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Malgré le souhait de Jacques Rancière de ne pas faire de son livre le plus célèbre, Le maitre ignorant, un livre de ou sur la pédagogie, celui-ci a été souvent été lu sous cet angle. Dans cet article, Daniel Süri revient sur les débats suscités par l’ouvrage, relativisant ainsi la lecture émancipatrice dans le domaine éducatif qui en a été souvent faite. Puis il développe une critique des approches de Jacques Rancière quant aux rapports entre savoir et émancipation. Il pointe ainsi les limites de la pensée ranciérienne et son refuge dans une forme d’esthétisme politique.

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Le Maître ignorant de Jacques Rancière semble avoir bonne presse auprès de ceux et celles qui voudraient redonner un dessein émancipateur à la pédagogie. Laurence de Cock parle ainsi d’un « ouvrage fétiche des pédagogies d’avant-garde », expliquant ensuite que « pour une bonne partie de la gauche radicale, Le Maître ignorant est la bible de la pédagogie d’émancipation »[1]. Tout en déniant à la méthode d’enseignement universel de Joseph Jacotot, sur qui s’appuie Rancière, une pertinence actuelle :

« son efficacité, voire sa transposition en contexte d’éducation de masse, de l’éducation primaire au lycée, est peu plausible au regard de ce que l’on connaît des théories d’apprentissage et de leur caractère socialement différencié ».

Un constat que ne renierait pas Jacotot, qui jugeait que le développement de l’enseignement public — et de sa pédagogie renouvelant constamment la domination du maître sur l’élève, du savant sur l’ignorant, — signifierait la mort de sa propre approche. Rancière aussi considère que la validité des propositions de Jacotot se limite à une période historique, sauf en ce qui concerne le principe égalitaire développé dans l’égalité des intelligences de Jacotot, qui deviendra fondateur et anhistorique.

Dans la présentation qu’il fait de Jacques Rancière dans la série « Je serai des millions[2] », Olivier Besancenot donne à l’égalité des intelligences une transposition politique claire :

« Or, les exploités, les opprimés […] n’ont besoin de personne pour savoir qu’ils sont exploités, comment ils sont exploités et pourquoi ils le sont. Et n’ont surtout pas besoin de gentils professeurs rouges, roses, noirs, arc-en-ciel, vous pouvez mettre toutes les couleurs que vous voulez, pour leur expliquer leur situation. Ils et elles le savent. L’enjeu, c’est d’avoir des cadres de confiance collectifs qui nous permettent de comprendre la situation, d’élaborer des solutions alternatives. Il y a une belle formule de Jacques Rancière qui dit par exemple que l’abrutissement du peuple ne tient pas à un déficit d’instruction, mais en la croyance de son infériorité intellectuelle. »

Besancenot est en cela fidèle à Rancière, qui répétera constamment que les prolétaires n’ont pas besoin d’explications pour savoir ce qu’est l’exploitation. La question du rôle des savoirs, en particulier théoriques, n’en est pas réglée pour autant, même si Rancière leur dénie toute fonction dans l’émancipation, conçue d’abord comme une subjectivation.

Pédagogie, émancipation, rapport au savoir se répondent et s’entrecroisent dans Le Maître ignorant et ses lectures. À partir, toutefois, de ce qui est plus une belle histoire qu’une réalité historique.

Scène fondatrice et enjolivement

L’épisode fondateur qui a permis à Jacotot de développer son Enseignement universel et à Rancière de populariser la figure du Maître ignorant est souvent présentée, conformément à ce qu’ils en disent, comme suit :

« Rappelons en deux mots que Jacotot, sous la contrainte des circonstances, a découvert qu’on peut enseigner ce qu’on ignore : on peut enseigner le français aux Hollandais même si on ne parle pas un mot de leur langue. » [3]

Ce résumé, courant dans la littérature consacrée à Rancière, soulève un premier problème lié à l’interprétation de l’expérience que fait Jacotot à l’Université de Louvain, en 1818, où il est lecteur de français. Elle lui servira à affirmer la nécessité d’être un Maître ignorant pour enseigner de manière émancipatrice. Pourtant, il n’ignore rien de ce qu’il enseigne, à savoir le français et se prévaut d’un doctorat ès lettres, en plus de ceux en sciences et en droit.

Par ailleurs, le fait d’enseigner le français à des personnes sans connaître leur propre langue (ici le hollandais selon Jacotot, en réalité le flamand) est une situation assez courante dans les cours de français comme langue étrangère (FLE), où les enseignant·e·s font souvent face à un public provenant des quatre coins du monde. Et à l’époque de Jacotot, les nombreux précepteurs et gouvernantes romand·e·s qui partaient exercer leur talent auprès de la noblesse russe, jusque dans la famille du tsar, n’étaient pas russophones[4].

