Lire hors-ligne :

Au Portugal, des manifestations ont eu lieu dans tout le pays récemment contre des loyers devenus exorbitants ces dernières années, et pour le droit au logement pour tou-tes à un prix décent. La location d’un appartement ou d’une chambre à Lisbonne représente en effet 63 % du salaire moyen d’un habitant. Confronté à l’un des pires marchés immobiliers d’Europe, le gouvernement portugais a proposé de subventionner les loyers : une nouvelle aumône faite aux propriétaires et une mesure très loin des enjeux immédiats pour des millions de personnes.

***

Si vous consultez le moteur de recherche immobilier le plus populaire du Portugal et que vous cherchez un appartement d’une chambre à Lisbonne, vous ne trouverez rien en dessous de 700 euros pas mois pour un studio de 25 m2. Il n’y a guère d’espace autour du lit, et encore moins dans la salle de bains. Un appartement un peu plus grand dans le même quartier coûte 800 euros par mois ; en échange des cinq mètres carrés supplémentaires, vous n’aurez que peu de lumière naturelle et la chambre à coucher n’a aucune fenêtre. Vous serez également au rez-de-chaussée, à la merci des bruits de la rue, et perdrez toute intimité si vous ouvrez une fenêtre pendant l’une des chaudes nuits d’été de Lisbonne.

Ces deux appartements sont considérés comme des « bonnes affaires » par ceux qui les proposent en raison de leur emplacement, de leur état relativement bon et de leur prix. Mais avec un salaire moyen à Lisbonne d’un peu moins de 1 500 euros par mois, chaque annonce exige que l’on consacre la moitié de ses revenus à la location de son logement. Et c’est sans compter le coût des charges telles que l’électricité, l’eau et l’internet. En fait, les chiffres d’Eurostat montrent que la location d’un appartement ou d’une chambre dans la capitale (sans compter les prix gonflés par le tourisme dans le centre historique) exige en moyenne 63 % du salaire d’un Lisboète. À Londres, ville tristement célèbre pour ses coûts de logement exorbitants, ce chiffre est plus proche de 40 %.

Ce même phénomène choquant est observé dans la plupart des villes du Portugal, et il ne fait qu’empirer. Peu après Noël, une enquête de l’agence immobilière Imovirtual a révélé que les loyers avaient augmenté de près de 50 % entre 2021 et 2022. Le loyer moyen dans la capitale s’élève désormais à plus de 2 000 euros par mois. Dans la ville d’Évora, à une heure et demie au sud de Lisbonne, les loyers ont augmenté de 127,3 % en douze mois seulement. Ils s’élèvent aujourd’hui à environ 1 355 euros par mois. Dans le même temps, le Portugal a le dixième revenu moyen le plus bas de l’Union européenne, le travailleur à temps plein moyen gagnant 1 600 euros par mois avant impôts. Le salaire minimum est de 760 euros par mois. Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour se rendre compte que les chiffres ne correspondent pas à la réalité.

Des classes moyennes paupérisées

L’humoriste portugais Diogo Faro est devenu le visage improbable de la crise du logement. Dans une courte vidéo virale, il a fait la satire de l’augmentation exorbitante des loyers, de la crise du coût de la vie, de la stagnation des salaires et du fait qu’en dépit de ces statistiques, la presse étrangère et de nombreux « nomades numériques » continuent d’élire le Portugal comme destination de rêve. « Ce qui a été le plus intéressant, ce sont les réactions des gens à la vidéo », me dit Diogo Faro. « De manière très organisée, les gens ont commencé à partager leurs expériences [avec moi] et lorsque je partageais ces témoignages, il y avait un effet boule de neige se formait. Le fait de mettre en avant l’expérience des gens ordinaires face à la crise du logement n’a pas seulement permis de sensibiliser au problème, cela a aussi donné à beaucoup de gens l’impression d’être vus et compris. Faro pense que cela a permis aux gens de se dire qu’ils n’étaient pas fous après tout et qu’il y avait beaucoup d’autres personnes dans la même situation qu’eux.

