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À propos de : Natacha Michel, Le roman de la politique, La fabrique, 2020, 232 p., 15€.

« La vie ne vaut la peine que si on la risque, et qu’on risque pour elle sa carrière, son avenir, son argent, son confort, et sa vieillesse honorée et tranquille. »

« Il est temps pour moi de dire ce qui a eu lieu. » Si le maoïsme français a sans doute constitué l’une des dimensions les plus fécondes et novatrices de la séquence politique issue de Mai-68, force est de constater que son histoire demeure aujourd’hui encore largement obscure. Et alors que de récentes publications ont permis de documenter les cinq – spectaculaires – années d’existence de la Gauche prolétarienne (GP), la mémoire des deux organisations (l’Union des communistes de France marxiste-léniniste, de 1969 jusqu’au milieu des années 1980, puis l’Organisation politique jusqu’à la fin des années 2000) dont Natacha Michel a été l’une des dirigeantes semblait quant à elle vouée à l’oubli. Le Roman de la politique, publié en septembre 2020 aux éditions La Fabrique, lève un coin de voile sur cette trajectoire aussi singulière que méconnue.

Comme chacun sait, « le contrôle de la mémoire est un des axes décisifs de la contre-insurrection[1] ». Or les « années d’hiver[2] » qui, en France, ont succédé aux « années rouges[3] » se sont justement nourries de leur occultation. Occultation à laquelle, il faut le dire, ont largement contribué un certain nombre d’anciens maoïstes (en particulier des cadres de la GP) qui, ayant bien vite retrouvé leur place d’origine au sein de la classe dominante, ont paré ce retournement de veste des habits de la repentance. La « nouvelle philosophie », son anti-marxisme réactif et sa tentative d’assimiler tout projet d’émancipation à une utopie criminelle, en a été la cristallisation médiatique, « substituant au couple qui avait dominé les consciences depuis 1968 – couple qu’on peut écrire révolution/contre-révolution, ou encore communisme/impérialisme – le couple infiniment plus bénin de la « démocratie » et du « totalitarisme »[4]. »

Contre l’organisation de l’amnésie, contre la caricature dépolitisée d’anciens militants devenus renégats, la première qualité du livre de Natacha Michel est donc de chercher à rendre justice, pour une fois, à « ceux que l’on nomma les maos » et qui, traversant aussi bien les années d’effervescence révolutionnaire que celles de la réaction triomphante, « cherchèrent une autre voie pour la justice et l’égalité ».

Son Roman de la politique est un récit fragmentaire à la première personne, truffé d’anecdotes et de souvenirs personnels, dont se dégage un parcours collectif, des barricades de Mai aux luttes des ouvriers sans-papiers, des réflexions théoriques aux actions coups de poing, de l’expérience de la répression à celle, inaltérable, de l’amitié. Le texte qui suit tente d’en recomposer le cheminement et d’en déplier les enjeux, pour autant que – c’est notre conviction – la résolution des problèmes contemporains de la politique d’émancipation passe toujours par la méditation de ses étapes antérieures.

 

L’apprentissage de la politique

Fille d’André Michel, résistant et officier FFI devenu cinéaste, Natacha Michel évoque son parcours de politisation à travers le souvenir de quelques épisodes ayant revêtu une importance personnelle décisive : la lecture du livre de David Rousset, Les Jours de notre mort (1947), qui lui fait réaliser « ce que cela signifiait et avait signifié d’être juive », ou encore la persécution antisémite dont elle est victime au lycée Janson de Sailly, et la manière dont, aidée d’un ouvrier du bâtiment sans emploi qu’elle croise quotidiennement sur le chemin qui la mène au lycée, elle comprend pour la première fois « qu’il faut « répondre », donc se battre », et que « se battre exige de trouver « avec qui » ».

Natacha Michel participe, adolescente, aux manifestations contre la Guerre d’Algérie, assiste aux massacres d’octobre 1961 et se retrouve même blessée à Charonne le 8 février 1962. Cette séquence lui fait prendre conscience de la position « quasi coloniale » du PCF à l’égard de la lutte de libération nationale algérienne. Elle rencontre ensuite Sylvain Lazarus dans le cadre du séminaire de l’anthropologue marxiste Maurice Godelier – rencontre qui, comme l’écrit Catherine Haas, sera « définitive puisque, pour Natacha Michel, la politique n’aura plus jamais lieu sans lui et que la politique ne cessera pas pendant quarante ans[5] ».

Avant de fonder leur propre organisation, Lazarus et Michel militent ensemble au sein de l’UJCML (Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes), chaînon essentiel dans le développement du maoïsme français à la fin des années 1960. Issue d’une scission de l’UEC (animée notamment par le groupe d’étudiants de l’École Normale Supérieure proches de Louis Althusser, qui publient les Cahiers marxistes-léninistes[6]), l’UJ se construit en rupture avec le « révisionnisme » du PCF – soit son abandon de toute perspective révolutionnaire, son inscription irrémédiable dans le cadre de la démocratie bourgeoise, son crétinisme parlementaire, sa politique de collaboration de classe et son hostilité croissante aux dynamiques du mouvement réel. Cette ligne, dite anti-révisionniste, allait de pair avec la critique – dans le sillage des maoïstes chinois – du tournant vers la restauration du capitalisme en URSS, de la « coexistence pacifique » et de la reconstitution d’une nouvelle classe dominante au sein de l’État-Parti soviétique. Comme le résume Natacha Michel : « Était révisionniste un État prolétarien qui ne se serait pas lancé dans la lutte pour parvenir au dépérissement de l’État, mais qui aurait renforcé l’État et le Parti, aux dépens des ouvriers et du peuple. »