Donc le fait d’enseigner une langue sans connaître celle de l’autre n’a rien d’une situation inédite, même au début du XIXe siècle. D’autant plus que le public auquel s’adresse Jacotot n’est pas complètement ignorant du français. Lui-même explique que « les premiers élèves qui se présentèrent pour apprendre le français ne comprenaient pas tous cette langue ; il y en avait dans le nombre qui n’entendaient pas ce qu’il disait[5]», ce qui implique que d’autres le comprenaient, comme l’étudiant qu’il prendra pour traduire ses instructions.

Les jeunes gens qui suivent ses cours, dans ce qui deviendra la Belgique francophone, baignent par ailleurs dans un climat linguistique et culturel où le français est une langue seconde pour l’élite, mais aussi la langue internationale et commerciale, voire épistolaire et de l’intime. Les traductions françaises des textes anciens permettent d’éviter l’apprentissage du grec et du latin ; les manuels et grammaires de français ne manquent pas[6].

Les instructions de Jacotot disaient à ses élèves de se procurer l’édition bilingue du Télémaque de Fénelon, d’en apprendre la moitié du texte français en s’appuyant sur cette traduction, de répéter sans cesse ce qu’ils savaient et de se contenter de lire le reste pour le raconter. Résultats : les élèves maîtrisent orthographe et grammaire et « ces petits étrangers écrivaient comme les écrivains français, et par conséquent, comme il le disait [Jacotot], mieux que lui et ses collègues[7]. » Chez Jacotot, l’excellence est toujours au rendez-vous et son sens de la publicité rarement pris en défaut !

Mais à quoi a-t-on assisté ce faisant ? Non pas à l’enseignement d’un maître ignorant ce qu’il doit enseigner, mais bien plus à une formation en groupe où, très probablement, les élèves maîtrisant le mieux la langue française sont venus au secours des moins avancés pour rédiger ces textes qui ont tant ému Jacotot. Le maître était donc absent, mais nullement ignorant. Et les élèves bien moins ignorants que supposés. L’exemple princeps de la pédagogie selon Jacotot ne saurait en fait la fonder. Il en gardera toutefois l’idée de médier l’apprentissage par le recours à un livre, le Télémaque, le plus souvent. Et contrairement à ce qu’affirme le spécialiste de l’émancipation, Federico Tarragoni[8], la démarche de Jacotot ne repose pas sur l’autodidaxie ni sur la non-directivité comme on le verra plus bas.

Langue maternelle et parents ignorants ?

Plus que celui de ses étudiants « hollandais », l’apprentissage qui sert de modèle à Jacotot est, sans rapport avec l’expérience de Louvain, celui de la langue maternelle, tel qu’il le conçoit :

« Quand nous apprenons notre langue maternelle, personne ne nous l’explique, et nous la comprenons tous sans autre interprète que la vue des faits, qui en sont la traduction vivante. Fermez la porte, dit-on en notre présence. L’action que nous voyons faire, à la suite du bruit des mots qui ont frappé notre oreille, sert de commentaire à cette phrase ; et voilà que je comprends fermez la porte. Si j’entends ensuite fermez la fenêtre je deviens plus savant de trois signes nouveaux, et j’ai appris quatre choses : 1° fermez la porte ; 2° fenêtre ; 3° porte ; 4° fermez. Cela me sert à comprendre autre chose. Voilà la méthode que suivent tous les hommes, d’un pôle à l’autre, méthode universelle et infaillible parce qu’on la suit sans maître, par sa propre intelligence, et sans autre guide que le besoin »[9].

Pourtant, dans cette méthode, universelle et infaillible selon Jacotot, les parents et l’entourage connaissent la langue maternelle et interviennent constamment pour corriger l’enfant qui apprend. Bien sûr, le monde extérieur sert de support à cet apprentissage, mais l’interaction avec l’adulte ou l’entourage, sachant, sinon savant, est la condition sine qua non de la réussite. Donc, là non plus, pas plus de Maitre ignorant que d’apprentissage solitaire de la langue maternelle. Cette vision particulière de l’acquisition de la langue maternelle va néanmoins renforcer Jacotot dans sa vision hyperindividualiste de l’apprentissage, son exclusion de toute dimension sociale et sa réduction à un schéma à trois : le maître, l’élève et le livre.