Avec son allure de garçon et ses ongles colorés, Faro pourrait facilement passer pour un membre de la génération Z, mais il a une trentaine d’années. Pendant la pandémie, il a lui aussi ressenti la cruauté du marché du logement lorsque, se retrouvant sans travail à cause du confinement, il a demandé à sa propriétaire une réduction de loyer. Celle-ci a refusé et Faro a dû quitter le logement qu’il occupait depuis six ans. Il a eu de la chance, ajoute-t-il, et a trouvé un autre logement à proximité, mais l’expérience lui a laissé un goût amer.

« La société, le capitalisme, le système dans lequel nous vivons, nous promet que si nous étudions, travaillons et devenons qualifiés, nous aurons notre indépendance, une bonne vie », dit Faro, « mais ensuite vous atteignez la trentaine, la quarantaine, et vous devez vivre dans une chambre [en colocation] ». Parmi les personnes qui l’ont contacté au cours des derniers mois, on trouve des médecins, des infirmières et des enseignant.es, dont beaucoup appartiennent à des ménages à double revenu mais n’ont toujours pas les moyens de s’offrir un logement dans le centre de Lisbonne ou de Porto. « Ce phénomène a explosé parce qu’il a atteint les classes moyennes. Malheureusement, les pauvres, les classes inférieures, ont déjà du mal à se loger depuis longtemps », ajoute Diogo Faro..

À la suite de sa vidéo virale, Diogo Faro a participé à la création de la campagne « Le logement est un droit » (Casa É um Direito). Avec de nombreuses organisations de longue date, le groupe a organisé une manifestation nationale pour le 1er avril. La manifestation était soutenue par la Coalition Européenne d’Action pour le Droit au Logement et à la Ville, qui a organisé une semaine d’action entre le 24 mars et le 2 avril. Dans les milieux militants, on espère que le mécontentement palpable et universel entraînera le retour du mouvement anti-austérité qui a envahi les rues du Portugal il y a dix ans.

Des palliatifs gouvernementaux et des libéraux effrayés

Récemment, le gouvernement portugais a proposé, dans le cadre de son vaste programme de logement, que les logements restés vides pendant plus d’un an soient loués de force à l’État. En théorie, l’obligation pour les propriétaires de biens immobiliers secondaires d’utiliser ces logements est inscrite dans la loi portugaise depuis quelques années. Dans la pratique, très peu de personnes ont fait l’expérience de la « location forcée » de leur résidence secondaire ou de leur patrimoine immobilier. Mais qu’on le rappelle à la bourgeoisie portugaise et c’est le branle-bas de combat.

Les experts conservateurs et libéraux ont esquivé le problème, se livrant à des campagnes alarmistes. Mais en réalité, le paquet proposé est « trop peu, trop tard », selon la plupart des experts en matière de logement. S’exprimant sur CNN Portugal, Vasco Barata, avocat et militant du logement, a déclaré que des mesures telles que la fin du régime des visas dorés et des baux de location à court terme (connues sous le nom d’Alojamento Local) sont certes bienvenues, mais qu’elles auront peu d’impact sur Lisbonne et Porto, villes qui ont déjà été transformées au point d’en devenir méconnaissables. Il en va de même pour le plafonnement, indexé sur l’inflation, du prix des nouvelles locations. « Il y a dix ans, cela aurait pu avoir un effet intéressant, mais maintenant que Lisbonne a un loyer moyen de 2 000 euros, je me demande si cela fera une différence dans la vie des gens », a déclaré M. Barata.

Pire encore, dans une certaine mesure, les nouvelles politiques de logement signifient un transfert direct d’argent de l’État vers les poches privées. La soi-disant saisie des propriétés vides en est un excellent exemple, même si les représentants du grand capital tentent de la noyer sous la rhétorique des « attaques contre les droits individuels ». Au lieu de cela, l’État propose de louer des propriétés au prix du marché, puis de les sous-louer à moindre coût aux dizaines de milliers de personnes qui ont besoin de logements abordables. À un moment ou à un autre, le contribuable couvre la différence. Le gouvernement offre également des exonérations fiscales aux propriétaires qui vendent leur parc immobilier à l’État. Dans un long fil de discussion sur Twitter, João Camargo, climatologue réputé, a bien résumé la situation en écrivant que le gouvernement avait entre les mains une « bombe à retardement, qu’il espérait désamorcer par de grandes annonces ». Mais il est peu probable que le tic-tac ralentisse.

