Préfigurations dialectiques de la rédemption. Violence, état d’urgence et métaphysiques de l’espérance à Oaxaca (2006)
Pour toute l’espérance qu’ils nous ont léguée,
Alberta Cariño Trujillo de l’organisation CACTUS
Tyri Antero Jaakkola, militant humaniste finlandais
Introduction : message et utopie
En regardant le temps passé dans le présent, nous pouvons constater qu’autour des problématiques sociales de la violence, de l’utopie et du messianisme, se manifeste le vertige de l’expérience subsumée dans la communication du mensonge et de la violence de l’histoire officielle. Mais s’exprime aussi, dialectiquement, le désir de sauver depuis l’intérieur des multiples socialités ce qui se roule dans la frustration avec l’extérieur de l’horreur de la vie quotidienne. En ce sens, la pensée critique de Carlos Monsiváis1 (2009 : 16) propose de regarder le temps comme ce qui « se laisse attraper par l’horloge pour fuir l’ennui de l’éternité » afin de récupérer le temps construit dans les actions destinées à vaincre les logiques de fragmentation de la mémoire dans l’oubli. En effet, si nous restons sur l’affirmation positive et descriptive du gris sur le gris de la vie, sans la possibilité de l’action pour le changement revendiquant une affirmation d’échappée, de résistance et de rébellion, nous pourrions perdre l’exécrable et consciente substance qui s’exprime dans des pratiques de lutte contre la pauvreté2 et la violence institutionnelle.
Il nous faut souligner que cette réflexion est centrée sur la critique de la métaphore de l’évasion, celle qui tourne le dos à la réalité, sans s’impliquer concrètement dans un désir de changement. Notre préoccupation n’est pas une critique absolue de la nécessité de fuir. Elle porte sur la perte de sens des rêves qui, dans leur fuite de la réalité, demeurent sans le rêve des rêves concrets de l’expérience questionnant le monde de l’exploitation. Nous faisons référence à ces rêves-projets qui s’éloignent du monde pour construire une utopie transfigurée par le réalisme de la mort organisée dans le système de la langue. Je me réfère précisément à l’expérience intérieure. Directement liée aux relations externes, elle s’exprime par la parole ou par les mots. Échos de l’espérance, ils se concrétisent dans la construction de l’événement, dans les actions et les préfigurations de la douleur traduite dans la tristesse, voire la colère. Ainsi, la pensée prend du recul par rapport au monde réel de l’exploitation, de nouvelles réflexions et possibilités surgissent contre l’horreur de la répression. Cependant, vu ce qui se passe sur les barricades de la pensée de la négativité du monde, sa conscience met en pratique des déviations inconscientes contre le réel, le concret de la douleur et la misère du monde de la survie. Elles veulent encore nous démontrer que toute panique face à l’angoisse de la vacuité du monde peut se corriger avec la même horreur, qu’il s’agisse de la pensée mystique du retrait ou de la méditation rationalisée qui favorise l’évasion. Selon Theodor W. Adorno (2003b : 271), la déviation et la fuite contiennent les dangers sociaux de l’utopie, ceux de retomber au centre même de la douleur, de ce qui est fuit, en abandonnant dans l’oubli les significations des espérances messianiques de transformation. « L’évasion est chargée de messages. Et le message, à l’opposé, apparaît pour ce qu’il est : la volonté de fuir la fuite. Il réifie la résistance à la réification […]. Détaché de la logique immanente de l’œuvre, de son sujet même, l’idéal devient lui-même un sujet qu’on peut tirer des réserves, qui est donc à la fois accessible et nul, réforme des abus à réparer, assistance sociale glorifiée […]. L’esprit pratique du message, la démonstration tangible de ce qu’il faudrait améliorer, pactise avec le système dans la fiction d’un sujet social collectif – qui n’existe pas du tout actuellement – et qui remettrait tout en ordre, pourvu qu’on se rassemble pour voir où est la racine du mal […]. Le message devient évasion : celui qui met énergiquement la main à la pâte quand on nettoie la maison où il habite, oublie les fondements sur lesquels elle a été construite ».
Préfigurations et vertiges de la fragilité subsumée
Les expressions empiriques du fétichisme du pouvoir et de la domination du Capital, écrasant le moindre détail qui échappe à sa domination, sont, en même temps, de convaincants témoignages des présages de l’avènement du totalitarisme du marché. Au cours de ces dernières années, Oaxaca (ou plus exactement l’insurrection dont elle a été le théâtre) a montré que vivre des préfigurations du désir d’une autre réalité, penser un autre monde que la condamnation à la misère et à la famine naturalisées, ou survivre dans la contradiction en pensant un autre monde, est en relation avec les conditions du pouvoir de la destruction de la nature, la fragile force messianique (Walter Benjamin, Thèse II du concept de l’histoire3) écrasée par le temps de la violence de l’Antéchrist (Thèse IV) capitaliste qui n’a cessé de vaincre. En effet, Benjamin sauvait les éclats épars du miroir brisé, les significations spirituelles envisagées comme des configurations du temps de transfiguration théologique d’espérances, fantaisies imaginaires du monde, possibilités de fragile expérience de rédemption qui se cachait car petite et laide, comme le nain bossu (Thèse I), sous les reflets des ruines de la catastrophe du mythe du progrès – preuves du pouvoir de l’Antéchrist.
Si les manifestations des espérances s’estompent sous l’Ornement de la Masse (Kracauer, 2008) ou faiblissent face à la douleur des mitrailleuses et des canons du pouvoir, l’interprétation de leur développement reste la source fondamentale de leur connaissance. Comme Siegfried Kracauer (2008 : 51-52), nous persistons à mettre en exergue ces discrètes expressions superficielles de l’illusion pour montrer que ces manifestations sont des illuminations probantes des jugements de l’époque. En ce sens, Oaxaca montre que cette dynamique de violence exercée sur les vivants, mais aussi sur les morts, est l’expression des illusions de la liberté. Celles-ci sont fragmentées par les intérêts matériels de l’ontologie du marché (folklore) des catégories de la vérité et du mensonge de la violence du Capital, orchestrée par les institutions du pouvoir. Ainsi, nous affirmons que si les manifestations et les barricades du monde moderne, celles d’Oaxaca en 2006 inclues, sont une autre expérience du viacrucis de la fiction de la liberté portée par la violence, elles sont aussi le convaincant témoignage de l’importance de ce qui est inconscient et de ce qui garantit l’accès à ce qui existe dans une époque de violence actualisée dans État d’exception (Agamben, 2003 ; 2002) de la Société du spectacle (Debord, 1992). Nous affirmons donc, avec Kracauer, qu’une époque d’espérance dans l’histoire peut être davantage reconstituée à partir de ses discrètes expressions superficielles (tues par les radios et télévisions de « Big Brother »), intériorités inconscientes de la pensée, qu’à partir des jugements généraux qu’en fait l’époque même. Étant donné que ces jugements n’en sont pas un témoignage général convaincant, ces discrètes expressions, de par leur nature inconsciente, garantissent un accès immédiat au contenu fondamental de ce qui existe dans sa forme complète (ornement de masse). Son interprétation est liée à la connaissance de l’époque et de ses impulsions inaperçues, qui s’illuminent réciproquement.