Ce modèle initial de l’apprentissage de la langue maternelle a été l’objet de plusieurs critiques. D’abord, alors que l’on parle de langue maternelle, il est principalement viril, conformément à l’objectif jacotien de former des pères de famille pauvres[10], mais certainement assez éloigné de la réalité. Ensuite, il suppose la transférabilité de ce mode d’apprentissage à tous les autres domaines. Ce qui reste à démontrer. Nous n’avons qu’une seule langue maternelle, en ce sens son apprentissage reste quelque chose d’exceptionnel :

« Cette lucidité de Jacotot sur la réussite universelle de l’apprentissage de la langue maternelle s’accompagnait cependant d’une étrange cécité quant à la différence entre l’apprentissage d’une langue étrangère à partir d’une traduction […] et l’apprentissage de la langue maternelle. Un étudiant néerlandais qui cherche à apprendre le français est dans une situation très différente de celle du petit français qui acquiert sa langue maternelle, puisque l’étudiant parle déjà une langue, donc parle, alors que par définition ce n’est pas le cas du petit enfant. On peut apprendre n’importe quelle langue, quelle que soit la méthode que l’on emploie, à partir du moment où l’on en parle déjà une, c’est-à-dire à partir du moment où l’on est doué du langage. »[11]

Une pédagogie directive

Marc Deryke, professeur en sciences de l’éducation, synthétise la position de Jacotot lorsqu’il explique, s’agissant de l’apprentissage d’une langue étrangère :

« La condition est qu’un individu se mette sous l’autorité d’un maître qui suspend son savoir pour lui accorder la liberté de tâtonner en soutenant son désir d’apprendre, mettant au centre un livre d’auteur qui lui parle dans sa langue et dans la langue cible (traduction juxtalinéaire) ; le maître se contente alors de relancer son attention analytique et créative[12]… » 

On verra toutefois que la liberté de tâtonner est bien orientée.

Ce que l’on appellera la méthode Jacotot, bien qu’il abhorre le mot, se trouve le mieux exposée dans son Manuel d’enseignement universel : l’apprentissage du français, commence par une longue série d’exercices de mémorisation et d’écriture, plus proches du drill prussien que d’une pédagogie libertaire. Le but est d’amener l’élève à un apprentissage par cœur de l’ouvrage.

« L’élève répète sans cesse le livre choisi par le maître. Cet exercice mnémonique est de la plus haute importance ; on reconnaît plus tard tous les avantages d’une mémoire prompte et richement pourvue[13] ».

Ce n’est qu’à partir de la dixième leçon qu’interviendra une phase de contrôle de la compréhension du texte, fortement directive, les contrôles précédents ne portant que sur la grammaire et l’orthographe. Ce que le maître doit alors véritablement pourchasser, c’est la distraction, source de toutes les erreurs :

« Exercez l’élève à généraliser. — S’il se trompe, montrez-lui qu’il est distrait, qu’il a parlé sans voir, et il raisonnera bien. Nous ne nous trompons jamais que par distraction. N’excusez donc pas une faute de distraction comme une faute d’orthographe : cela rend l’esprit trop prompt à juger légèrement avant d’avoir examiné. — En un mot, considérez la distraction comme l’unique cause des erreurs de l’élève ; c’est son plus grand ennemi à combattre : on ne peut donc trop s’exercer à un combat qu’il faut renouveler sans cesse. La distraction est une espèce de vice, de passion qui nous empêche de considérer la chose sous toutes ses faces. Ce n’est donc jamais l’intelligence, mais l’attention qui est en défaut…[14] ».

Le principe de l’égalité des intelligences repose ainsi sur la conviction que les erreurs ne traduisent pas un manque d’intelligence, mais d’attention. Or qu’est-ce que l’attention elle-même, sinon l’expression d’une volonté d’apprendre ?

Dans sa critique de Rancière, Antonia Birnbaum souligne l’importance du transfert dans Le Maître ignorant :

« Comment un maître peut-il mettre en route l’intelligence d’un autre, le contraindre à un effort sans pour autant s’y immiscer ? À cet endroit, Jacotot procède à une dissociation : il pose un transfert de volonté, hors de tout transfert de savoir. »

Elle conçoit alors un transfert jacotien, tout en précisant non sans ironie, quant à la réalité du récit rancièrien :

« Je relate le transfert, sa prise, sa traversée, son dénouement favorable avec la même désinvolture que Rancière relatant les aventures de Jacotot[15] ».

Pour prometteuse qu’elle paraisse, la piste du recours au transfert, même lacanien, dans la relation entre le maître et l’élève soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout. Ce n’est pas sans raison que le courant historique de la pédagogie qui s’est intéressé de près à la psychanalyse refusait d’utiliser consciemment le transfert[16] et que les pédagogies dites institutionnelles constatent son existence sous de multiples formes sans vouloir le rechercher activement[17].

Surtout, nombre de réflexions actuelles sur la pédagogie sortent du schéma, heuristique, mais trop réducteur, du triangle de Houssaye où enseignant, enseigné et savoir s’organisent en une relation triangulaire. Pour reprendre le vocabulaire jacotien, le maître n’est jamais seul face à l’élève. Il fait face à une classe ou à un groupe — comme Jacotot lui-même à Louvain — et cela change beaucoup de choses, que l’on pense simplement à la dynamique du groupe en formation. Sans même parler de la contextualisation historique et politique. Qui donc pourrait aujourd’hui se livrer à une analyse de la relation pédagogique sans inclure la dégradation des conditions de formation due aux décennies de néo-libéralisme et à la relégation sociale persistante de nombreux quartiers populaires ?