En retour, le PCF stigmatise les groupes maoïstes qui, désormais, sortent de son orbite et gagnent en influence, usant d’un argumentaire qui n’est pas sans rappeler celui de la gauche contemporaine vis-à-vis des militants autonomes : « Le PCF nommait pour sa part les maos : ultra-gauchistes, pseudo-révolutionnaires, fils à papa, donneurs de leçons, provocateurs, agents du gouvernement, groupuscules, agitateurs corrompant la masse des étudiants. » L’antagonisme avec le PCF sera d’ailleurs, au long des années suivantes, un élément structurant du maoïsme français, toutes tendances confondues, et donnera lieu à de récurrentes confrontations physiques, des manifestations de rue aux portes des usines. Lorsqu’en 1975 Alain Badiou publie Théorie de la contradiction, un point de non-retour est atteint : « Les maoïstes relèveront le PCF dans la classe ouvrière, non par le compagnonnage critique et parasitaire des trotskistes, mais par la destruction matérielle de l’existence dirigeante des révisionnistes[7]. »

L’UJ tente aussi et surtout d’inventer un nouveau style de militance (sans que le terme soit péjoratif), fondé sur la centralité de l’enquête comme méthode de travail politique et l’organisation des premières vagues d’établissement en usine afin de « former des intellectuels révolutionnaires qui se lieront aux ouvriers et au peuple travailleur » (résolution du 1er Congrès de l’UJCML, janvier-février 1976). Natacha Michel insiste sur cette dimension pionnière : « L’UJCML fut d’une grande importance. La première, elle fit ce qui s’appelle encore le travail de masse dans les quartiers, faisant savoir, ailleurs qu’au Quartier Latin, la lutte du peuple vietnamien et les nouvelles allures de l’action militante. »

En effet, un aspect important de l’activité de l’UJ se traduit par la formation des Comités Vietnam de Base. Les CVB sont, explique Natacha Michel, une « organisation qui inaugure des comportements et use de concepts militants inédits, qui apportent à l’action politique la fraîcheur de nouvelles idées ». Tracts, affiches, panneaux illustrés, débats improvisés, vente du Courrier du Vietnam, documentation de la guerre populaire, action directe : les CVB « inscrivent la lutte anti-impérialiste dans le quotidien des grandes villes et des cités ouvrières ; leurs méthodes radicales à la base comme leur présence active dans les manifestations anti-américaines créent une expérience pratique qui influencera l’action militante de Mai 68[8]. »

En effet, beaucoup de militants y acquièrent un « savoir-faire militaire » qui trouvera à se développer par la suite. Le 28 avril par exemple, un commando des CVB (dont Sylvain Lazarus fait partie) attaque, au 44 rue de Rennes, une exposition à la gloire du gouvernement sud-vietnamien organisée par l’extrême-droite. Natacha Michel raconte : « À la vitesse de la lumière ils cassent la porte, entrent, saccagent à l’intérieur toute l’exposition en faveur de Thieu, et sortent à la même vitesse. C’était comme une rafale de vent qui emportait les feuilles mortes. » Roger Holeindre y est, entre autres, gravement blessé. Le lendemain, anticipant de possibles représailles, Nanterre et la Sorbonne ferment leurs portes : Mai-68 commence.

 

La tempête révolutionnaire de Mai : crise et recomposition

Au début du mouvement, la direction de l’UJ, Robert Linhart en tête, interdit à ses militants de prendre part aux affrontements du Quartier Latin et dénonce le caractère « petit-bourgeois » de l’agitation étudiante : « Depuis le début de Mai, l’UJCML barbait tout un chacun en demandant qu’on aille aux usines quand on se battait au Quartier Latin. »

Linhart, que Natacha Michel fait parler dans son livre – pages précieuses tant sa parole est rare – explique ainsi ses motivations : « Les barricades étudiantes n’étaient-elles pas une provocation ourdie par le pouvoir gaulliste pour nous éloigner des usines où tout se jouait ? J’ai donc pendant des jours tenté de dissuader les gens d’aller aux barricades. »

Mais malgré les directives du comité exécutif, de nombreux militants maoïstes participent aux émeutes des premières semaines de Mai et y font l’expérience d’une tempête révolutionnaire à échelle de masse. La description qu’en livre Natacha Michel résonne là encore avec ce dont nous avons pu, ces dernières années, faire l’expérience, du cortège de tête des manifestations contre la Loi Travail aux déambulations insurrectionnelles de Gilets Jaunes ravageant l’Ouest parisien durant l’hiver 2018-2019 : « L’affrontement est une idée spatiale : l’espace doit nous appartenir, le Quartier Latin est nôtre. Mais c’est aussi la conception matérialiste d’un soulèvement dont la force se compte en avancée et en recul, en rue, en pâté de maisons. Ce n’était pas la lutte contre la répression qui animait les cœurs (conception journalistique ou trotskiste d’après coup) mais la lutte pour l’espace, le terrain. »

La préparation militaire des manifestations de rue et la confrontation avec la police – « se battre contre l’État, contre le pouvoir, c’est se battre contre les flics, qui en tiennent lieu » – feront d’ailleurs partie du répertoire d’action de la plupart des groupes d’extrême-gauche jusqu’à la fin des années 1970.