Ainsi, en dépit de l’espérance affaiblie par la démolition et les réaménagements touristiques des rues, promenades et places, par les mannequins déguisés en indigènes sur le marché des rituels, et par la peur orchestrée par les patrouilles de milliers de policiers et militaires déplacés, des centaines de milliers d’habitants d’Oaxaca et de Mexicains recommencent à croire qu’un autre monde est possible. Malgré les gros plans sur la violence dirigée par le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui, depuis, a perdu la magie instrumentalisée par le pouvoir (personne ne peut dire que la participation de ses milices aux violences est une interprétation hallucinée), nous pouvons regarder à la lumière des manifestations l’omnipotence déployée pour réprimer ce qui a été poussé à l’extrême. Il s’agit des discrètes expressions superficielles de l’illusion des gestes, du langage et des mots de « no más sangre » – « pas plus de sang » – à la recherche de l’instauration d’une paix et d’une harmonie enfin éternelles.
Les nouvelles formes de répression néolibérale spécialisent leurs transports pour pénétrer les ténèbres de l’enfer du Capital. Cependant, les barricades d’Oaxaca en 2006 et les murailles de l’esprit de résistance s’éloignant de la violence mettent autant en évidence, dialectiquement, l’éternité de l’horreur du chaos des antagonismes exprimés dans les cris et les représentations des vierges des barricades et les niños santos4 de l’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO) que l’histoire de l’espérance écrasée par les armes et les tanks. Nous insistons car, pour nous, il ne s’agit pas de solliciter les statistiques d’une époque pour faire des comptes, celui des morts, des disparus et des blessés, au cours d’une nouvelle odyssée de l’antagonisme fétichisé dans l’apparente domination de gouvernants et d’institutions invincibles. Il ne s’agit pas non plus d’observer dans cette société du spectacle les loisirs de la guerre des corps en costumes folkloriques, ou en maillots de bain, asexués de l’humain et du sens sensuel de la parole et du mouvement. Nous voulons souligner comment le perfectionnement des forces productives et des systèmes de communication, en exécutant des contorsions commémoratives avec les morts de l’histoire, intensifie la lutte de classes et la chosifie dans les masses ordonnées par le développement touristique de l’humain substantivé par le marché.
En tant que processus dialectique, la réalité d’Oaxaca a montré qu’un complément interne et irréprochable existe dans l’histoire de l’humanité : la liberté par la métacritique des modèles de la violence implicite à l’intérieur des modèles de rationalité civilisatrice. La lutte pour récupérer la mémoire injuriée n’est pas le masochisme de la douleur ou la répétition mystique et ontologique d’une externalisation du pouvoir et de la domination inculqués sadiquement dans la faute du « péché originel », s’actualisant de manière profane dans la politique. L’objectif de la désespérance est de tenter à nouveau de sauver la connaissance de la parole et l’espérance dans la destruction pour construire le nouveau. Celui-ci est contenu dans les actions et les conséquences de la conscience pour la rédemption de la politique liée à la communauté concrète des rêves de communauté.
Nous devons mentionner que les vérités de la loi et du pouvoir sont irréfutables dans l’expérience empirique, et que les pragmatiques s’épuisent dans la réitération des erreurs stratégiques de la déroute. Nous leur échappons pour écrire nos sensations au-delà des discours du désastre et de la douleur des morts tenus par le marché. Cependant, en dépit des accusations qu’il n’existe pas de liberté dans les médiations d’antagonisme chez les leaders et dans les mouvements, les particularités violentées seraient des préfigurations essentielles de la liberté de l’humain, celle qui se déchire contre l’identité de la douleur dans la prostitution du marché et dans l’espérance de la vie. Ainsi, notre regard veut objectiver les perspectives du sujet d’un monde usé et lézardé ; pour atteindre par la pensée critique, dans l’abîme et les ténèbres infernales, la lumière messianique des paroles que nous lèguent les luttes et les barricades d’une époque. Pour nous, Oaxaca est une preuve de plus des signes négatifs des rêves et de la force de l’humain contre le langage en général (établi et autorisé par le marché), ici et maintenant (nunc) contre le monde de la misère. Des gestes et des empreintes de constellations de processus sociaux montrent par l’expérience que les perspectives antagoniques de paix sans violence poursuivent la recherche de possibilités de souveraineté de la pensée. Le non est un oui en mouvement, à l’intérieur et au-delà du monde. Le oui serait la pratique immédiate de la pensée affrontant la brutale réalité. Dans les rues d’Oaxaca, les regards font re-sortir les régularités et les irrégularités, les normalités et les anormalités du pouvoir. Ils brisent la réification folklorique des lois et de la violence du pouvoir de l’argent alors qu’en même temps, ils se montrent fragiles hors du cercle magique du marché. Cependant, la rédemption des luttes du passé, est une action-clef venant rouvrir la boîte de Pandore. D’un côté se répandent tous les malheurs accumulés de notre humanité ; de l’autre, des espérances transitoires dont on tente de sortir en dépit de tout et malgré la peur de la mort.
À partir des expériences de guerre et de l’extermination des résistances communistes, anarchistes, libertaires, éprises de paix et empreintes de dignité, Adorno, en se basant sur la critique du discours d’identité de la Race supérieure, dite civilisée et qui a recouru au progrès contre les Juifs, nous avertit des conséquences accumulées dans le malheur et la répression calculée par les sbires et les vassaux de la modernité. « Percevoir la constellation dans laquelle se trouve la chose signifie pour ainsi dire déchiffrer l’histoire que le singulier porte en lui en tant qu’advenu. De son côté, le chorismos5 de l’extérieur et de l’intérieur est conditionné historiquement. Seul un savoir auquel est aussi présente la valeur historique de l’objet dans son rapport aux autres objets, est capable de dégager l’histoire dans l’objet ; actualisation et concentration d’un déjà su qui transforme le savoir. La connaissance de l’objet dans sa constellation est celle du processus qu’il accumule en lui. Comme constellation, la pensée théorique circonscrit le concept qu’elle voudrait ouvrir, espérant qu’il saute, à peu près comme les serrures des coffres-forts bien gardés : non seulement au moyen d’une seule clef ou d’un seul numéro mais d’une combinaison de numéros [s’actualisant dans la lutte contre l’ignominie] » (Adorno, 2003a : 201).
