionnalisation de discriminations visant les étrangers et les binationaux. Marine Le Pen qui déclarait en 2012 : « Combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? », laissant entendre que tous les immigrés sont des tueurs d’enfants potentiels. Marine Le Pen qui saluait les victoires de Trump, Bolsonaro ou Meloni plus récemment. Marine Le Pen qui s’affichait juste avant l’invasion de l’Ukraine avec Vladimir Poutine, et qui a dû retirer in extremis de son matériel de campagne une photo où on la voyait toute souriante et fière en compagnie de l’autocrate russe. 

Toute cette petite musique à propos de Marine Le Pen et du FN/RN, que l’on entend de plus en plus dans les médias dominants, vise en réalité à banaliser, à légitimer, à normaliser toujours un peu plus l’extrême droite. Le gouvernement y a d’ailleurs contribué aussi : on se souvent de son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui lors d’un débat qui apparaissait davantage comme un monologue à deux voix, avait affirmé qu’il trouvait Marine Le Pen trop « molle » sur la question de l’islam.

Cette complaisance vis-à-vis de la dirigeante d’extrême droite acte la grande entreprise de propagande que celle-ci a lancée il y a plus de 10 ans sous le nom de « dédiabolisation » lorsqu’elle a pris la tête du Front national. Une telle stratégie n’aurait d’ailleurs jamais pu fonctionner si une grande partie des médias dominants ne lui avaient pas fait crédit d’avoir, dit-on, « changé le FN », lui permettant de faire oublier que toute une série de « changements » ne sont que des tournants tactiques visant à élargir l’électorat frontiste. 

Unité et diversité de l’extrême droite

En réalité, ce que la police et les médias nomment « ultra-droite » n’est guère que la frange extraparlementaire de l’extrême droite : une branche violente, de rue et militante. Or il y a une porosité évidente entre cette dernière et la branche institutionnelle de l’extrême droite qu’est le FN/RN, qui joue quant à lui le double rôle objectif de vitrine électorale et de vaisseau amiral. Cette porosité peut être aperçue à travers les relations qu’entretiennent le FN/RN ou Reconquête avec les groupuscules violents. On sait que le FN/RN a recruté largement pendant un temps dans la mouvance identitaire, par exemple Philippe Vardon, son dirigeant niçois parti depuis à Reconquête, ou Damien Rieu, idéologue identitaire passé lui-aussi entretemps au parti d’Éric Zemmour. Ce dernier, qui a également une stratégie institutionnelle, a accueilli pendant sa campagne nombre de militant·es de la mouvance identitaire mais aussi de l’Action française. 

On connaît par ailleurs la relation de Marine Le Pen avec ce qu’on appelle parfois la « GUD connexion » du nom du GUD, ce groupuscule néofasciste créé après 68 pour agresser physiquement, notamment dans les universités, les militant·es de gauche. La « GUD connexion » désigne essentiellement Frédéric Chatillon et Axel Loustau : le premier a notamment été salarié par le FN dans le cadre de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2017 (et a été condamné pour des faits d’escroquerie et d’abus de biens sociaux, affaire dans laquelle le FN a également été condamné) ; le second a été élu régional FN mais aussi trésorier de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, ce qui donne une tonalité évidemment grotesque aux déclarations de Marine Le Pen selon lesquelles elle n’aurait aucune proximité avec les deux individus en question. Ces deux militants sont d’ailleurs les dirigeants d’une agence qui continue d’assurer, en tant que prestataire, l’essentiel de la communication publique du Rassemblement national. Or ils ont gardé des liens forts avec toute la constellation dite « ultra-droite », si bien qu’Axel Loustau était présent lors du défilé néonazi du 6 mai dernier. 

