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Le meurtre de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Aqleh par l’armée israélienne a replacé la situation en Palestine au cœur de l’actualité pendant quelques jours. Mais la fenêtre médiatique sur l’occupation et ses conséquences dramatiques s’est vite refermée. Pourtant, sur place, c’est quotidiennement que les Palestiniens résistent. De différentes manières et dans différents endroits.

Mohamed Zware est journaliste. Originaire du village de Al-Ma’sara, il a fondé le média « Al-Ma’sara press » et documente au plus près l’occupation. Abeer Al-Khatib est diplômée en droit et participe à de nombreuses actions de résistance populaire. De passage en France dans le cadre d’une tournée organisée par l’association France Palestine Solidarité (AFPS), les deux activistes nous ont accordé une entrevue.

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Ces dernières semaines, la situation à Jérusalem et dans les territoires occupés de Cisjordanie a été marquée par une hausse significative des violences à l’encontre des Palestiniens : multiplication des raids brutaux de l’armée israélienne sur l’esplanade des Mosquées (15 et 30 avril, 5 mai), plusieurs palestiniens sont morts dès suite de tirs de soldats israéliens (à Jénine, dans le camp de réfugiés d’Aqabet Jaber), meurtre de la journaliste Shireen Abu Aqleh. Quelle est votre analyse de la situation actuelle en Palestine ?

Abeer Al-Khatib : Actuellement, ce qui se passe en Palestine, ce sont des crimes contre l’humanité. Actuellement, ce qui se passe en Palestine, ce sont des arrestations au quotidien, des perquisitions de domicile, des assassinats au quotidien. Si on se remémore ce qu’il s’est passé à Naplouse, quatre personnes ont été tuées[1]. Mais des meurtres ont eu lieu aussi à Jénine[2] et à Bethléem[3], où l’armée israélienne a ciblé et tué un enfant. Tous les jours, en Palestine, nous sommes confrontés à des crimes contre l’humanité.

Ce qu’on observe en Palestine, c’est un projet systématique de démolitions des habitations et de déplacements forcés des citoyens palestiniens mené par la force occupante. Chaque jour, des maisons sont ainsi détruites dans les territoires de Cisjordanie. Tout le monde sait ce qu’il se passe.

On observe également, chaque jour, une volonté de changer l’histoire et de modifier les caractéristiques originales de la ville de Jérusalem, notamment en modifiant les monuments historiques. Voilà ce qui se passe en Palestine.

L’occupant israélien mène également une guerre pour le contrôle de l’eau et les ressources naturelles en Palestine. Et malheureusement, chaque jour, la Knesset décide d’adopter des lois encore plus racistes et criminelles à l’égard du peuple palestinien.

Il est difficile de résumer tous les crimes qui se produisent en Palestine.

Mohamed Zware : Ce qui se passe en Palestine ne date pas du mois dernier, mais dure depuis la Nakba. L’armée israélienne détruit les maisons des Palestiniens, attaque les enfants et les femmes. La situation est encore pire pendant le mois de Ramadan. Les Palestiniens de confession musulmane veulent aller prier à la Mosquée Al-Aqsa, mais les soldats israéliens leur refusent ce droit.

L’armée israélienne dispose d’une nouvelle loi qui donne l’autorisation aux soldats israéliens de faire feu sur n’importe quel citoyen palestinien dans la rue[4]. Avec cette loi, le Parlement israélien dit tout simplement aux soldats : « Vous avez le permis de tuer n’importe quel Palestinien à partir du moment où vous vous considérez en danger ». Ainsi, les soldats ont une totale impunité et ils ne seront jamais sanctionnés. Ils n’iront jamais en prison.

Prenons l’exemple du meurtre de la journaliste Shireen Abu Aqleh, qui a été tuée par un sniper de l’armée israélienne : qu’est-ce qui a été fait pour sanctionner ce soldat ? Rien. L’armée israélienne est même allée jusqu’à attaquer le cortège funéraire de la journaliste lors de la cérémonie d’enterrement. Les soldats savaient que de nombreux médias et quelques diplomates seraient présents le jour des funérailles. Ils savaient aussi qu’il y aurait de nombreux palestiniens venus rendre hommage à la journaliste. Pourtant, qu’ont-ils fait ? Ils ont attaqué le cortège, tiré des gaz lacrymogènes et arrêté de nombreux palestiniens.