Adorno (ibid.) propose de regarder moralement le monde de la vie mutilée à partir du concept même de la réalité. Nous regardons les illusions comme des structures de la réalité. Antagoniques, elles sont faites de violence qui marque les identités qui nous sont imposées dès l’enfance de l’histoire. Pourtant celle-ci se rebelle constamment grâce aux questions posées par la douleur de l’exploitation. Cette approche épistémologique ne contemple pas pour décrire la douloureuse réalité de la violence du marché et du pouvoir qui l’institutionnalise, expérimentée dans l’index veri de la terreur. La pensée, intériorité, se mobilise au milieu des ruines du monde et de l’index falsi des archives et de la communication du spectacle officiel des institutions. Elle sauve les dimensions utopiques ou rédemptrices à l’intérieur des subjectivités. Elle pense à la douleur de l’extérieur, intériorisée dans les corps, pour sauver les significations sociales de la métaphysique des modèles catégoriels du pouvoir. Elle réfléchit à partir de ce qui est délimité pour, de là, extraire le sens contenu dans les contradictions du concret, de tout ce qui est rejeté par la rationalité des corps et des subjectivités. Pour elle, le bonheur des hommes vit au milieu de la peur, souffre au quotidien du poids de la réalité humiliant l’esprit du bonheur possible : comme pensée réfléchissant et agissant (praxis) négativement la non-liberté perpétuelle. En s’appuyant sur Benjamin, Adorno affirme que la théorie de la connaissance doit traverser les déserts gelés de l’abstraction pour arriver au point d’où il devient possible de penser le concret, pour philosopher de manière distincte le vertige de la réalité subsumée. Il affirme que la dialectique est négative et que c’est cela qui permet de dessiner au présent les chemins rétrospectifs des illusions structurelles d’une subjectivité constituée dans les actes concrets de la vie (ibid. : 8).
Nous ne nous intéressons donc pas à reconstituer les préfigurations de l’histoire pour constater que, dans le passé, les illusions de millions d’individus, affrontant fusils et canons, ont été illusoires. Nous ne voulons pas décrire les multiples mystifications ou fétichisations des relations antagoniques dans l’histoire des vainqueurs, mais montrer que les images du passé ne deviennent visibles qu’au travers de lignes échappant aux discours sur les réalités concrètes de misère et douleur du présent. Certainement, la vision dominante des études administrées par l’histoire et la science politique décrit les époques en accumulant des rythmes plus ou moins rapides de ruines et de sang. Nous, nous évitons de regarder la Méduse qui nous pétrifie, nous regardons les espérances dans l’état des choses comme processus historiques de la métaphysique pour continuer à agir avec notre regard. Ces illusions se condensent dans les imaginaires actualisés par la mort, comme un foyer ou comme une communauté discutant de la fragilité messianique écrasée sous les ruines de la déroute. L’expérience de l’APPO montre qu’il n’y a pas d’immobilisme face au fétiche du marché, même quand cette délicatesse de la vie est réduite au silence. Celui-ci est toujours mythifié par les lois de matériaux répressifs de la reproduction de l’accumulation et exploitation au cours des siècles. Nous, nous voulons regarder dialectiquement les images utopiques de rédemption en tant que désirs et aspirations au bonheur de la nature bâillonnée. Ici, au cœur même des idées du présent, exprimées dans les formes conceptuelles de lutte dans la dénommée Commune d’Oaxaca, nous trouvons des éléments significatifs d’idées métaphysiques. C’est pour leur fragilité face au fétiche de l’histoire comme progrès, projeté de manière hégémonique par les vainqueurs, que nous parlons précisément des aspects les plus menacés, rejetés et ridiculisés par les discours dominants. À l’instar de Walter Benjamin, nous constatons qu’il n’existe pas de document de l’histoire culturelle où il n’apparaisse pas de signes de violence. Notre tâche matérialiste de retracer l’histoire des avant-dernières choses (Kracauer, 2006) qui font l’histoire est de souligner les idées constitutives de la structure métaphysique : comment se manifestent les possibilités matérialistes de l’espérance et des aspirations contre la violence.
En d’autres mots, l’objectif de Benjamin, et celui de Marx, était de détruire l’immédiateté mythique du présent, non pas pour la réinsérer dans le continuum culturel qui affirme le présent comme sa culmination, mais pour découvrir la constellation du passé dans le présent. Pour le regard destructeur de Benjamin (2000 : vol. II, 332), rien n’est durable ou statique. C’est pour cette raison qu’il regarde l’horizon, évalue les chemins possibles. Là où d’autres se heurtent à des murs ou des montagnes, il rêve le chemin, celui qui s’ouvrira grâce à la création esthétique. Il ne lutte pas nécessairement par la force, mais par les efforts plus nobles de la vérité. « [Le caractère destructeur] voyant partout des chemins, il est lui-même toujours à la croisée des chemins. Aucun instant ne peut connaître le suivant. Il démolit ce qui existe, non pour l’amour des décombres, mais pour l’amour du chemin qui les traverse » (ibid.). Ainsi, dans un musée de Naples, Benjamin découvrit un torse archaïque d’Apollon qui lui inspira un aphorisme intitulé « torse ». Ce texte (cité dans Buck-Morss, 1989 : note 24) permet de comprendre le regard qu’il porte sur l’image et la beauté du caractère destructeur : « Seul celui qui sait regarder son propre passé comme le monstrueux produit de la compulsion et du besoin sera capable de le récupérer comme précieux pour lui-même dans le présent. Car ce qui a été vécu est comparable à une belle statue dont toutes les extrémités ont été brisées au cours de son transport et dont il ne reste plus qu’un torse somptueux, à partir duquel il faudra sculpter l’image de son futur ».
Au cours de moments difficiles ou dangereux, alors que tout paraît naturalisé par le pouvoir et la domination, apparaissent des dimensions concrètes de l’histoire de la métaphysique dans le présent. En effet, Benjamin affirme que lorsque le monde se retrouve simplifié sous un voile mystificateur, et digne de destruction, c’est à plus forte raison que nous nous retournons sur l’image apollinienne de la recherche de l’harmonie. Il s’agit de manifestations dialectiques de rêves de la connaissance critique, en suspens dans la condamnation du passé, des morts qui s’encadrent dans le silence et les armes du pouvoir rôdant sous les auspices de la loi de la violence. Les cris de l’intérieur, préfigurations de la beauté du passé dans le présent, temps discordants de guerre de la vie, se transforment en échos de résistance, de rébellion contre les calculs technologiques du pouvoir ; de ceux qui transmettent les choses de manière intelligible, mais en les conservant dans l’immobilité du temps répétitif. Les gémissements des victimes continuent à protester avec nous, à hurler la douleur de leurs corps. Ils nous disent que la peur et la souffrance sont dialectiques : ils nous tuent parce qu’ils ont peur de nous. Ils nous montrent que les préfigurations de la violence quotidienne dont nous souffrons ne sont pas souveraines, que la violence divine se transforme en unique souveraine. C’est l’inspiration dialectique de la lutte des classes, ce sont des images du sens pacifique de la Critique de la violence (Benjamin, 2000 : I, 243) contre la mythification de la loi qui régule la militarisation fondatrice du droit d’enfermer, de torturer et de tuer.