Il s’agit pourtant là de la part la plus visible de cette porosité évoquée plus haut, la partie émergée d’un iceberg qui tient dans le fait que l’extrême droite de rue partage avec l’extrême droite institutionnelle – le FN/RN – une même vision du monde. Celle-ci est fait pour l’essentiel de quatre éléments : 

– Tout d’abord d’une obsession du déclin, du délitement ou de la décadence de la nation française et de la civilisation occidentale (ou du moins de leur reconstruction imaginaire – fondamentalement ethniciste – de la nation française et la civilisation occidentale). 

– Ensuite d’une paranoïa civilisationnelle et raciale, qui leur fait considérer l’immigration comme une invasion, conduisant donc inévitablement à une destruction de la nation et de la civilisation, mais aussi comme la cause de tout ce qu’on appelle les « problèmes sociaux » : insécurité, chômage, déficits publics, échec scolaire, etc. 

– Troisième élément : la haine de l’égalité et de tous les mouvements qui portent l’exigence d’égalité : le mouvement syndical (qui vise l’égalité de classe ou du moins la réduction des inégalités de classe), le mouvement féministe (qui combat les inégalités de genre), le mouvement antiraciste bien sûr (qui lutte contre l’inégalité raciale) ou encore le mouvement LGBTQI+.

– Enfin, l’horizon d’une renaissance nationale ou civilisationnelle qui ne pourrait passer que par une vaste entreprise de mise au pas des minorités ethnoraciales, religieuses, sexuelles et de genre, mais aussi des militants et militantes de l’égalité. Cette mise au peut être présentée de manière plus ou moins violente par les différents courants de l’extrême droite, allant de l’étouffement progressif jusqu’à l’écrasement brutal, mais pour tous les courants de l’extrême droite, elle est conçue comme la condition du redressement de la nation française ou de la civilisation occidentale, qui ne saurait avoir lieu sans épurer celles-ci des ennemis et des traîtres, de celles et ceux qu’ils perçoivent comme radicalement étrangers mais aussi de celles et ceux qui seraient complices de la destruction de la nation ou de la civilisation occidentale. 

Sur le fond de cette communauté de vision du monde, les différents groupes d’extrême droite se distinguent bien entendu les uns des autres par des histoires diverses, des modèles historiques ou nationaux variés, des références théoriques ou intellectuelles multiples, des tactiques hétérogènes, mais aussi des différences idéologiques assez nombreuses. Certains groupes sont étatistes et d’autres anti-étatistes ; la plupart professent un catholicisme plus ou moins intégriste alors que d’autres se réclament du paganisme ; certains mettent l’accent sur la nécessité de sauver la nation française et d’autres sur la régénération de l’Europe ou de l’Occident, etc.

Qu’on pense aux trois principaux courants dans l’extrême droite extraparlementaire française actuellement, à savoir la constellation identitaire, la mouvance « nationaliste-révolutionnaire » et l’Action française, auxquelles il faudrait ajouter une myriade d’autres courants, comme les Nationalistes (anciennement Parti nationaliste français), le Parti de la France (fondé par Carl Lang, un ancien dirigeant du FN), Civitas, la mouvance soralienne, etc. 

Il faut ajouter à ce tableau des individus et des groupes souvent moins identifiés, plus isolés mais parfois passés par les structures traditionnelles de l’extrême droite (comme cela avait été le cas du terroriste d’extrême droite Anders Breivik en Norvège), qui planifient des attentats dans une visée accélérationniste, sur le modèle des attentats d’extrême droite commis contre des musulman·es, des juifs·ves, des immigré·es ou encore des Afro-Américain·es, que ce soit aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou en Allemagne. 