Rancière et Jacotot — Rancière/Jacotot

Il faut ici rappeler que l’objectif de Rancière lorsqu’il rédige Le Maître ignorant n’est pas de réhabiliter une pédagogie émancipatrice, mais d’intervenir dans le débat sur l’éducation nationale entre « républicains » et « progressistes », en lançant dans le débat la proposition provocante disant que l’égalité ne fait pas partie des finalités de l’éducation, mais qu’elle doit être au contraire y figurer comme un axiome, une présupposition, dès le départ. Ce qui permet de relancer une dimension oubliée dans ce débat, celle de la promesse d’émancipation. Sur ce point, Rancière comme Jacotot nient qu’une institution quelconque puisse engendrer une émancipation.

Ailleurs, la confusion entre ce que Jacotot défend et ce que Rancière en fait est sans aucun doute stimulée par le style de l’écrit de Rancière : un discours indirect libre, qui mélange habilement la citation et le commentaire, à tel point que le lecteur moyennement attentif ne sait rapidement plus qui parle. On a ainsi pu parler d’auteur ventriloque ou convoquer un troisième rédacteur, synthèse des deux premiers : Jacotot/Rancière.

Dans son propre enseignement, Rancière ne met pas du tout en œuvre les préconisations de Jacotot et se méfie comme de la peste de toute systématisation d’une formation à l’esprit critique :

« Toute logique qui prétend qu’une panoplie donnée des savoirs donne les instruments permettant d’être formé pour le monde du travail, ou fournit ce qu’ils osent appeler sans rire la “formation à l’esprit critique”, toute logique de ce genre est malhonnête. Non seulement elle prétend savoir ce qu’elle ignore, mais elle théorise cette ignorance en effet du savoir et sa présomption en armes de l’égalité. Je sais, pour mon compte, que les gens qui viennent m’entendre à l’université sont là avec dix ou quinze logiques différentes, entre lesquelles je dois naviguer, avec l’idée que l’important, ce sont les capacités que les étudiants vont pouvoir se découvrir et faire fonctionner pour eux-mêmes au sortir de l’affaire, et le sentiment d’une indécision permanente quant aux manières dont cette capacité pourra être suscitée[18]. »

Ce que Rancière conserve de Jacotot c’est l’axiome de l’égalité des intelligences, qui, développée en méthode de l’égalité, va former une grille d’analyse avec son contraire, la passion de l’inégalité sécrétée par les institutions. Rejetant tout déterminisme social, dissociant radicalement situation sociale et action politique, Rancière analyse ainsi la tentative des troupes de Trump de s’emparer durablement du Capitole en janvier 2021 :

« La passion à laquelle Trump fait appel n’a rien de mystérieux, c’est la passion de l’inégalité, celle qui permet également aux riches et aux pauvres de se trouver une multitude d’inférieurs sur lesquels ils doivent à tout prix conserver leur supériorité. Il y a en effet toujours une supériorité à laquelle on peut participer : supériorité des hommes sur les femmes, des femmes blanches sur les femmes de couleur, des travailleurs sur les chômeurs, de ceux qui travaillent dans les métiers d’avenir sur les autres, de ceux qui ont une bonne assurance sur ceux qui dépendent de la solidarité publique, des autochtones sur les migrants, des nationaux sur les étrangers et des citoyens de la nation-mère de la démocratie sur le reste de l’humanité[19] ».

Une analyse qu’il oppose absolument à celle qui verrait dans Trump un représentant des petits Blancs en détresse et en colère.

Cette passion de l’inégalité est un produit de nos institutions, prétendument égalitaires, mais reproduisant en fait l’inégalité pour mieux se reproduire elles-mêmes. À ceux qui lui reprochent de dégager ainsi le peuple de toute responsabilité, de propager l’image d’un bon peuple, comme le fit l’ancien dirigeant de la LCR Samy Joshua, Rancière répondit vertement :

« C’est faux. Il n’y a pas de saint peuple, chez moi. Les gens croient en effet que je suis pour la “bonté originaire du peuple” et que je suis incapable de comprendre comment il peut y avoir des ouvriers réactionnaires et des électeurs au FN, dans cette classe. Pourtant, je l’ai toujours dit et redit : pourquoi êtes-vous à ce point fâchés contre les ouvriers qui votent à droite, sous prétexte qu’ils devraient, par je ne sais quelle nécessité sociologique, voter à gauche ? L’ouvrier, en tant que combattant politique, n’est pas l’ouvrier en tant qu’appartenant à la classe sociologique des ouvriers. Je n’ai jamais développé une mystique du corps collectif, qui m’empêcherait de comprendre pourquoi il pourrait y avoir des mouvements d’extrême droite, racistes et xénophobes, à base et ancrage populaire. C’est, même, un fait qui m’a posé beaucoup moins de problèmes qu’à tous ceux qui me font ce reproche[20] ! »