En fait, l’armée et le gouvernement israéliens se fichent complètement de l’avis de la communauté internationale. Ils se fichent du droit international, ils font ce qu’ils veulent. Hier, l’armée israélienne a arrêté huit étudiants à l’université de Birzeit à la sortie des cours[5]. Les soldats israéliens attaquent la Mosquée Al-Aqsa à Jérusalem et ça ne les dérange pas. Ils tuent n’importe quel Palestinien. Ils bloquent les routes, autorisent les colons à faire ce qu’ils veulent, ils privent les Palestiniens du droit de circuler sur leurs terres.

L’armée et le gouvernement israéliens donnent le pouvoir aux colons et les aident à s’implanter dans les territoires palestiniens, de différentes manières et à différents endroits. Je considère que les Israéliens ont reçu comme un aval tacite de la communauté internationale, car ils ont vu le mouvement de solidarité qui est apparu pour soutenir le peuple ukrainien. Mais pour le peuple palestinien, et ce depuis la Nakba, la communauté internationale a juste quelques paroles. Mais sur le terrain, rien ne se passe. Le monde s’en fiche.

Abeer Al-Khatib : Le gouvernement israélien a pris la décision de construire de nouvelles colonies. Donc cela veut dire qu’Israël va prendre le contrôle d’encore plus d’eau, d’encore plus de terres. Ils vont encore détruire d’autres maisons de Palestiniens et forcer ces derniers à quitter leurs terres.

Actuellement, en Cisjordanie et à Jérusalem, les colons ont désormais tous le droit de porter une arme[6]. Chose impossible pour les Palestiniens. Au contraire, si un Palestinien se défend avec une pierre, les soldats israéliens peuvent faire feu.

En Cisjordanie, l’armée protège les colons. Les colons peuvent choisir n’importe quel terrain et dire : « C’est désormais ma nouvelle maison ». Et ils seront protégés par l’armée israélienne.

 

A quelles réalités les journalistes sont confrontés sur le terrain et comment continuer à informer sur la situation en Palestine ?

Mohamed Zware : D’abord, il est important de rappeler que Shireen Abu Aqleh n’est pas la première journaliste tuée par des soldats israéliens[7]. Et on parle peu des journalistes qui restent gravement blessés à la suite d’interventions des forces israéliennes. En 2019, un soldat israélien a tiré sur le journaliste Moath Amarneh au niveau du visage. Gravement touché, Moath Amarneh a finalement perdu un œil[8].

Quotidiennement, dès que les soldats israéliens voient un véhicule siglé « Presse », ils l’arrêtent et tentent de le bloquer à un check-point. Uniquement car il s’agit de journalistes. Dans les manifestations, les soldats tirent des gaz lacrymogènes en direction des journalistes, ils les violentent et les arrêtent, qu’il s’agisse d’ailleurs de journalistes palestiniens ou de reporters internationaux. L’armée s’en fiche de ça.

En tant que journaliste palestinien, dès l’université, nous apprenons que, lorsque nous couvrons une manifestation, la chose la plus importante au quotidien est de se protéger et de tenter de rester en sécurité. On nous explique ce qui se passe quand l’armée nous arrête, comment réagir et tenter de rester « safe ». On travaille tous avec un gilet pare-balle siglé « Presse » et tout le matériel de protection de ce genre.

Qu’est-ce qui s’est passé lors du meurtre de Shireen Abu Aqleh ? Le sniper a tiré ici (Mohamed montre la nuque). Le gilet « Presse » et le casque protègent cette zone (il indique le crâne et le torse), mais le soldat a tiré ici (il pointe de nouveau le cou). Il a choisi cet endroit car il a tiré pour tuer.

Le but de l’armée israélienne est d’empêcher de documenter ce qui se passe en Palestine. L’armée ne craint pas les réactions de la communauté internationale. Elle veut juste être libre de faire ce qu’elle veut, sans la présence de caméra et de témoins. Encore plus quand elle mène des raids à Jénine ou quand elle détruit un village bédouin. Les autorités israéliennes veulent maintenir tous ces évènements dans le silence. Personne ne doit documenter ce qui se passe, personne ne doit prendre de photos.