Quand l’homme recommence à disparaître dans la dissolution et la fragmentation des paroles utopiques agressées par la violence du marché et la misère, les cris, les échos et les traces de l’histoire du passé resurgissent des cendres de la mémoire pour s’unir aux actes de dignité du présent, pour penser et agir ensemble contre les limites de la subjectivité du pouvoir du Capital. Ainsi, dans la mémoire de tant de préjudices accumulés, nous constatons et nous sentons, à nouveau, les revendications de dignité dans les espaces où la vie est appauvrie par la connaissance de la répétition de l’horreur. En écoutant et en lisant les spécialistes en fosses communes et en ossuaires de l’hygiène politique et de la santé publique de la mort, spatiale et spécialisée dans les institutions du savoir et la politique de l’enfermement institutionnel, nous constatons que le fondement de la mort est, justement, là où s’élaborent rationnellement les scénarii tragiques de la vie, des rêves qui s’échappent pour se sauver, encore et encore, dans le vertige de l’angoisse et l’impatience de la patience.
En demandant comment marcher avec la mémoire, nous recréons des représentations utopiques d’espérance de la théologie-politique et messianique du bien-être ou du bonheur rêvé et perdu dans la douleur des morts (Benjamin, 2000 : I, 263-265). Dans les moments aigus de la crise, la théologie profane de la liberté reprend son sens dans l’attente de l’ère du salut messianique. Nous soulignons qu’il ne s’agit pas de l’attente religieuse de l’acceptation du désespoir. Au contraire, c’est la persévérance de la créature opprimée qui s’actualise dans les carnavals, qui revêt ses nouvelles tenues, créations de l’imagination qui, avec le rêve et les veilles, redevient lutte du sens intérieur de l’humain. Les imaginaires des illusions et des rêves habitent partout. Ils sortent du souterrain de l’éphémère et fragile de la fantaisie pour vivre le tournant exigé par le bonheur absolu de l’extase inspiratrice qui s’échappe du monde. Ces dimensions messianiques du mouvement de la mémoire, permanentes à l’intérieur de chacun de nous, et le silence de la nature aussi, sont des rythmes de l’esprit sécularisé, temporalisé dans la lutte contre les discours vides et homogènes du fétiche de la marchandise et de la naturalisation de la domination dans le concret du Capital.
Siegfried Kracauer affirme que celui qui attend-et-espère et l’intellectuel désespéré ont en commun la dialectique persévérante du négatif positivé dans la négation du monde sécularisé et vidé de l’intérieur de la langue et des mots qui la signifient. « Du côté positif, l’attente signifie un demeurer-ouvert, qui bien sûr ne doit absolument pas être confondu avec une détente des forces spirituelles agissant en direction des choses dernières, mais qui au contraire est bien plutôt activité tendue et active autopréparation. Un long parcours, ou mieux : un saut qui oblige à prendre un grand élan, mène à la vie dans la sphère religieuse, au verbe religieux et jusqu’au lien entre les humains reposant sur la communauté de la foi » (2008 : 117).
Nous pouvons affirmer que la douleur dans le monde ne se résigne pas, elle persévère avec l’âme et les idéaux qui se précipitent dans l’ivresse de leurs visions mélancoliques de l’enfance de l’histoire des rêves. En reprenant les perspectives du rêve d’Ernst Bloch (1980), Benjamin (1993 : 102) affirme : « Faire est un moyen de rêver, contempler est un moyen de rester éveillé ». Pour eux, échapper aux affirmations concrètes irréelles d’amorphes pouvoirs éternels, formes dépouillées de leur sens, est une façon de sauver la raison de l’histoire pour racheter le sens métaphysique du faire absolu, expulsé de l’univers de la nature. Ainsi Kracauer (2008 : 116-117) avance que « le véritable sens métaphysique de son attitude repose sur le fait que l’intrusion de l’absolu ne peut se produire que quand l’être dans sa totalité s’implique réellement dans cette relation ». Nous ne sommes pas seulement des corps pour le travail, le travail est l’expression de nos idéaux et de nos imaginaires les plus profonds. Nous ne sommes pas seulement des corps et des mots : nous sommes le langage et son sens qui se manifeste dans la réalisation active des mots ; nous sommes amour, nous construisons l’amour ; nous sommes désir, nous mettons en place dans nos actions les manifestations de nos rêves ; nous sommes liberté, nous agissons pour la réalisation du sens intérieur qui l’exprime.
Les idéaux, nés dans le monde concret, s’exilent ainsi pour ne pas être enfermés derrière les murs funéraires des bibliothèques ou des musées. Que la lutte des classes reste disloquée ne veut pas dire que les sentiments et la morale ne traversent pas les logiques guerrières de la société capitaliste. Les rêves ne naissent pas hors du monde. Ils surgissent de la réalité. La contemplation est la manifestation de la pratique des rêves réveillés, la solidarité avec la métaphysique de la culture qui ne se laisse pas capturer dans les classifications de l’identité et de sa reproduction technique. Lorsque ce qui est exprimé dans le passé, comme force symbolique et culturelle de la vie en mouvement vers un autre monde, est médiatiquement archivé par le pouvoir comme passé défunt, les contenus sociaux et le sens de l’histoire cherchent des brèches pour échapper aux mausolées de la mémoire pétrifiée sous le regard de la Méduse. En exhumant les dégradations nauséabondes de la vie cadavérique standardisée par les institutions, les souvenirs de l’histoire chuchotent des illusions écrasées par les cauchemars de la violence. Comme Don Quichotte, amoureux d’imaginaires, luttant contre des armées moutonnières et des moulins à vents, comme Sancho Pansa murmurant la réalité aux rêves, l’humanité blessée cherche par où échapper à la force du pouvoir. Elle saute les barrières, contourne les piquets et les contrôles, crie ça suffit ! Elle court pour fuir les armes, parcourt d’énormes distances pour trouver le bonheur qui lui manque. Comme Antonin Artaud, elle traverse des déserts de sculptures fantasmées. Comme Thomas Mann, elle grimpe des montagnes magiques pour exorciser la mort par la pensée, les mots, l’écriture. Comme Marcel Proust, dans l’expérience de l’écriture comme inexpérience du désiré, elle revivifie la critique du monde expérimentée dans le corps et l’âme : « [Proust] est mort d’être étranger au monde et de n’avoir pas su changer des conditions de vie qui pour lui étaient devenues destructrices. Il est mort de ne pas savoir comment on allume un feu, comment on ouvre une fenêtre. Et, bien sûr, de son asthme nerveux » (Benjamin, 2000 : II, 153). Comme Ernesto Guevara lisant Don Quichotte et cherchant à vaincre la violence des siècles, l’histoire nous permet de continuer à voir dans les dernières choses de l’histoire, avant les dernières, ces détails qui, à l’intérieur de la vie, attendent encore d’être rachetés.