Alors que Robert Linhart est admis en hôpital psychiatrique le 10 mai suite à une crise de folie, son intuition obsessionnelle – l’alliance de la jeunesse intellectuelle et du prolétariat d’usine – est bientôt reprise par le mouvement étudiant dans le sillage de l’entrée en scène des ouvriers et du déclenchement d’une grève générale de masse débordant largement les bureaucraties syndicales : « Parmi les étudiants le mot d’ordre devient « Allez aux usines ». Et c’était mon mot d’ordre. »

Outre les CVB sur le terrain de l’anti-impérialisme, l’UJ s’était dotée d’une deuxième structure, le Mouvement de Soutien aux Luttes du Peuple (MSLP), dont la tâche est de « faire connaître les luttes des travailleurs, organiser un puissant mouvement de solidarité dans la population, pour aider les échanges d’expériences et les liaisons entre les luttes des différentes usines[9] ». C’est l’un de ses militants, Gilles Tautin, qui meurt à Flins début juin, poussé dans la Seine par une charge de gardes mobiles, alors qu’il était venu, aux côtés de centaines d’autres étudiants, prêter main forte aux ouvriers de Renault refusant de reprendre le travail. Si, comme l’affirme Natacha Michel, « les maos sont ceux qui, en nos personnes, sont allés outre Mai », et que « seule leur tendance, leur esprit, lui donna une postérité politique et théorique », c’est qu’ils se sont précisément attachés, au cours des années suivantes, à construire une durée politique de cette alliance avec les ouvriers née dans le feu de la révolte et dont l’épisode de Flins a constitué une référence ineffaçable.

L’UJ est officiellement interdite par décret le 12 juin 1968 tandis que Linhart, à sa sortie de l’hôpital, doit faire face à une rude mise en accusation interne : l’organisation éclate au cours de l’été et une recomposition politique s’opère. Beaucoup de militants rejoignent le PCMLF (Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France), quand d’autres, autour de Roland Castro, fondent Vive le Communisme (genèse de Vive La Révolution ![10], emblématique du courant « mao-spontex »). Une minorité de l’UJ, emmenée notamment par Benny Lévy, crée la Gauche Prolétarienne. Natacha Michel et Sylvain Lazarus sont présents à la réunion de fondation et accompagnent les premiers mois de l’organisation. Mais ils se retrouvent rapidement en opposition avec la ligne de la GP, son « caporalisme des petits chefs » (cristallisé dans la figure de Benny Lévy, dont, estime Natacha Michel, « la capacité d’influence était exorbitante à son intelligence »), son « idéologie publicitaire de la politique » et son « sensationnalisme ».

Cependant, plutôt que de quitter la GP sans autre perspective, ils partent en Italie à la rencontre des militants de l’UCI (m-l)[11], groupe maoïste qui publie l’hebdomadaire Servire il popolo, et que Natacha Michel décrit ainsi : « Très organisée, très autoritaire, dogmatique en diable, sectaire, cette UCI, elle impose à ses militants une discipline ultra-rigoureuse qui régit non seulement la vie politique, mais aussi la vie privée. » Il n’en demeure pas moins que Michel et Lazarus sont sensibles à la centralité de la ligne de masse – « écouter ce que les gens disent plutôt que leur imposer les thèmes d’une organisation » – défendue par l’UCI et à sa directive – « servir le peuple ». Ils en tirent d’ailleurs ce qui deviendra leur mot d’ordre pour les années à venir : « Remettre aux mains du prolétariat et des masses populaires la question de l’édification de leur Parti communiste de type nouveau ».

À leur retour ils décident donc de sortir de la GP pour fonder leur propre organisation et lancent un appel auquel Alain Badiou, parmi d’autres, répond. Lui venait d’une autre tradition, celle du Parti Socialiste Unifié, dont il a animé une tendance marxiste-léniniste qui, en 1969, fait scission pour rallier l’UCFML[12]. Badiou, raconte Natacha Michel, « sera un militant fécond et vivant. Il apporte avec lui son immense intelligence, sa générosité sentimentale, sa force de travail, son talent comique qui prévient tout conflit, son charme. » Elle souligne aussi son engagement intense et polymorphe, qui reflète ce que, dans ces années-là et sous la bannière du travail de masse, « intellectuel révolutionnaire » pouvait vouloir dire[13] : « Capable de rédiger une brochure en une nuit et d’être à six heures du matin à une porte d’usine, puis d’aller faire son métier ou de garder ses enfants. Mille vies dont nul sauf lui, à mon avis, n’était apte à réaliser une seule. »

L’UCF rallie également des militants ouvriers, dont les conducteurs d’autobus du dépôt de la porte d’Orléans avec qui Natacha Michel et Sylvain Lazarus avaient noué contact en Mai. Lazarus s’établit comme ouvrier au chantier de Fos, tandis que la nouvelle organisation s’implante à Marseille, Dijon, Toulouse ou encore Reims, et que des enquêtes sont également lancées en milieu rural. Une première brochure est rédigée : La Révolution prolétarienne en France et comment construire le parti de l’époque de la pensée de Mao Tsé-Toung.