On se souvient ainsi de Claude Sinké, un ancien militant du Front national qui avait tiré sur des musulmans à la mosquée de Bayonne et avait fait deux blessés graves parmi des fidèles. Pour ces individus ou ces groupes, il s’agit de mener des attaques pour accélérer ce qu’ils pensent être la guerre raciale en cours, en suscitant une réaction de celles et ceux qu’ils construisent comme « ennemi », à savoir les immigrés et descendants d’immigrés d’origine extra-européenne (noirs, arabes, turcs), mais aussi les musulman·es, mais aussi les juif·ves et les rrom·es, tou·tes considéré·es comme des envahisseurs dont la présence sur le sol français ou plus largement occidental, devrait être combattue. Les services de renseignement estiment ainsi qu’une dizaine d’attentats ont été empêchés en France depuis 2017. 

Vis-à-vis de l’extrême droite institutionnelle, c’est-à-dire le FN/RN, ce n’est pas simplement la porosité qui doit être remarquée, mais le fait que l’extrême droite extraparlementaire accomplit un certain nombre de fonctions utiles au FN/RN. On peut évoquer d’abord l’intimidation des adversaires par la violence de rue, par des attaques de rassemblements, de manifestations, de piquets de grève ou de lieux (qu’il s’agisse de lieux de culte, de locaux syndicaux ou de librairies de gauche). Cela passe aussi, comme on l’a vu une fois de plus avec le maire de Saint-Brévin, par des menaces de mort et des tentatives d’assassinat.

Mais parmi ces fonctions utiles, on doit prendre au sérieux tout le travail culturel ou « métapolitique » que réalise cette constellation militante, que ce soit en termes d’élaboration idéologique avec des think-tank comme l’Institut Iliade, ou en termes de diffusion et de propagande, notamment à travers des médias web mais aussi sur les réseaux sociaux où elle joue en quelque sorte un rôle de milice digitale (usant là-encore beaucoup des menaces). Enfin, cette extrême droite violente, extraparlementaire, forme depuis des décennies des cadres dont une partie importante finit au FN/RN (ou actuellement à Reconquête) mais aussi à droite (qu’on pense à Alain Madelin, Gérard Longuet, Patrick Devedjian, etc.). 

La riposte passe par la construction d’une alternative

Que faire face à cette branche extraparlementaire de l’extrême droite ? Le premier élément d’une réponse, c’est évidemment de ne pas minimiser ou banaliser, donc de riposter immédiatement à leurs initiatives ou mieux d’agir de telle manière qu’on ne laisse pas un défilé de ces nervis se dérouler tranquillement. Partout où ils cherchent à parader et partout où nous le pouvons, il faut unir des forces pour organiser une contre-manifestation plus large et plus déterminée.

C’est d’ailleurs ce qui se passe bien souvent, par exemple à Saint-Brévin où lorsque 250 militants d’extrême droite se sont déplacés pour intimider les élus locaux et les habitants, afin d’empêcher l’installation d’un Centre d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile (CADA), on trouvait en face 1300 personnes. Car il faut y insister : cette extrême droite de rue reste faible numériquement et très peu implantée socialement. C’est précisément cela qu’il faut empêcher, ce qui suppose souvent un travail de plus long terme : leur implantation dans des villes, ce que le GUD avait tenté il y a quelques années sous le label « Bastion social » et qui prenait modèle sur le groupe néofasciste italien Casapound. 

Ne pas minimiser donc mais ne pas les surestimer, ce qui irait dans leur sens. Il faut d’ailleurs remarquer à ce propos que la mouvance « nationaliste-révolutionnaire » s’est félicitée de la forte médiatisation de sa marche du 6 mai, qui n’avait pourtant rassemblée que quelques centaines de personnes. Ces groupes aiment s’imaginer plus forts qu’ils ne sont, et il y a un enjeu pour eux à ce que leurs adversaires les imaginent plus forts qu’ils ne sont. Mais ils ne sont à la vérité pas grand-chose. Ils avaient pu s’insérer dans la Manif pour tous (un mouvement dont les rangs étaient surtout fournis par le monde catholique, passant par les réseaux de l’Église et de l’enseignement privé confessionnel), mais la capacité spécifique de l’extrême droite – qu’il s’agisse des branches institutionnelle ou extraparlementaire – à impulser des mouvements de masse est quasi-nulle.