Notons ici que la séparation nette entre la réalité sociale de l’ouvrier et son éventuel engagement politique ne se retrouve pas lorsqu’il s’agit de parler des dominants. S’entretenant avec Joseph Confavreux, de Médiapart, Jacques Rancière explique :

« On fait comme si Trump, Salvini, Bolsonaro, Kaczyński, Orbán et leurs semblables étaient l’émanation d’un peuple souffrant et révolté contre les élites. Or, ils sont l’expression directe de l’oligarchie économique, de la classe politicienne, des forces sociales conservatrices et des institutions autoritaires (armée, police, Églises[21]). »

Ici, pas de dissociation entre le statut socio-économique et la représentation politique : Trump et ses homologues émanent directement de l’oligarchie économique et des forces sociales conservatrices. À cette asymétrie dans les situations et les rapports de force entre dominant·e·s et dominé·e·s, Rancière n’a pas apporté, à mon sens, de réponse convaincante, réduisant la politique aux moments qui font rupture et dépréciant d’autant la stratégie et l’organisation politiques.

Il n’y a pas de pédagogie de l’ignorance

Dans son maître ouvrage, L’Accumulation du capital, Rosa Luxemburg rappelait l’adage latin disant que les livres ont leur destin — Habent sua fata libelli. Il en est allé ainsi pour Le Maître ignorant, dont enseignant·e·s et étudiant·e·s se sont saisis pour traduire en pratique ou vérifier ses propositions et débattre, voire contester son arsenal conceptuel[22]. On a recherché de véritables maîtres ignorants en la personne de parents illettrés, voire analphabètes, accompagnant la scolarité de leurs enfants ; on s’est penché sur l’apprentissage par des enfants sourds de la langue des signes que leurs parents ne pratiquaient pas, etc. Ces travaux ont amené Rancière à préciser, dans une partie conclusive de la rencontre, de quoi l’ignorance était le nom. Autrement dit, qu’est-ce que ce non-savoir ?

D’entrée, Rancière élimine l’hypothèse que le maître ignorant ferait semblant de ne pas savoir. L’ignorance du maître se situe en deçà de tout dispositif pédagogique. L’ignorance du maître est une ignorance qui dissocie :

« Il y a prise de conscience d’une séparation réelle : le savoir n’est pas simplement quelque chose qui vient combler le manque de savoir, les deux actes sont dissociés ; en l’occurrence, il y a deux sujets et chacun de ces sujets va son chemin. »

Contrairement à l’enseignant classique qui finit par être cause de savoir pour un autre sans pouvoir en maîtriser les effets, « le maître ignorant est celui qui rend active la séparation entre savoir et maîtrise, qui met en jeu l’ignorance du savoir pour pouvoir mettre en mouvement le savoir de l’ignorance[23]. »

Remarquons que l’on reste, dans toute cette définition, dans le cadre d’une opposition ignorance/savoir et que le maître ignorant exerce une maîtrise. Ce qu’il réfute, c’est la complémentarité « qui veut que l’incapable se définisse dans un rapport au capable et le capable dans un rapport à l’incapable ». Et c’est ce refus qui lui permet de pratiquer l’égalité des intelligences.

Au passage, Rancière décourage définitivement ceux et celles qui pensaient pouvoir s’appuyer sur son œuvre pour élaborer une pédagogie émancipatrice. Pour lui, « il n’y a pas de didactique de l’émancipation […], car l’émancipation n’est pas un problème de transmission comme une connaissance, c’est une position, un ensemble d’attitudes […] Au fond de l’affaire-Jacotot il y a : on peut émanciper ou abrutir par toutes les méthodes. »

À ce stade, rien ne permet de dire que la relation présumée de l’avant-garde et du prolétariat se situe nécessairement hors du schéma esquissé ci-dessus. Pourquoi les gentils professeurs rouges, comme les appelle Besancenot, ne pourraient-ils pas activer la séparation entre savoir et maîtrise, tout en partant d’une situation de départ où ignorance et savoir sont inégalement répartis ? Puisqu’au fond « un maître ignorant est un maître qui peut savoir une infinité de choses, mais il met au poste de commandement la relation égalitaire. Il n’est pas plus compétent que celui qui est en face de lui. Cela est possible, quel que soit le savoir qu’on puisse avoir. » À ce moment-là du raisonnement, lesdits professeurs rouges ne sont pas hors compétition égalitaire. Mais ils ne perdent rien pour attendre.