Depuis cette réalité du bonheur de l’intime, protégé par le souvenir et l’imagination de ce qui n’a pas encore existé, la force de la beauté et de l’éternel et, encore une fois, la restauration éternelle du bonheur originel du premier bonheur (ibid. : 139) de la parole se remet en route sur les sentiers de la vie. De là, perdue dans les broussailles du quotidien, comme les souvenirs de la madeleine de Proust, vient faire sens le temps utopique de milliers d’hommes et de femmes oubliés dans les archives de l’histoire. Ceux-ci, les nécessaires, dirait Bertolt Brecht, survivants de la catastrophe des sens, résistent parmi les odeurs fétides du passé. À l’instar de Kracauer (1961 : 9), recherchant la « mentalité créatrice » (esthétique) dans les images cinématographiques, au cœur des « odeurs de chair pourrie » du monde totalitaire, les hommes sauvent des potentialités de significations spirituelles pour les reconfigurer en transfigurations théologiques de la fragile expérience messianique de la rédemption du passé.
Dans les villes, les villages et les montagnes, les souffrances quotidiennes expriment les caractéristiques essentielles de la violence du Capital. Elles apparaissent dans les reliefs anthropologiques de la société et dans la culture chosifiée du marché de l’exploitation du corps et de l’âme. En effet, la souffrance et l’accompagnement à la mort des proches rendent consciente l’action immédiate de l’anticipation de notre propre mort qui, sûrement, est une préfiguration de la renaissance de la tragédie en agonie. Cependant, sur les étagères des classifications existent des images dialectiques. Bien que les expressions de la spiritualité de la vie soient écrasées par les comptabilités historiques des cadavres, le désir et l’aspiration survivent dans le vertige de la mort. En effet, les autoritarismes immédiats, naturalisés par l’histoire de la répression, ne dominent pas les espérances impliquées dans les actions de l’esprit. Même lorsqu’elles deviennent des données comptables du passé dans le présent de l’histoire, le sens et la spiritualité s’évanouissent dans d’intimes exils de la vie pour devenir l’esthétique des luttes de l’espérance qui se rebelle encore pour vivre.
En réalité, lorsque la mort intervient, lorsque les conditionnements de la violence aliènent la vie, lorsque les balles atteignent les corps, lorsque les pensées se retrouvent confinées dans la prison de la solitude, nous confirmons qu’il n’y a pas de disparition des sentiments profonds contre la reproduction de la culture dominante. Au contraire, comme les étoiles mortes de l’univers, nous constatons de nouveau que la culture de la vie ne se laisse pas capturer, que les atomes glissent et échappent à la pseudo culture pour ne pas être tus dans les quartiers de la mort. Si nous précédions les morts dans les cimetières, nous pourrions montrer que, dans la tragédie de la culture de la vie, se trouvent des décisions de spécialistes de la gouvernabilité de la mort, montrant ainsi, qu’elle, la mort, est une construction sociale dans toutes ses dimensions, épidémies, catastrophes naturelles, etc. En pénétrant les statistiques, on découvre le sens des sentiments et des pensées sociales. La spiritualité se confond avec les questions du passé que les morts se posaient dans leur solitude. Elle se rebelle contre les techniques gestionnaires culturelles du sacrement, réifié dans les logiques de civilisation du progrès, de la violence du Capital.
San Juan Copala (Oaxaca) et les préfigurations de violence et d’espérance
Les institutions et les corporations de la connaissance organisent les logiques comptables de la culture du pouvoir. Si existent des financements pour l’étude des erreurs et des déviations d’acteurs malades, perdus et affolés par le rêve et l’utopie de la superstition des sauvages, nous pouvons aussi confirmer que, dans les inversions de l’État, figurent des sommes impressionnantes de technologie gouvernementale pour la militarisation et la naturalisation de la guerre. En étudiant les statistiques de la mort6, les conditions sociales dans les rues et sur les routes militarisées, on constate que la violence guerrière s’est naturalisée dans la morale de la loi moderne du Capital. Les nouveaux discours guerriers de la multiculturalité que tient le marché trouvent leur fonctionnalité dans les déclarations gouvernementales et les moyens de communication. On en trouve une parfaite illustration dans le cas, internationalement médiatisé, de l’embuscade de la caravane humanitaire dans la zone triqui, le 27 avril 2010, à San Juan Copala. Cette région abandonnée à l’oubli et aux manœuvres de silence gouvernementales, devient aujourd’hui, six ans après la répression des manifestations de 2006, le centre de connaissance des conditions d’existence déplorables qu’organise la civilisation capitaliste. C’est grâce à des réseaux alternatifs diffusés sur internet que nous avons été informés de l’agression à armes lourdes d’une caravane humanitaire qui se dirigeait vers la municipalité de San Juan Copala. María Dolores París Pombo (2010) signale que pour l’empêcher de rompre le siège de San Juan Copala – organisé et financé militairement par le pouvoir –, les membres de l’organisation Unidad de Bienestar Social de la Región Triqui (UBISORT7) et peut-être aussi le Movimiento de Unificación y Lucha Triqui (MULT8), corporations paramilitaires coordonnées par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) du gouverneur Ulises Ruiz, préparèrent une embuscade au cours de laquelle furent assassinés Alberta Cariño Trujillo de l’organisation CACTUS et Tyri Antero Jaakkola, militant humanitaire finlandais. Les autres participants, certains blessés, durent fuir l’horreur de la mort organisée et furent portés disparus plusieurs jours. París Pombo (ibid.) affirme que « les quelque 700 habitants de la municipalité autonome (organisée par des dissidents des deux organisations), à l’origine de la création de la Municipalité autonome de San Juan Copala (MASJC), assiégés par les membres armés de ces organisations, n’avaient plus accès aux services de base de l’eau et de l’électricité. Le médecin du centre de santé avait dû partir, les enfants n’allaient plus à l’école. » Les experts médiatiques expliquent que ces massacres dans les régions indigènes sont le résultat de conflits identitaires et intercommunautaires, inhérents au caractère primitif d’Indiens qui s’affrontent de manière récurrente pour la domination de la culture et des peuples de régions sans civilisation. Ainsi, de la même manière que dans la guerre contre les narcotrafiquants, les massacres culpabilisent les victimes, rationalisations de l’Autre par la naturalisation des tribus, décrites comme des barbares et des sauvages de la modernité. Ainsi s’exprime la bonne conscience de la subjectivité urbaine et métisse, par la culpabilisation des morts et des blessés ; ils ont fait une erreur, on ne sait pas pourquoi, ni quel cerveau machiavélique les a jetés dans la gueule du loup (y compris les étrangers qui violèrent la loi migratoire), dans des zones sauvages, sans loi ni règles de comportement.