Abeer Al-Khatib : En fait, les autorités israéliennes ne veulent pas que la vérité sorte de Palestine. Et donc elles considèrent que les journalistes doivent être tués ou doivent garder le silence. Avant Shireen Abu Aqleh, des dizaines de journalistes ont déjà été tués par l’armée israélienne.

 

Que pensez-vous de la manière avec laquelle les médias internationaux couvrent l’actualité en Palestine ?

Abeer Al-Khatib : L’occupation israélienne de la Palestine dure depuis 75 ans. Cette longévité constitue le crime le plus important des crimes de l’occupation. Pourtant, le monde reste silencieux face aux crimes de l’occupation.

Ce silence des médias occidentaux s’explique par les intérêts politiques et économiques des grandes puissances capitalistes. C’est aussi une question de survie des intérêts capitalistes.

Il me semble que la crise du Covid-19 a montré à tous les peuples du monde à quel point est brutal le traitement réservé aux pays pauvres et aux pays du Tiers Monde. Concernant l’accès aux vaccins, la priorité a été donnée aux pays riches, puis dans un second temps, aux pays pauvres.

C’est la réalité du monde actuel. Un monde brutal avec des privilèges pour certains et où les droits des autres peuples ne sont pas reconnus. Ce qui prime, ce sont les intérêts politiques capitalistes et la survie de ce modèle dominant.

 

Abeer, pouvez-vous me préciser quel type d’actions et de mobilisations vous menez en Palestine pour lutter contre l’occupation ?

Abeer Al-Khatib : Nous menons des actions de résistance populaire pacifique. Nous ne prenons pas les armes et refusons l’action violente. Nous croyons à l’auto-organisation des Palestiniens et considérons cette auto-organisation comme une force susceptible de changer les choses. Ce que nous défendons, c’est une résistance populaire pacifique.

Plus concrètement, nous protégeons les élèves palestiniens qui sont agressés par les colons et l’armée d’occupation. Nous essayons d’empêcher les démolitions de maisons de Palestiniens. Nous aidons les citoyens palestiniens qui vivent à côté du Mur de séparation ou à proximité de colonies pour qu’ils ne soient pas expropriés et puissent rester sur leurs terres.

Mais, malgré le fait que nous militons de manière non-violente, nous subissons la répression de l’armée israélienne et plusieurs de nos camarades sont morts en martyrs dans nos actions. L’un des plus connus est Ziad Abu Ein, qui a été ministre et qui est mort lors d’une intervention de l’armée israélienne au cours d’une manifestation visant à planter des oliviers.

Et peut-être vous vous rappelez de Rachel Corrie, qui est morte en martyr en 2003 à Gaza alors qu’elle s’opposait à une opération de démolition d’une maison appartenant à un médecin palestinien ? Cette année, nous avons perdu trois camarades.

Mais nous ne croyons pas à l’action violente. Nous considérons qu’en tant que Palestiniens, nous défendons une cause juste, que nous avons des droits et nous les revendiquons.

 

Au printemps 2021, la guerre menée par Israël à Gaza a provoqué un important mouvement de contestation, porté notamment par les Palestiniens de Cisjordanie, mais également les Palestiniens d’Israël. Peut-on parler d’un renouveau de la résistance palestinienne ?

Abeer Al-Khatib : Ce qu’il s’est passé au printemps 2021 est simple à comprendre. Nous naissons, nous vivons, nous travaillons, nous mangeons puis nous mourrons sous le régime de l’occupation.

Aujourd’hui, vivre en Cisjordanie, c’est comme vivre en prison. Les 45 villes de Cisjordanie sont entourées par des colonies et par le Mur de séparation. Et si un soldat israélien de 22 ans décide de fermer le passage à un check-point, ce sont tous les habitants qui ne pourront plus sortir de cette ville.

Les Palestiniens d’Israël, eux, sont confrontés quotidiennement aux lois racistes votées à la Knesset. Au printemps 2021, ils sont sortis dans la rue, notamment les jeunes, pour dire non au blocus et à la guerre à Gaza, mais aussi pour dénoncer les conditions sociales et économiques désastreuses (pauvreté, chômage) auxquelles ils sont confrontés.