Rancière le dit et le répète, son problème, ce n’est pas l’école ni la pédagogie. Son problème, c’est le rapport entre la science, l’émancipé et l’émancipation. Et dans cette voie, il a rencontré ce qu’il appelle la théorie de l’idéologie. À savoir le modèle dominant de la pensée se disant subversive, en l’occurrence, le marxisme et la sociologie de Bourdieu. Selon Rancière, ce modèle explique l’exploitation par l’ignorance :

« Cette pensée dit que les gens sont assujettis parce qu’ils sont ignorants, qu’ils sont exploités parce qu’ils sont ignorants, c’est-à-dire qu’ils méconnaissent la façon dont ils le sont. »

Je ne parlerai pas ici de Bourdieu qui a assez de partisan·e·s pour le défendre. Mais pour le marxisme, le propos me semble particulièrement caricatural. Outre que Rancière met sur le même plan des réalités différentes, mais combinées — comme l’exploitation, la domination et le fétichisme de la marchandise ou l’aliénation — où et quand Marx aurait-il fondé l’exploitation sur l’ignorance ? C’est une franche absurdité, qui permet ensuite à Rancière d’opposer les prolétaires qui savent (« l’exploitation cela s’apprend vite, il n’y a pas besoin d’explication pour cela ») à ceux qui veulent leur apprendre quelque chose.

On retrouve ici l’affirmation reprise par Besancenot. Qui, chez Rancière, en tout cas, joue sur les multiples sens du mot savoir, verbe et substantif. Sur ce point, les sciences de l’éducation utilisent encore aujourd’hui — tout en soulignant le côté passablement réducteur de cette typologie — la triade de Benjamin Bloom : savoir, savoir-faire et savoir-être. À ces trois types de savoirs correspond la mise en œuvre de trois domaines différents : cognitif, psychomoteur et affectif.

Lorsque l’on parle de savoir en général, on peut aussi bien se référer à l’une ou l’autre de ces acceptions ou à leur combinaison : un savoir professionnel est généralement fait d’un mélange de ces trois éléments. Donc il est essentiel de préciser ce que l’on entend par une expression du genre « savoir ce qu’est l’exploitation ». Qu’est-ce que savoir dans ce cadre ? Et qu’est-ce que cette exploitation, que l’on apprend vite d’après Rancière ?

Ce sont-là des questions centrales pour qui défend une stratégie reposant sur la lutte des classes et donc aussi le développement de la conscience du même mot. Si l’on prétend, par exemple, que les prolétaires français savent ce que c’est que l’exploitation, on peut tomber d’accord sur une version de basse intensité de cette affirmation : le prolétariat français perçoit qu’il existe un rapport entre sa situation sociale et le fait qu’il doit travailler pour vivre ; il est aussi conscient qu’il existe un rapport entre ses conditions de travail et de salaire et les profits de l’entreprise.

Pour certaines couches prolétariennes, même cette compréhension basique peut faire défaut : ceux et celles qui travaillent dans une entreprise familiale, par exemple. Ou encore ceux et celles qui œuvrent dans de très petites entreprises, où le patron s’auto-exploite autant sinon plus qu’il exploite ses employé·e·s. Pour d’autres encore, le constat de base ne débouche pas sur une volonté de combattre l’exploitation comme pilier de base du capitalisme, mais plutôt d’en atténuer les abus les plus choquants.

Ce qui explique sans doute que le premier syndicat français soit la CFDT, une organisation tout acquise au « dialogue social ». Savoir ce que c’est que l’exploitation peut donc recouvrir des réalités différentes qui se manifestent sous des formes politiques distinctes dans les divers épisodes de la lutte des classes. Dans ce cadre, les savoirs tels qu’on les comprend classiquement, les savoirs théoriques en particulier, jouent-ils un rôle ? Oui et non. Encore une fois, cela dépend de ce que l’on entend par « savoir ce que c’est que l’exploitation ». S’il s’agit de ressentir la poigne du « despotisme d’entreprise » comme l’appelait Marx, d’avoir en horreur la tyrannie du petit chef, ce n’est pas requis.

Mais lorsqu’il s’agit d’aller au-delà, de modifier cette situation et donc de s’adresser aux autres — dont le ressenti peut être différent — si sa propre expérience peut prendre une forme plus générale, se déployer en arguments objectifs et fondés, alors oui, les savoirs aident. Comme la connaissance de l’histoire des luttes ouvrières, de leurs principes et de leur organisation. Bref, les différentes formes du savoir en général ne s’excluent pas principiellement, mais se combinent dans la lutte et la réalité. C’est dans ce sens que Gramsci pouvait dire

 « Tous les hommes sont intellectuels : mais tous les hommes ne remplissent pas dans la société la fonction d’intellectuels »[24].