Lazarus, Michel et Badiou forment la direction de l’UCF, baptisée centre provisoire : « À nous les réunions en province, la rédaction des textes, la lecture et la discussion de ceux que les militants produisent, l’implantation dans des villes. » Le même trio sera d’ailleurs, après la dissolution de l’UCF, à l’initiative de l’Organisation politique (1984-2007). Une amitié politique rare, quasi fusionnelle, ayant traversé deux organisations et longue de plusieurs décennies : « Pendant quarante ans, qu’on me croie ou pas, nous n’avons pas connu de divergences cruelles et ce qui s’ensuit : formation de tendances, luttes pour l’hégémonie, ni rivalités insanes. »

 

« Les maoïstes, c’est nous, c’est nous seuls »

Natacha Michel résume ainsi les principes fondamentaux qui président à la fondation de l’UCF :

  1. Avoir confiance dans les masses, avoir confiance dans les luttes.
  2. Organiser la gauche ouvrière à partir des situations d’usine. C’est dans les situations de masse que la politique crée ses catégories.
  3. Si parti il doit y avoir, alors il faut que cette question soit discutée au sein des masses (ce dernier terme canoniquement chinois).
  4. Rompre avec l’idée d’une avant-garde autoproclamée : créer une organisation dont les dirigeants sont des chefs, c’est-à-dire des chefs de masse en situation ouvrière (je précise que chef était le nom courant de ceux qui prenaient des initiatives, s’en sentaient responsables – rien à voir avec despotes ou adjudants).

La méthode de l’enquête, véritable « clef théorique du maoïsme français[14] », déjà mise en avant par l’UJ, est au centre du projet politique de l’UCFML. Comme le disait Mao lui-même : « Tous ceux qui font un travail pratique doivent mener des enquêtes à la base. Pour ceux qui ne comprennent que la théorie sans rien connaître de la situation réelle, il est encore plus nécessaire de procéder à de telles enquêtes, sous peine de ne pouvoir lier la théorie et la pratique[15]. » Le travail politique prend ainsi la forme d’un va-et-vient permanent : il s’agit d’abord de recueillir les idées qui circulent au sein du peuple, puis de les concentrer sous une forme synthétique après étude, et enfin de les transmettre à nouveau aux masses qui pourront les assimiler et les traduire en action. « Partir des masses pour retourner aux masses » comme le résume Mao[16]. Seule une telle ligne de masse permet d’éviter le double écueil de l’aventurisme, soit le fait de mener une politique purement centrée sur l’idéologie du parti, coupée du peuple, sans fondement réel, et du suivisme, qui consiste à nier dans les faits la fonction directrice de l’organisation, le travail de systématisation militante et d’adopter sans médiation les idées du prolétariat dans leur spontanéité brute. Double écueil que Badiou, dans un texte de jeunesse[17], nomme « l’hyperbolchevisme de l’avant-garde intellectuelle » d’une part, et « l’infrabolchevisme de la spontanéité des masses » d’autre part.

On comprend donc que l’enquête ne relève ni du recensement ni de la sociologie, mais bien d’une « interlocution militante avec ce que les gens pensent, une enquête organisatrice sur leurs formes de conscience[18] ». Pour autant que « sans la liaison de masse, le parti est nul[19] », l’enquête désigne le processus réel de l’organisation politique dont la tâche est de produire, dans le sillage de Mai, une nouvelle figure immanente et égalitaire du rapport entre étudiants et ouvriers, militants intellectuels et masses populaires.

Dès les débuts de l’UCFML, l’intervention sur le terrain des usines tente de favoriser la structuration d’une force prolétarienne indépendante des syndicats. Alors que le PCF et la CGT sont devenus des « agents de la dictature d’usine », n’hésitant pas à organiser la « chasse aux gauchistes » et à dénoncer nommément les ouvriers maoïstes, comme à Renault-Billancourt[20], dans un rôle de plus en plus assumé d’auxiliaire de la répression, il s’agit pour l’UCF d’approfondir « la contradiction qui oppose le mouvement de masse à ses soi-disant organisations légitimes[21] » – contradiction ayant éclaté au grand jour en 1968 – et d’œuvrer au renforcement d’une capacité politique ouvrière autonome. Si le PCMLF reste sur une ligne d’entrisme au sein de la CGT, l’UCF assume donc une ligne de confrontation directe avec les syndicats qui, comme l’écrit Natacha Michel, ne sont que « la face étatique du mouvement ouvrier ».

Une attention particulière est portée en octobre 1970 à la grève des ouvriers de l’usine Chausson-Reims qui, « en se séparant des syndicats, créent l’une des premières organisations autonomes de masse », offrant un exemple concret d’alternative organisationnelle au syndicalisme. Des enquêtes sont également menées à Citroën, Chausson (Gennevilliers), Penarroya (Lyon), ou encore Berliet (Vénissieux), « toutes usines où surgissait un désir d’autonomie à l’égard des syndicats dont la seule préoccupation était la négociation avec le patronat en faveur de leurs intérêts propres ».