Si nous analysons les commentaires des politologues institutionnels, ces conflits indigènes ne sont pas le résultat du colonialisme et de la crise de la civilisation capitaliste. Selon les responsables politiques de la justice, le conflit est atavique, fait partie du choc des civilisations, une guerre de barbares en action. Ces discours présentent ces militants comme des naïfs, des humanitaires ignorants incapables de comprendre le danger. Ils n’informèrent pas officiellement les autorités du gouvernement de leur déplacement, ils agirent sans responsabilité. Quelle coïncidence ! Les indigènes de l’UBISORT, liés au gouvernement, eux, le savaient et préparèrent l’embuscade, sans respecter d’autre loi que celle de la violence des autorités politiques qui dominent les sept régions formant l’État d’Oaxaca. Dans la même logique, aux dires des avocats du ministère de la Justice, la caravane a fait irruption au centre d’une guerre ancestrale d’indigènes triquis, des sauvages violents qui passent leur temps à s’entretuer entre communautés.
Dans ces affirmations, les racines de classe disparaissent, de même que les désirs de ces militants pour la démocratie et la justice dans la région. Les stratégies gouvernementales du pouvoir local et régional lié au gouverneur Ulises Ruiz, avec ses « cohortes de partisans barbares indigènes », participent aussi de cet imaginaire de l’homme sauvage qui persiste à ne pas comprendre les normes et les lois de la civilisation. On croirait se retrouver en pleine guerre coloniale du XVIe siècle. Ainsi, selon María de la Luz Candelaria Chinas, procureur d’Oaxaca, l’embuscade, la mort et la persécution des militants sont, tout comme le siège des communards de San Juan Copala, le résultat de « conflits enracinés, de problèmes territoriaux et de droits coutumiers, d’ailleurs en marge de la loi » (Castillo, 2010 et Muñoz, 2010). Comme dans les justifications actuelles de la guerre du Chiapas, les groupes indigènes refuseraient d’écouter la voix du maître civilisateur, de fait autorisé à les tuer ou à les abandonner comme des bêtes sauvages perdues dans les montagnes. Les déclarations du procureur confirment la naturalisation de la violence de choc des civilisations, dans un état catalogué par le pouvoir comme inhumain, anormal, retardé, sauvage par nature, sans loi ni programme de développement. « Oaxaca est une population atypique, avec 570 municipalités et des milliers de localités, ce qui, ajouté à sa situation orographique et géographique, rend la communication difficile » (ibid).
Si nous considérons ces déclarations, les raisons de la violence et la réponse de ces populations ne se trouvent pas dans la pauvreté mais dans les retards de spiritualités qui se sont refusées à monter dans le train de la modernité. Cependant, lorsque nous regardons la douleur des morts à partir de l’éthique (au sens étymologique des racines du mal), ou d’une conception de la politique comme conflit, nous constatons que dans la région triqui, et en dépit des carences en ressources publiques, parviennent des millions de pesos canalisés par le MULT et la UBISORT (París Pombo, 2010) pour le contrôle et la militarisation de la zone. Ces ressources proviennent-elles des impôts ? Ont-elles pour objectif de lutter contre le terrorisme d’insoumis qui ne comprennent pas et violent les lois de la civilisation ? Si nous observons les intériorités des mots et les structurations des millions de pesos, les intentionnalités de classe resurgissent. Ce ne sont pas des abstractions de la corruption dans la civilisation capitaliste ni une aide au développement régional. Les stratégies d’autonomie relèvent de luttes contre les privatisations organisées par la globalisation néolibérale. Ce sont des espaces de lutte des classes, non des négativités sans signification économique, sociale, culturelle et politique. « Chacune de ces organisations gouverne différents quartiers de Copala avec la connivence et le soutien politique du gouvernement de l’État, avec les armes et le contrôle total du budget qui parvient à « leurs » communautés, que ce soit par les agences municipales ou directement aux leaders. En septembre 2003, dans une interview que j’ai réalisée [París Pombo] dans le quartier Rastrojo, auprès de Rufino Merino, dirigeant du MULT, celui-ci se vantait d’avoir reçu du gouverneur plus de 15 millions de pesos pour réaliser les travaux de revêtement de la route de Putla à Juxtlahuaca qui traverse la région et est actuellement impraticable. Par ailleurs, selon des documents du ministère du Développement social, la même année, cette même organisation a reçu du programme Oportunidades (du gouvernement fédéral), la somme de presque 18 millions de pesos, plus que toute autre organisation, même officielle, de l’État d’Oaxaca. Nous devons signaler qu’à la différence d’autres zones rurales où fonctionne ce programme qui octroie des bourses aux mères de famille, les agences municipales de la région triqui « récupèrent » la totalité des soutiens financiers pour l’utiliser en fonction de leurs priorités » (ibid., 2010).
Substance de la violence, pensée critique et rébellion
Si nous poursuivons le raisonnement, nous pouvons nous demander quelles sont les motivations du financement d’UBISORT et de MULT. Quelles seraient les intentionnalités présentes dans les préfigurations des luttes contemporaines ? Que veulent civiliser ces soutiens du gouvernement fédéral et quelles sont les priorités des agences municipales dirigées par des agents gouvernementaux ? Pour répondre à ces questions depuis notre nature injuriée par les agressions de l’État de droit et sa violence, retournons à notre point de départ. Que signifie vivre au milieu de la violence totalitaire du monde concret ? Les images monologiques des moyens de communication de la démocratie sont-elles naturelles ? La violence déchaînée par l’armement destructif fait-elle partie de la nature des hommes ou est-ce le modèle des lois de l’existence ? Devons-nous accepter la violence comme l’invariable existence de la condamnation de notre nature ? Pourquoi l’humanité doit-elle s’interroger chaque jour sur l’existence violentée par les lois des puissants ? Est-ce que cela servirait de se faire violence en s’interrogeant sur le gris de l’existence de la violence au quotidien ? Pourquoi nous faire violence avec des questions si s’est naturalisée la mort de tant d’hommes, femmes et enfants causée par la misère, la faim et la violence ? Pourrions-nous penser à nouveau la critique de la violence des militaires ? À quoi sert de nous interroger, avec l’aide de l’éthique et de la morale, sur les origines du mal ? Les sentiments, rêves et mots de la recherche du bonheur, hérités de l’histoire, auraient-ils un sens ? Que peut expliquer le sens du cri « Ça suffit ! » de tant d’hommes et de femmes dans le monde ? Est-ce que continuer à comptabiliser les chiffres de la « pauvreté » et des catastrophes naturelles sert à quelque chose ? Pourquoi insister avec les illusions métaphysiques s’il existe une efficacité évidente dans les catégories de la vérité et la fiction du repentir dans État d’exception (Agamben, 2003 ; 2002) du marché capitaliste ?