La question du savoir — ou des savoirs — en relation avec les prolétaires, ou plus exactement avec le rôle du prolétariat, ne peut se poser en dehors de celle de sa lutte. Ce qui implique d’affronter les questions de l’organisation collective et de sa stratégie, domaine dans lequel les savoirs théoriques ont toute leur importance. Mais ce sont des choses sur lesquelles Rancière s’exprime peu ou pas du tout. Car son centre d’intérêt est ailleurs.

L’émancipation par la révolution esthétique

« L’affaire-Jacotot », comme il l’appelle, il l’a trouvée sur un chemin qui n’était pas celui de la transmission des savoirs, mais la question du rapport entre science/émancipé/émancipation. Et ce qu’il a « essayé de dégager dans les pratiques d’émancipation, c’est que ce sont d’abord non pas des pratiques de connaissance : les gens n’apprennent rien […] Si on prend toute l’histoire de l’émancipation ouvrière, cela a commencé par les gens qui se font faire un corps et une pensée autre ; ils ont décidé que, après tout, ils pouvaient dissocier le travail des bras, se faire un corps d’esthète, se faire un corps, une âme de penseur. Autrement dit, on pouvait briser cette solidarité entre savoir-faire et savoir-être, entre un mode de faire et un mode d’être, un mode de pensée et un mode de dire » (je souligne).

Chez Rancière, le processus de subjectivation et d’émancipation commence par une sortie physique et intellectuelle (un corps et une pensée autre) de la pesanteur de sa situation sociale et non pas par une prise de conscience de cette dernière dans toute sa dimension oppressive et inégalitaire. Très clairement, cette rupture se fait non pas en termes de « connaître ce que l’on ne connaissait pas », mais en termes de « changer le monde sensible », pour reprendre ses mots. C’est une rupture « proprement esthétique entre des manières de faire, des manières de voir et des manières de dire : on se déclarait capable de ce dont on est réputé paraître incapable.[25] »

Ce qui fait obstacle à l’émancipation c’est bien la situation sociale et les rapports de travail. Il faut donc en sortir — esthétiquement — pour pouvoir s’en émanciper. Et la porte de sortie est le « partage du sensible ». Critiquant au vitriol les propositions de Rancière, Nicolas Viellescazes intitule sa contribution « L’impasse esthético-politique de Jacques Rancière » et fustige sa conception de l’art comme lieu d’une révolution esthétique prémisse d’une révolution sociale.

« Il a beau pourfendre ces marxistes méprisant le goût des paysans parvenus pour les bibelots et les calendriers moches, son univers de référence n’est pas celui de Britney Spears, de Roland Emmerich ou de J. K. Rowling, mais bien celui d’une culture légitime ou légitimée a posteriori par l’institution critique et académique. Et cette culture s’inscrit dans un partage social auquel est nécessairement aveugle sa définition de l’art, qui n’est découplée du savoir et de la science qu’en apparence, car elle est bel et bien liée au savoir de celui pour qui le savoir est tellement naturel qu’il en devient transparent. »[26]

Ajoutons deux remarques conclusives. D’une part, toute sa réflexion sur l’émancipation ouvrière s’appuie sur un travail d’archives qui ne va pas au-delà du XIXe siècle. Ce qui, de fait, en exclut la situation et les problématiques de la classe ouvrière industrielle, sans parler du prolétariat mondialisé, en partie précarisé et tertiarisé, d’aujourd’hui. D’autre part, il semble, comme le souligne Viellescazes, singulièrement étranger à la réalité de la production industrielle de la culture de masse.

Après avoir consacré nombre d’ouvrages théoriques à l’établissement de l’inutilité de ce type de savoir dans l’émancipation, ce qui est en soi un paradoxe, Rancière mise sur une révolution esthétique, processus à long terme, mais qu’il pressent déjà à l’œuvre. Voici ce qu’il disait, il y a quelques années seulement, à propos de la révolution esthétique qu’il constatait et définissait comme une autonomisation de l’art qui se rapprochait du monde de l’expérience ordinaire alors que conjointement la question de la transformation de l’expérience sensible s’est installée au cœur de la pensée et de la pratique révolutionnaire :

« La révolution esthétique en ce sens établit un lien entre des phénomènes dont le sens global est commun, mais dont les formes concrètes, les terrains d’effectivité et les résultats restent souvent séparés. Il y a l’introduction dans le monde de l’art de sujets, personnages et situa­tions prosaïques ou de formes dites populaires et les révolutions formelles des arts qui en ont résulté ; mais il y a aussi l’introduction parmi les hommes et les femmes du peuple de formes de perception, de sensibilité et d’aspirations empruntées à la culture dite aristocratique. Il y a la constitution d’un monde autonome de paroles, formes et performances détachées de leurs usages sociaux traditionnels, mais aussi la formation de nouvelles subjectivités militantes et la constitu­tion de programmes vouant l’art non plus à créer des œuvres, mais à transformer les cadres de la vie matérielle sous tous ses aspects. »[27]

Aux philosophes et historiens de l’art d’en débattre, même si, du simple point de vue d’un mélomane attaché à la musique contemporaine, rien de pareil ne semble se dérouler. Il doit s’agir plutôt d’une révolution esthétique, si révolution il y a, touchant d’abord les arts visuels et de la scène.