En France comme en Italie[22], l’autonomie devient le mot d’ordre d’une nouvelle séquence qui voit la classe ouvrière lutter pour conquérir son indépendance politique : « À cette époque, c’est l’autonomie ouvrière qui nous intéresse et que nous promouvons. Le terme autonomie est dans toutes les bouches et dans la nôtre, c’est notre antienne : parvenir à constituer un camp du peuple sous direction ouvrière. Ce camp du peuple c’est le militantisme dans les quartiers, sur le front de la jeunesse, les usines. »

Puisque le syndicalisme est envisagé comme le « bras organisé de la nouvelle bourgeoisie dans la classe ouvrière[23] » (à une époque où la CGT demeure fortement liée au PCF), les maoïstes voient dans « l’irruption sur la scène politique d’ensemble de l’anti-syndicalisme ouvrier » un front essentiel de la lutte contre le révisionnisme moderne : « La lutte entre les deux voies, entre marxisme-léninisme et révisionnisme, passe nécessairement par cette question, et ce pour toute la période ouverte par Mai 68[24]. »

L’enquête sur le front des usines aboutit à la création de noyaux communistes ouvriers, comme pilier du dispositif organisationnel de l’UCF et stabilisation d’une forme de structuration extra-syndicale : « Le noyau apparaît comme ce qui est nécessaire à la solution des problèmes posés aujourd’hui quand on veut, contre les syndicats, organiser la politique révolutionnaire[25]. » Les noyaux sont par conséquent, aux yeux des militants de l’UCF, le point le plus avancé de l’avant-garde ouvrière, à qui il revient de faire vivre la question du parti au sein de la classe, et dont l’unification idéologique se déploie à travers la mise en place des « écoles ouvrières ».

En 1975, alors que l’organisation se ramifie et atteint peu à peu sa forme complète, sont lancés le Comités Populaires Anti-Capitalistes (CPAC). Si les noyaux ouvriers s’édifient au regard de la contradiction capital/travail, les CPAC s’édifient quant à eux au regard de la contradiction peuple/État. Là où les noyaux interviennent sur le terrain de l’usine, les CPAC interviennent sur celui du quartier.

Les CPAC se développent notamment autour du mot d’ordre de l’unité français-immigrés, qui devient un ressort majeur de la politique de l’UCF. Le contexte, à la fin des années 1970, est celui d’une offensive raciste du gouvernement qui se traduit par des lois scélérates visant les prolétaires d’origine étrangère, par la multiplication des rafles, la gestion néo-coloniale et répressive des quartiers populaires, ainsi que par de nombreux attentats meurtriers menés par l’extrême-droite. Les maoïstes mettent également en accusation la complicité d’un PCF chauvin et xénophobe, dont le « glissement vers une forme antipopulaire réactive » devient manifeste :

« En fait, tous deux, État et PCF, tentent d’accréditer l’idée que ce sont les jeunes immigrés qui sont responsables des difficultés de vie dans les cités et les immeubles populaires. Ils cherchent ainsi à organiser autour d’eux, chacun à leur manière, un véritable camp réactionnaire de « bons français », à la mentalité de « petits blancs »[26]. »

Face à cela, l’UCFML affirme qu’en France « c’est autour de l’idée de la classe politique unifiant les nationalités de la classe ouvrière (le prolétariat international de France), autour d’une idée du peuple organisant sans les détruire les communautés différentes, que le parti communiste de type nouveau peut s’édifier, dans un cadre national qui exclut et combat antagoniquement l’impérialisme, le chauvinisme et le racisme. »

Ce travail d’unification du « prolétariat international de France » trouve à se déployer avec le lancement de la grève contre la Sonacotra qui va devenir un « référent majeur » de l’UCF[27]. La Sonacotra, Société nationale de construction de logements pour les travailleurs, gère 275 foyers pour ouvriers immigrés répartis sur toute la France, hébergeant plus de 73 000 personnes. Créée en 1956 durant la guerre d’Algérie pour loger les travailleurs algériens, elle reste structurée par son origine coloniale : d’instrument de contrôle des Algériens (et d’endiguement du FLN), la Sonacotra est devenue un instrument de contrôle des immigrés dans leur ensemble et reflète la situation de ségrégation dont sont victimes les prolétaires étrangers en France. Au sein du système des foyers-prisons, les gérants sont d’ailleurs souvent d’anciens colons ou sous-officiers de l’armée coloniale, cherchant contre les résidents une revanche de leur défaite historique en Indochine et en Algérie.

Qualifiée de « fondatrice », la grève des loyers est un « mouvement exemplaire de l’histoire des luttes des immigrés en France, qui réussit à mobiliser pendant plusieurs années des milliers de travailleurs représentant vingt-cinq nationalités[28] ». Elle demeure le seul exemple de lutte de grande ampleur et d’une telle durée conduite dans le secteur du logement. Les maoïstes ont joué un rôle décisif dans son déclenchement : en effet ce sont deux militantes, Geneviève Petauton et Cécile Winter qui, dans le cadre de la constitution de la « région nord » de l’UCF, commencent en 1974 à intervenir au sein du foyer des Grésillons à Gennevilliers et dont le travail quotidien[29] aboutit à la formation d’une assemblée de lutte et à la rédaction d’un document de revendication qui servira de base, quelques temps plus tard, à la plateforme du Comité de Coordination des foyers Sonacotra. C’est depuis cet épicentre que le mouvement s’étend, l’année suivante, aux autres foyers de la région parisienne, par l’intermédiaire notamment d’Ahmed Charchari, ancien du FLN qui avait été jeté dans la Seine le 17 octobre 1961 et qui, venu assister aux assemblées des Grésillons, dissémine la grève au foyer Romain Rolland de Saint-Denis et ailleurs, avec l’aide des militants de l’UCF. La grande force du mouvement aura été, face à la méfiance des syndicats, de se doter d’un outil organisationnel autonome (le Comité de Coordination), fruit de ce travail d’élargissement et de structuration favorisé par les maoïstes. Lorsqu’en février 1976 se tient un grand meeting des grévistes de la Sonacotra à la Mutualité, l’UCFML est la seule organisation politique nationale admise à prendre la parole. Comme le raconte Cécile Winter : « Ce jour-là, la grande salle de la Mutualité était pleine à craquer. Dans toute cette salle on n’était que trois « blancs » : Adrienne [Geneviève Petauton] à la tribune, Alain [Badiou] et moi dans la salle. Ce fut le lancement du grand mouvement des foyers Sonacotra. »