Si nous nous penchons sur ces questions et si nous les centrons sur les conséquences du capitalisme et de la catastrophe annoncée il y a des centaines d’années, nous remarquons que la science empirique déploie tous les moyens politiques et culturels de la naturalisation du Capital comme chemin à suivre pour atteindre le progrès. « Jean-Claude Milner, dans L’Archéologie d’un échec, a identifié clairement le principe au nom duquel s’est accompli ce processus : transiger. La révolution devait transiger avec le capital et avec le pouvoir comme l’Église avait dû pactiser avec le monde moderne. Ainsi, petit à petit, a pris forme la devise qui a guidé la stratégie du progressisme dans sa marche ratée vers le pouvoir : il faut céder sur tout, réconcilier toute chose avec son contraire, l’intelligence avec la télévision et la publicité, la classe ouvrière avec le capital, la liberté de parole avec l’État-spectacle, la société avec le développement industriel, la science avec l’opinion, la démocratie avec l’appareil électoral, la mauvaise conscience et l’abjuration avec la mémoire et la fidélité » (Agamben, 2002 : 147-148)9.
Dans cette perspective sur les préfigurations, on ne pourra nier que les conséquences sont énormes. Le développement et le progrès de la civilisation capitaliste exigent des sacrifices humains, dont la consommation a été, est et sera transformée en ontologie construite pour satisfaire tous les plaisirs en ce monde et restreindre la pensée, même dans les milieux académiques où l’on se charge de l’organiser et la contrôler grâce aux calculs de la tautologie (Adorno, 2004).
En présence de la faim, de maladies et d’épidémies, l’éthique et la morale scientifique du marché (recherche du mal) commanderont des statistiques aux spécialistes de la santé. Il s’agit de surmédicaliser, de prescrire pour démontrer l’importance de la science médicale et aussi satisfaire le marché de la chimie. L’industrialisation pour sauver l’humanité de maladies créées par la contamination, comme dans le cas de l’épidémie de grippe dite mexicaine H1N1 en 2009 (Chaouat et Silberstein, 2009), permet que se vendent des millions de médicaments pour nous sauver de la mort. Ce paradigme scientifique, sciences sociales et sciences exactes confondues, éduque pour répondre à l’immédiateté de la vérité du monde du progrès vers l’utopie capitaliste. Pourtant, il est rare de voir dans les médias une remise en cause du système capitaliste faisant des millions de victimes. Les statistiques deviennent un modèle de consommation pour sauver des millions de malades du grand hôpital appelé société.
Il existe des problèmes d’éducation, mais aussi entre éducateurs. Certains luttent pour de meilleures conditions de vie, contre l’éducation capitaliste et l’exclusion. Cependant, la réponse sera de créer des écoles pour former des professeurs et des élèves qui reproduiront les logiques du marché. Au Mexique, on critique les enseignants, paresseux et autoritaires, pour imposer l’application de programmes gouvernementaux (appelés Enlace) qui définissent des échelles de niveau éducatif et on met en place une Alianza para la calidad de la educación (intervention d’audits du secteur privé payé par l’éducation publique), sans tenir compte des différences géographiques et de pauvreté. Dans cette logique, tous sont égaux dans la liberté invoquée par le capital. Les causes concrètes de l’inégalité d’alphabétisme et des problèmes salariaux des enseignants sont diluées et orientées vers la culpabilisation des programmes ou l’application défaillante des schémas éducatifs abstraitement déterminés.
Face aux problèmes écologiques dus au réchauffement climatique, à la désertification, aux catastrophes consécutives au déversement de millions de litres de pétrole dans les océans, aux accidents nucléaires, créés par les logiques de surconsommation du Capital, la loi se retourne à nouveau contre les « mauvais élèves » capitalistes (irresponsables), sans s’appesantir sur les causes évidentes de la ruine mondiale. Il suffit de regarder les médias et les politiques qui remettent en cause la corruption et l’alliance entre patrons et gouvernements. Ce n’est donc pas le système économique, otage du pétrole (énergie de production et transport…), à l’origine de la contamination qui est pointé du doigt dans cette catastrophe écologique, mais toujours de tristes personnages ou des entreprises irresponsables, jamais le système dans sa globalité.
Le racisme et l’exclusion sont considérés comme la responsabilité et la faute d’hommes « méchants », blancs ou noirs, ou de femmes perverses. Jamais ne sont remises en cause les racines généalogiques, matérielles et concrètes de la mentalité coloniale pour dominer et exploiter les ressources naturelles de l’Autre, pas plus que l’expropriation des moyens de production ou les guerres dans les causes de l’exode des populations. Les affrontements communautaires seront expliqués au moyen de rationalités corporelles de couleur, par des histoires ethniques ou, comme dans le cas des Triquis dans l’État d’Oaxaca, par l’invocation de la violence ancestrale toujours plus ou moins latente de ces groupes communautaires. Les coupables seront de méchants racistes (même les fascistes) fragmentés par les intérêts pervers et malades de l’humanité. Mais nous pourrions aussi nous souvenir que lorsqu’augmente le nombre de migrants, réfugiés et expatriés (parias, voir les définitions de Eleni Varikas, 2007) à la recherche de travail, se renforcent aussi dialectiquement les « bons » droits humains (financés et acceptés dans la morale du capital) et la présence policière dans le contrôle des trains, des camions et des bateaux de la honte, tous traversés par les logiques du marché du travail.
Notre proposition est de recommencer à penser les intériorités, l’invisible dans les discours dominants. C’est à partir des intériorités de la subjectivité des corps et des territorialités de l’humanité terrorisée par la catastrophe que nous devons penser les conditions du monde moderne. Cette réflexion sur notre vie quotidienne devra impliquer la critique du monde élaborée à partir de questions créant des idées qui rêvent et imaginent des possibilités de salut. Pour Pablo González Casanova (in Montaño, 2010), sociologue et professeur émérite de l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), les idées de la pensée critique dans les sciences sociales sont d’une importance centrale. En effet, elles affrontent les problèmes centraux de la crise du néolibéralisme. Celle-ci est directement liée aux catastrophes provoquées par les logiques du capital, non seulement à la destruction des ressources naturelles, mais aussi à la disparition de la vie sur la terre, « le danger de l’écocide ». Bien sûr, pour González Casanova, le système actuel est incapable de résoudre ces problèmes de société. Pour lui, « la disparition d’une humanité qui souffre dans sa plus grande majorité, ajoutée au danger de la militarisation et des armes, sont les préfigurations d’une guerre sans précédent dans l’histoire de l’humanité […], bien plus probable que ce que nous pouvons imaginer ». En d’autres mots, la pensée critique, liée à des pratiques dans des projets alternatifs, ne s’affronte pas à des pouvoirs abstraits comme l’État, mais à des schémas d’accumulation de profits, et à des institutions concrètes de guerre sans précédent (armes nucléaires et chimiques). González Casanova affirme que, sans prendre en compte l’ex-Union Soviétique, les États-Unis ont amélioré le système de lancement de plus de 500 missiles.