Les initiatives de rue lancées par l’extrême droite ne dépassent à l’heure actuelle jamais les quelques centaines de présents, y compris pour Reconquête qui pourtant revendique plus de 100 000 adhérents. La seule manifestation d’extrême droite qui avait réussi à mobiliser plusieurs milliers de personnes, Jour de Colère en 2014, avait été particulièrement inquiétante mais ne s’était avérée qu’un feu de paille. 

Faut-il revendiquer la dissolution de ces groupes et l’interdiction de leurs initiatives ? Il s’agit là d’une fausse bonne idée. On a d’ailleurs pu mesurer l’inefficacité de ces dissolutions, nombreuses au cours des 10 dernières années : Jeunesses nationalistes, Œuvre française, Bastion social, Identitaires, Zouaves, etc. Tout cela n’a nullement empêché l’extrême droite de rue de continuer ses activités, de poursuivre ses violences, de maintenir ou de développer son travail idéologique, etc. Cela a même sans doute renforcé ses franges les plus violentes, en particulier la mouvance dite « nationaliste-révolutionnaire », en lui donnant une aura de victimes de l’État. Dans tous les cas, ces groupes se reforment de toute façon sous d’autres noms ou leurs militants se dirigent vers d’autres organisations, notamment parce qu’il n’y a de toute façon aucune volonté du pouvoir politique d’aller plus loin, par exemple en fermant les lieux où se rencontrent, se forment et s’entraînement physiquement les militants d’extrême droite. 

Ces dissolutions et ces interdictions procèdent en réalité essentiellement d’une stratégie de communication de la part du gouvernement, orientée vers trois objectifs : d’abord montrer une certaine fermeté pour asseoir une ligne de défense de la République menacée par des « extrémismes » ; ensuite apparaître équilibré pour légitimer les dissolutions ou tentatives de dissolution de collectifs de lutte antiracistes, antifascistes ou anti-impérialistes (tels que le Collectif contre l’Islamophobie en France, Palestine Vaincra ou encore Nantes Révoltée), mais aussi des fermetures de mosquées ; enfin, créer des précédents utiles, au sens où ils pourront ensuite être utilisés contre les luttes populaires (qu’on pense à la loi dite « séparatisme » ou antérieurement à la loi sarkozyste « anti-casseurs »). Si on banalise l’interdiction de manifestations ou de colloques d’extrême droite, le gouvernement se servira inévitablement de cet argument pour interdire plus tard des manifestations ou des colloques en prétextant qu’ils sont eux-aussi le fait d’ « extrémistes », mais de gauche. 

La réponse à l’extrême droite n’est donc pas à construire simplement ou principalement sur un plan légal. Elle ne passe pas par des forces politiques qui, comme Renaissance, sont elles-mêmes engagées dans une poussée autoritaire et qui vont de plus en plus sur le terrain xénophobe et raciste. La seule réponse efficace est politique. Il nous faut amplifier la lutte politique contre l’extrême droite, du niveau local jusqu’à l’échelon national, et bâtir une alternative politique à ce monde qui lui permet de prospérer.

C’est tout l’enjeu des mois et années à venir et, dans la course de vitesse engagée avec l’extrême droite et les forces les plus réactionnaires, la gauche sociale et politique a une énorme responsabilité. Elle doit non seulement parvenir à articuler unité et radicalité afin de structurer une force politique de masse, capable de s’implanter durablement dans les classes populaires et d’affronter un double ennemi : l’extrême centre néolibérale, qui détruit les grandes conquêtes sociales des travailleurs·ses, et pour cela va toujours plus loin dans un sens autoritaire ; et l’extrême droite néofasciste, qui se tient en embuscade, prête à s’emparer de la machinerie de l’État pour l’utiliser contre les minorités, contre les mouvements d’émancipation, contre les luttes populaires.  

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