Dans le sillage de la lutte des foyers et en réaction aux décrets Stoléru contre l’immigration familiale, l’UCF soutient ensuite la formation des Permanences Anti-Expulsion (PAE) en 1977, dont la politique se développe, là encore, sur deux fronts : « contre l’État raciste et les fascistes et contre le PCF ». Les PAE sont par exemple à l’initiative de la marche du 1er juillet 1979 en appui à la résistance des expulsés, qui défile de Saint­Denis au campement de Garges. Parmi les mots d’ordre de la séquence : « Stoléru raciste ! PCF raciste ! Unité français­immigrés vaincra ! »

Et lorsque le 17 octobre 1981, avec un meeting commémoratif à la Mutualité, l’UCF co-organise avec l’OCML-VP la première initiative publique concernant le massacre du 17 octobre 1961, la généalogie coloniale de la gauche française est de nouveau pointée du doigt :

« Revenir sur le bilan en France de la guerre d’Algérie, sur cette sombre époque pour le peuple et la classe ouvrière est d’une importance renouvelée par l’actualité. Mitterrand fut ministre de l’Intérieur de l’État colonial français au début de la guerre de libération nationale du peuple algérien, les socialistes français venus au pouvoir en 1956 furent ceux qui accentuèrent la guerre coloniale. L’État impérialiste de la Ve République (dirigé désormais par le PS) fut celui qui massacra des centaines d’Algériens en France pour empêcher (ou limiter) l’indépendance algérienne, mais aussi pour nourrir le consensus impérialiste interne, fait de chauvinisme et de racisme. Le PCF enfin pratiqua dès cette époque la collusion complète avec le colonialisme et le racisme, faisant ainsi l’apprentissage de sa constitution progressive en nouvelle bourgeoisie[30]. »

Durant ces années, l’UCF est également active sur le terrain internationaliste, sous l’hypothèse que « dans un champ général dominé par la rivalité des superpuissances et les préparatifs de guerre, l’affairement des impérialismes secondaires pour conserver leurs positions branlantes dans la crise, et la fin du vieux système colonial, la question des nations, de l’identité nationale des peuples, est une donnée décisive de la subjectivité politique de masse[31]. »

Les militants maoïstes mènent en particulier une enquête sur la révolution des Œillets et la chute du régime fasciste au Portugal, dont découle en 1975 la formation des Comités Portugal Rouge Ouvrier et Paysan Vaincra. L’UCF, souvent seule sur ces questions, se mobilise aussi et surtout contre l’impérialisme français : elle organise par exemple, en 1978, la première (et unique) manifestation à Paris contre l’intervention française au Sahara Occidental. Elle est également à l’initiative de la mobilisation contre l’intervention française au Zaïre (assaut d’un régiment de légionnaires sur Kolwézi en mai 1978).

En 1979, au moment de l’invasion vietnamienne du Cambodge (appuyée par l’URSS et, en France, par le PCF), l’UCF apporte son soutien à la résistance des Khmers Rouges qui « mènent la première guerre de libération nationale contre l’envahisseur social-impérialiste, après avoir défait la super-puissance américaine. » L’UCF impulse ainsi la création des Comités Kampuchéa Vaincra, en soutien à « la guerre populaire de résistance du peuple du Kampuchéa », perçue comme un exemple d’indépendance nationale anti-hégémonique dans le contexte de rivalité entre les deux superpuissances. Comme dans le cas des CPROPV, il s’agit d’organiser aussi bien la diffusion d’informations que le soutien matériel direct[32].

Parallèlement, l’UCF investit aussi le terrain culturel, qui va revêtir une importance non négligeable au cours de la deuxième moitié des années 1970. Car comme l’énonçait déjà la brochure fondatrice[33] : « Un des grands enseignements de la tempête révolutionnaire de Mai est que la lutte des classes ne se limite pas à l’usine. L’oppression capitaliste touche tous les domaines de la vie sociale. […] Le front de la culture et de l’art est également d’une grande importance. L’expérience historique de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne nous apprend que, dans certaines circonstances, il peut même devenir un front décisif de la lutte des classes. »

C’est ainsi qu’en 1974 naît le Groupe Foudre d’intervention marxiste-léniniste dans l’art et la culture, suite au film Portier de nuit de Liliana Cavani – « première tentative contemporaine de révision de l’extermination des juifs d’Europe » – avec l’idée, comme l’explique Natacha Michel, d’aller « débattre dans les cinémas où passe le film sur le sens de cette présentation des camps ».