« Le gouvernement est très ironique, mais ce n’est pas drôle du tout parce que nous parlons de la vie des gens », déclare le rappeur et militant associatif de longue date LBC Soldjah Soldjah. Actuellement, LBC prête sa voix au mouvement Vida Justa (vie équitable), qui espère replacer la crise du logement dans le contexte des problèmes plus généraux qui touchent les Portugais.es les plus pauvres. Vida Justa est une organisation de terrain, à l’origine d’une manifestation de plusieurs milliers de personnes le samedi 25 février 2023 à Lisbonne. Les personnes avec lesquelles Vida Justa travaille ne sont pas seulement des médecins ou des ingénieur.es. Leurs comptes sur les médias sociaux sont remplis de témoignages de personnes vivant dans des logements sociaux et dans les bidonvilles de la ceinture urbaine, les bairros. « Les mesures gouvernementales ne résoudront aucun problème, poursuit LBC, à commencer par la manière dont le processus a été organisé : de haut en bas. Qu’est-ce que le gouvernement a offert aux habitants de la périphérie ? Rien. »

Le mouvement a trois revendications principales : le blocage des prix des produits de première nécessité, des logements abordables et de meilleurs salaires. Vida Justa n’hésite pas à aborder d’autres sujets urgents et à jeter des ponts entre les différents mouvements. Le syndicat des enseignant.es portugais.es soutient Vida Justa, tout comme la principale campagne portugaise sur le climat, Climáximo. Le 1er avril, nous avons vu des habitants des bairros marcher au coude à coude avec des défenseurs des droits des personnes handicapées et des acteurs célèbres, comme la star de la série Glória de Netflix, Miguel Nunes.

« Nous avons senti une grande vague de soutien parce que les gens sont mécontents de ce qui se passe. C’est une rage légitime et nous voulons que les gens canalisent cette rage dans la lutte », explique LBC Soldjah Soldjah. La manifestation de Vida Justa a été largement couverte en direct par les grandes chaînes de télévision et la presse, et les photos de la foule se tenant devant le parlement, le poing levé, ont fait le tour des réseaux sociaux. Dans la perspective de la manifestation du 1er avril, la manifestation du 5 mars 2023 a été un moment décisif, non seulement pour la crise du logement au Portugal, mais aussi pour la justice sociale dans le pays en général.

En ce sens, le Portugal peut également s’appuyer sur de riches traditions. Dans les dix-huit mois qui ont suivi la Révolution des œillets de 1974, l’un des événements qui a le plus transformé la société portugaise a été la création de commissions de résidents (moradores). Ces assemblées populaires ont permis aux habitants de s’approprier leur quartier et de prendre des décisions démocratiques en matière de logistique, de construction, de rénovation des espaces extérieurs et des bâtiments abandonnés, ainsi que d’allocation des ressources. Les bâtiments vides ont été repris et transformés en crèches et en centres sociaux, et de nombreux bidonvilles ont été pris en compte, ce qui a permis à l’État d’apporter l’eau et l’électricité.

Près de cinquante ans plus tard, la lutte pour un logement et une vie décents est peut-être un peu en retrait par rapport à la promesse enivrante de ces jours révolutionnaires. Mais pour tous et toutes à l’exception d’une bourgeoisie hystérisée, un tel radicalisme semble à nouveau avoir beaucoup de sens.

*

Joana Ramiro est une journaliste, écrivaine, communicatrice et commentatrice politique basée à Londres.

Article d’abord publié par Jacobin, traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

Illustration : Ana Mendes / Wikimedia Commons.

Lire hors-ligne :