Et ils voient ce qu’il se passe en Cisjordanie et à Jérusalem. Les arrestations, les meurtres, les démolitions d’habitations. Ils voient aussi les Palestiniens à qui les autorités israéliennes refusent un permis de construire. Et qui les obligent ensuite à démolir leur maison de leurs propres mains. Et s’ils ne la démolissent pas, alors un bulldozer viendra le faire à leur place, avant de leur envoyer la facture de la démolition[9].

Le peuple palestinien est fatigué de tout ça. Fatigué de cet apartheid. Fatigué du blocus de Gaza. Fatigué de vivre dans les camps des pays arabes voisins. Fatigué de la politique de normalisation avec Israël mise en œuvre par de nombreux pays arabes. C’est pour cela que les gens sont sortis dans la rue.

Nous devons nous unir pour changer les choses. C’est tout.

 

Pourquoi c’est important pour vous d’être ici, en France, et de participer à cette tournée ?

Mohamed Zware : Ce qui est important pour nous, c’est de partager la réalité de ce que nous vivons au quotidien en Palestine avec les jeunes que nous rencontrons ici, en France.

Dans cette « tournée », nous nous sommes concentrés sur la rencontre avec des étudiants car nous considérons qu’ils joueront un rôle dans le futur, peut-être même au gouvernement ou bien à un niveau local. Notre objectif est de diffuser les voix des Palestiniens et de ce qu’ils vivent réellement au quotidien. Nous savons de quoi nous parlons, nous vivons l’occupation au quotidien. De plus, nous avons désormais une expérience de l’action non-violente depuis notre enfance.

Ici, au cours de cette « tournée » en France, j’ai rencontré de nombreux Français qui étaient venus visiter mon village ces dernières années et nous aider face à l’armée israélienne[10]. Ces personnes nous donnent la force de continuer notre lutte.

Et lorsque nous rencontrons ces étudiants, nous témoignons de notre quotidien sous l’occupation. Ces étudiants vont rapporter nos témoignages chez eux. Ils parleront de nos témoignages à un ami, qui parlera à un autre ami, etc. C’est le plus important pour nous.

Abeer Al-Khatib : Nous estimons que ces actions de solidarité viennent compléter notre combat pour une Palestine libre. Ce n’est pas suffisant de ne lutter qu’en Palestine. Nous avons besoin d’eux. Nous considérons qu’ils sont aussi des militants. Ils pourront changer les choses dans leur pays ainsi qu’en Palestine.

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Propos recueillis par Maël Galisson.

 

Notes

[1] Israeli soldiers open fire at car in Nablus killing Palestinians, Al Jazeera, 8 Février 2022 ; Border Police lethally shoot Palestinian teen after injuring him with gunfire, B’Tselem, 2 Mai 2022.

[2] Israeli army kills one Palestinian in Jenin refugee camp raid, Al Jazeera, 9 Avril 2022.

[3] A week in Bethlehem District: Soldiers kill 13-year-old and 18-year-old, B’Tselem, 11 Avril 2022.

[4] L’armée israélienne assouplit ses règles de tir contre les civils palestiniens, Le Monde, 28 Décembre 2021.

[5] Israel arrests pro-Hamas students from Birzeit University ahead of student elections, The New Arab, 18 Mai 2022.

[6] En Cisjordanie, un far west à l’israélienne, Libération, 5 Février 2019.

[7] La Fédération internationale des journalistes (FIJ) considère que 55 journalistes palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis 2000. Al Jazeera donne le chiffre de 45 victimes sur la même période.

[8] Palestinian photographer Moath Amarneh injured by Israeli forces, Committee to Protect Journalists, 18 Novembre 2019.

[9] ‘I couldn’t save our home’: Palestinian family distraught after latest Israeli demolition, Middle East Eye, 29 Décembre 2021.

[10] L’association France Palestine Solidarité (AFPS) organise régulièrement des missions de « cueillette des olives » qui permettent de soutenir les agriculteurs palestiniens au moment de la récolte, période pendant laquelle ils sont très souvent harcelés par les forces israéliennes.

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