Les militants du Groupe Foudre mènent des actions de boycott et de sabotage dans les cinémas et salles de spectacle, ainsi qu’à l’université. Le film de Jean Yanne, Les Chinois à Paris, est par exemple pris pour cible, avec interruption des séances et jets de peinture sur les écrans, de même que le film de John Wayne, Les Bérets verts, pour son apologie de l’intervention américaine au Vietnam. Maria-Antonietta Macciocchi devient l’une des bêtes noires du Groupe Foudre et voit ses cours à l’Université de Vincennes régulièrement perturbés par des militants de l’UCFML qui dénoncent son séminaire consacré à l’histoire du fascisme au cours duquel sont projetés plusieurs films mussoliniens ainsi que Fascista de Nico Naldini.

« Du film de Jean Yanne jusqu’à Portier de nuit en passant par Lacombe Lucien […] se dessine une même entreprise : donner droit de cité dans l’opinion à une réhabilitation du fascisme. Ceci de façon prétendument nouvelle, inédite : il ne s’agit pas de vanter les mérites d’un État fort, d’une race pure, mais, plus insidieusement, de faire le lit de ces idées, de constituer l’accoutumance à les tenir pour acceptables[34]. »

Ces différentes structures militantes (noyaux d’usine, CPAC, Groupe Foudre, PAE, comités anti-impérialistes) forment la réalité d’une politique dont l’UCF est le processus, et dont la tâche est d’assurer l’articulation dialectique. « L’UCFML fait ainsi exister sa ligne politique, sa ligne de Parti, dans le ralliement subjectif à ce qui n’est ni tout à fait elle-même, ni non plus entièrement autre chose[35]. » D’où un constant va-et-vient entre l’autonomie relative des organisations du pôle maoïste et le renforcement de l’identité de l’UCF proprement dite.

D’un point de vue militaire enfin, si l’UCF ne s’est jamais dotée, contrairement à la GP, d’une branche armée clandestine, elle avait à sa disposition, notamment durant les années 1970, un service d’ordre capable d’organiser des manifestations violentes. Alain Badiou raconte ainsi, dans un entretien publié sur acta.zone : « J’étais responsable de la commission militaire à l’UCFML, j’ai fait des textes entiers sur la question du fait qu’il fallait toujours être en état d’infliger aux flics une double frappe et pas une seule, donc j’ai fait des lignes échelonnées de lanceurs de cocktails Molotov, je connais très bien tout ça[36]. »

Outre les manifestations de rue, des actions symboliques sont également montées, en particulier au cours de la première moitié des années 1970, dans un style spectaculaire caractéristique de l’agitation gauchiste post-68 : citons par exemple l’occupation des locaux de l’éducation surveillée en janvier 1970 avec séquestration de l’un de ses directeurs et saccage des locaux (action à l’issue de laquelle Alain Badiou, parmi d’autres, est interpellé, puis condamné à 13 mois de prison avec sursis). L’UCF est d’ailleurs officiellement interdite le 27 mai 1970 pour « atteinte à la sûreté de l’État ».

Au sein du paysage maoïste français, l’UCF revendique la « lutte sur deux fronts », contre la Gauche prolétarienne d’une part, contre le PCMLF d’autre part. La GP est durement critiquée pour sa « fétichisation de la révolte », ses tendances putschistes, son aventurisme et son présupposé erroné selon lequel l’action spectaculaire serait par elle-même vectrice de subjectivation pour les masses. Comme l’explique Natacha Michel, cet « imminentisme » de la GP se fonde en particulier sur une analyse exagérément optimiste de la situation française, perçue comme au bord de la guerre civile (« là où il y avait un chaton, ils décrivaient un tigre du Bengale[37] »), et qu’il aurait donc suffi de « forcer » pour précipiter une crise révolutionnaire, dans une sorte de « mégalomanie impatiente quant au cours de l’histoire ». N’étaient-ce pas Serge July et Alain Geismar qui, dans Vers la guerre civile (écrit au retour de leur voyage à Cuba en août 1968), croyaient pouvoir prédire que « l’horizon 70 ou 72 de la France, c’est la révolution » ? La désillusion n’en a été que plus violente, et la volte-face rapide, une fois évanouie la conviction que le pouvoir était à portée de main.

L’UCF se percevait donc comme un courant « centriste », à la fois contre l’ultra-gauchisme « quasi anarchiste » de la GP, mais aussi, sur sa « droite », contre l’interprétation conservatrice et dogmatique du maoïsme qui était celle du PCMLF, « nostalgique de la grande époque thorézienne » et du vieux PCF stalinien. Comme le résume Badiou : « Nous, de l’UCFML, je dirais qu’on a été une organisation de centre-gauche, comme du reste l’a toujours préconisé Mao, qui disait de lui-même qu’il était « centriste ». »