En revanche, la transformation réelle des « cadres de la vie matérielle sous tous ses aspects » que nous vivons sous l’emprise du dérèglement climatique nous renvoie implacablement à la nécessité de comprendre et d’apprendre pour agir et donc à l’acquisition de savoirs théoriques. Notre émancipation collective ne peut en faire l’économie.

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Illustration : William Heath, March of Intellect, 1829.

Notes

[1] Laurence de Cock, Ecole publique et émancipation sociale, Agone, 2021 p. 162 et ss.

[2] Sur le site « là-bas si j’y suis ». L’émission sur Rancière a été diffusée le 9 novembre 2021, sous le titre « S’émanciper avec Jacques Rancière ».

[3] Julien Pallotta, L’école mutuelle au-delà de Foucault, Éditions ContreChamps, 2017.

[4] Danièle Tosato-Rigo, L’appel de l’Est. Des gouvernantes et précepteurs romands en Russie, Lausanne, Editions de l’UNIL, 2017. Les Romand·e·s étaient préférés aux Français·es, réputés trop subversifs.

[5] Jean Joseph Jacotot, L’enseignement universel. Langue maternelle. Avant-propos de la 4e édition, pp. 51-52.

[6] Madeleine Van Strien-Chardonneau et Marie-Christine Kok Escalle, « Le français aux Pays-Bas (XVIIe– XIXe siècles) : de la langue du bilinguisme élitaire à une langue du plurilinguisme d’éducation », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde[En ligne], 45 | 2010, mis en ligne le 20 novembre 2014, consulté le 19 avril 2019.

[7] J. J. Jacotot, Ibidem, p.52.

[8] Federico Tarragoni, Émancipation, Anamosa, 2021, p. 40.

[9] J. J. Jacotot, Ibidem, pp 62-63.

[10] Charles Ramond, « « Traduisez-vous les uns les autres » ». Logique, politique et anthropologie de la traduction dans Le Maître ignorant de Jacques Rancière ». Noésis 21/2013, note 22.

[11] Ibid., 8e §.

[12] Derycke, Marc, « Jacotot, Louvain 1818 : Le « maître ignorant », enseignant de F.L.E ». Revue TDFLE, (actes n°1), 2019.

[13] P.Y. de Séprés, Introduction à J. J. Jacotot, Manuel complet de l’enseignement universel, ou Application de la méthode Jacotot, p.25

[14] J.J. Jacotot, Ibidem, p. 27.

[15] Antonia Birnbaum. Égalité radicale. Diviser Rancière. Éditions Amsterdam, 2018, pp. 39 et 45.

[16] Voir la traduction de l’article de Hans Zulliger, « Un manque dans la pédagogie psychanalytique » (initialement publié dans la revue Zeitschrift für Psychoanalytische Pädagogik, qui parut à Vienne et Stuuttgart de 1926 à 1937) publié dans le recueil Pédagogie et Psychanalyse.Textes présentés par Mireille Cifali et Jeannne Moll, Dunod, 1985 pp. 192-205.

[17] Voir Francis Imbert et le Groupe de recherche en pédagogie institutionnelle, L’inconscient dans la classe. Transferts et contre-transferts, ESF, 1996, 209 p.

[18] « Le Maitre ignorant, entretien avec Jacques Rancière », Revue Vacarme, 1993/3 (no 9), p.4.

[19] « Les fous et les sages – réflexions sur la fin de la présidence Trump », AOC média, 14 janvier 2021.

[20] Jacques Rancière, « Le peuple est une construction », Revue Ballast, no 3, 4 mai 2017

[21] « Défaire les confusions servant l’ordre dominant – Aux racines de la crise démocratique », Médiapart, 3. Décembre 2019.

[22] Ces différentes contributions sont regroupées dans l’ouvrage publié sous la dir. de Marc Derycke et Michel Peroni, Figures du Maître ignorant : savoir & émancipation, Université de Saint-Étienne, 2010, 427 pages.

[23] M. Derycke et M. Peroni, op. cit, p. 410 et ss.

[24] Antonio Gramsci, Gramsci dans le texte, Ed. sociales, 1975, p. 602.

[25] M. Derycke et M. Peroni, op. cit, p. 422.

[26]  Nicolas Vieillescazes, La Revue des livres, n° 8, novembre-décembre 2012.

[27] Jacques Rancière, En quel temps vivons-nous ? Conversation avec Eric Hazan, La fabrique, 2017, p.43-44.

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