La pensée critique, qui affronte ces logiques de destruction, est culpabilisée par différents mécanismes de contrôle et de répression. Pour Pablo González Casanova, il existe d’« importantes probabilités » pour qu’avancent les projets alternatifs, comme ceux des Caracoles et Juntas de Buen Gobierno zapatistes au Chiapas ou les différents projets autonomes de différentes communautés indigènes au Mexique, comme les villages zapatistes et les Triquis d’Oaxaca assiégés par les militaires. Cependant, González Casanova souligne immédiatement qu’« il est nécessaire d’avoir de la force parce que la lutte n’a pas seulement lieu sur le terrain des armes, mais aussi sur celui des idées, car le pouvoir a recours à tous les moyens disponibles pour détruire celui qui n’accepte pas les idées que l’on veut lui imposer » (ibid.). C’est le cas de l’écrivaine Laura Castellanos, que sa pensée critique a exposée aux filatures et aux menaces. Elle est l’auteur de deux œuvres qui traitent des groupes armés au Mexique : Mexico Armado : 1943-1981 et Corte de Caja. Cette dernière contient une longue interview du sous-commandant Marcos de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Elle a expliqué à Article 19 (2010) qu’à chacune de ses apparitions publiques, un incident avait généralement lieu dans les jours suivants. « Je suis consciente que l’objectif est de m’intimider et de me faire taire. Comme j’ai décidé de continuer mon travail, ce qui m’inquiète vraiment c’est le fait que l’intensité de ces actes augmente graduellement ».
Nous pouvons affirmer que les images produites dans ce processus de lutte, préfigurations de violence et espérance, ne proviennent pas d’esprits grandioses ou de professionnels de la manipulation. Ces images qui, finalement, sont le reflet de la mort si quotidienne, sont le produit de la réalité. Comme de nombreux scientifiques à travers le monde, nous nous demandons pourquoi tant de découvertes et connaissance ont servi et servent la technologie de la mort, l’élimination de l’Autre comme dans la « solution finale » ? Pourquoi les progrès de la technologie ont-ils été et sont-ils utilisés pour la destruction de la nature ? Comme beaucoup d’autres éducateurs de la pensée critique nous nous interrogeons encore. Pour former des techniciens de la mort dans les prisons, des architectes de lotissements idylliques protégés par des fils barbelés électrifiés ? Pour éduquer des persécuteurs, des ravisseurs, des tortionnaires ? Face à l’histoire des génocides et devant la mémoire des morts écrasés sous les ruines du capitalisme, nous nous demandons : pourquoi défendre une connaissance critique qui nous amène à tant d’affrontements et de morts ?
Une fois encore, face à l’évidence de la destruction, les idées de la pensée critique ouvrent des possibilités d’émancipation. Bien sûr, aussi, se fait évidente la peur déployée par l’installation de la société du spectacle (Debord, 2002) aux tentacules répressifs, organisés dans la « gouvernabilité militarisée » d’État d’exception. Néanmoins, face à cette situation légale de la catastrophe, les préfigurations que nous ressentons sont dialectiques, et les sciences sociales doivent être conscientes du danger qu’implique une réflexion critique. Nous effondrerons-nous, déraillons-nous, nous fourvoyons-nous, nous suicidons-nous face à la catastrophe, ou sauvons-nous les expériences de la lutte des classes des profondeurs de l’histoire ? Devons-nous nous organiser, tenter de nous gouverner alternativement, ou devons-nous laisser tuer nos espérances et nos utopies d’une autre société ? Devant les conséquences évidentes du marché, González Casanova (Montaño, 2010) est incisif. « Nous avons l’alternative la plus riche dans l’histoire des idées sur l’émancipation humaine puisque nous avons déjà l’expérience dont les autres manquaient […] pour forger théoriquement une alternative au monde où nous vivons. Chacun va choisir ce qu’il fait dans les sciences sociales. Et si celles-ci lui paraissent dangereuses, alors je lui conseillerai de se consacrer aux sciences naturelles ». Aussi, les expériences des zapatistes dans les Juntas de Buen Gobierno et dans les Caracoles pourront-elles devenir des formes alternatives de résistance, mais aussi d’indignation et de rébellion face au déploiement des forces armées contre la pensée critique rénovée et les expériences de gouvernement alternatif.
Traduction Sylvie Bosserelle
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à voir aussi
références
⇧1 | Carlos Monsiváis est décédé le 19 juin 2010. Mes pensées s’unissent à cet autre mémorable requiem de l’histoire. |
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⇧2 | Le nombre de pauvres a augmenté au Mexique ces deux dernières années (2008-2010) de 48,8 à 52 millions de personnes. L’extrême pauvreté atteint le chiffre de 11,7 millions. Si le revenu par foyer a diminué, en particulier dans les zones urbaines, le nombre de personnes qui parviennent difficilement à accéder à l’alimentation a augmenté. En mai 2005, les trois personnes les plus riches du monde avaient des revenus supérieurs au Produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble des 47 pays les plus pauvres. Aujourd’hui l’homme le plus riche du monde est le mexicain Carlos Slim Helu avec 53 500 millions de dollars. |
⇧3 | Dans ce texte, nous mentionnons les Thèses sur le concept d’histoire par leur numération. Les citations ont été extraites de Walter Benjamin,Œuvres, III, 2000, Gallimard, Paris. |
⇧4 | La tradition catholique mexicaine se manifeste, entre autres, par une cérémonie spécifique à la Chandeleur le 2 février. Chaque famille commémore la présentation au temple de l’enfant Jésus. Cette représentation de l’enfant Jésus est donc retirée de la crèche de chaque domicile. Il est revêtu en fonction de leur prière pour être béni par le prêtre. Ainsi le 3 février 2007 est apparu à Oaxaca un enfant Jésus APPO, revêtu d’un casque, bouclier et foulard lui masquant le visage, muni d’une fronde et d’un bazooka. Cette nouvelle image de l’enfant dieu avait pour but d’intercéder en faveur de la démission du gouverneur Ulises Ruiz. La prière qui accompagnait l’image dit : « Depuis cette humble demeure, je te demande à toi, enfant APPO, que tu empêches que cette lutte soit vaine, que la mort de nos compagnons ne soit pas impunie, que les prisonniers soient libérés et que les persécutés et exilés retrouvent la liberté pour retrouver leur foyer. » |
⇧5 | Selon le Greek Philosophical Terms, le chorismos serait une brèche ontologique entre le monde des formes et le monde de l’apparence qui, pour Adorno, est conditionnée historiquement. |
⇧6 | Le nombre de victimes de la guerre menée au Mexique contre les narcos, initiée en décembre 2006 par le président Felipe Calderón, a atteint, en avril 2011, le chiffre de plus de 40 000 personnes, parmi lesquelles de nombreux civils innocents (SDPnoticias.com, 2011). Pour contextualiser cette violence touchant de larges couches de la société mexicaine, ainsi que les manifestations organisées contre la guerre et ses conséquences meurtrières, voir Javier Sicilia, Estamos hasta la madre, Temas de hoy, Mexico, 2011. Voir aussi « Mexique : plus de 85 000 manifestants contre la violence », Le Monde, 9 mai 2011. |
⇧7 | Union de bien-être social de la région triqui. |
⇧8 | Mouvement d’unification et lutte triqui. |
⇧9 | Souligné par Giorgio Agamben. |