La querelle avec le PCMLF réside également en ceci que si l’UCFML revendiquait fièrement son maoïsme, elle a toujours refusé d’être considérée un groupe « pro-chinois ». Cette distinction, où l’on aurait tort de ne voir qu’une subtilité groupusculaire sans importance, recoupait au contraire un enjeu véritable, fondé sur la division entre ceux qui d’une part déterminaient leur politique à partir d’un alignement pur et simple sur les positions de l’État chinois (cherchant à nouer avec ses représentants des relations officielles) et ceux qui d’autre part interprétaient le maoïsme d’abord comme une référence, non à l’État chinois, mais à la lutte des classes en Chine, aux leçons universelles de la GRCP : « À la différence de certains groupes, nous ne devons absolument rien à l’État chinois et nous n’avons jamais eu aucun contact avec lui. La Chine n’a jamais été pour nous un modèle à suivre. Ce qui fonde notre jugement est enraciné dans notre propre expérience. Notre propre expérience, c’est­à­dire l’application créatrice du marxisme­léninisme­maoïsme aux conditions concrètes de la révolution en France[38]. »

Enfin la critique des courants trotskistes avait pour enjeu la question de l’autonomie du camp populaire face à une « société impérialiste » dont le syndicalisme et l’électoralisme étaient considérés comme les organisateurs internes du consensus : « Nous étions contre les syndicats traditionnels et contre le mécanisme électoral. Ni noyautage des bureaucraties « ouvrières » ni participation aux élections : cela nous différenciait radicalement des trotskistes[39]. »

Ainsi, dès la présidentielle de 1974, l’UCF fait campagne pour l’abstention, renvoyant dos à dos les bourgeois anciens (Giscard) et nouveaux (Marchais) : « Nous sommes dans un monde où l’autonomie du prolétariat se joue contre deux bourgeoisies, l’ancienne et la nouvelle[40] ». Dans une brochure[41] datée de 1978, l’UCF développe sa position, partant du principe que « le parti révolutionnaire, à la différence de tous les autres partis, ne se définit pas à partir de l’État », et considérant donc que « se mêler de l’intérieur aux élections, présenter des candidats, c’est soutenir le système politique bourgeois ». En effet, l’UCF envisage le parlementarisme comme un outil de légitimation de la société impérialiste, face auquel il n’est pas possible de se contenter d’une ligne d’internalité oppositionnelle (un pied dedans, un pied dehors). Dans une référence transparente aux organisations trotskistes, la brochure s’attache enfin à déconstruire la pertinence d’un usage tactique de la procédure électorale : « Tous les pseudo-révolutionnaires qui se présentent aux élections mettent en avant l’argument selon quoi la campagne électorale est une tribune pour les idées révolutionnaires. Nous n’y croyons pas beaucoup aujourd’hui. Faut-il compter sur l’État bourgeois et sa politique pour faire connaître les idées révolutionnaires et construire la politique du peuple ? La télévision, c’est peut-être une bonne publicité pour les marques de savonnettes, le succès de la lutte de classes ne dépend pas d’elle. Pour nous, ce n’est pas la télévision qui fait l’histoire, mais, comme nous disons, ce sont les masses qui font l’histoire. »

 

« Dis-moi ce que tu penses de la révolution culturelle, je te dirai si tu es un révolutionnaire marxiste-léniniste »

Outre Mai-68, l’autre point de référence majeur de l’UCFML est, depuis sa fondation, la révolution culturelle chinoise. Les militants maoïstes voient dans la GRCP « la plus grande expérience révolutionnaire de notre temps », dont la portée est universelle : « Elle est pour la deuxième moitié du XXe siècle, ce qu’a été la Commune de Paris pour la fin du XIXe, ce qu’a été Octobre 17 pour le début de notre siècle[42]. »

Comme le dit Natacha Michel, la GRCP est fondamentalement interprétée « comme exemple de la nécessité d’une deuxième révolution dans la révolution (contre le Parti-État) ». Quelle est cette « révolution dans la révolution » ? Elle tire d’abord sa source du constat suivant : il n’y a pas de garantie du communisme par l’État socialiste. La conquête du pouvoir, si elle est une étape nécessaire, ne résout aucunement à elle seule la question stratégique du communisme. De fait, quelques années après la victoire de la révolution, en Chine comme en URSS, la bourgeoisie s’est reconstituée, au sein même de partis communistes qui se sont révélés être de véritables nids à rats de la bourgeoisie bureaucratique. Plutôt que de dépérir, l’appareil d’État s’est renforcé dans des proportions monstrueuses. Ni le changement de pouvoir politique ni l’abolition de la propriété privée ne garantissent donc l’advenue de la société nouvelle. La GRCP « montrait à l’évidence que la prise du pouvoir ne suffisait pas à réaliser l’égalité entre les gens et même pouvait l’empêcher. Que la lutte de classe continuait sous ce qui s’appelait la dictature du prolétariat, que le Parti communiste dirigeant ne représentait pas nécessairement la voie révolutionnaire et prolétarienne et qu’il y fallait une seconde révolution pendant le cours même du socialisme. » Car le socialisme, en tant que phase transitoire, n’a que deux issues : ou bien le dépérissement progressif de l’État, ou bien la restauration progressive du capitalisme. C’est pour enrayer la seconde tendance, déjà largement à l’œuvre en Union Soviétique, que Mao déclenche, à partir de 1966, la GRCP.

La révolution culturelle constitue donc un phénomène unique et sans précédent dans la séquence des États socialistes : un soulèvement populaire à échelle de masse, prenant des formes insurrectionnelles, déclenché, soutenu et encouragé par la fraction maoïste du PCC, et dirigé contre le Parti-État bureaucratisé. « La RC est lancée au nom de l’antinomie flagrante entre le Parti-État, qui conserve les positions acquises, et la politique, en tant qu’elle est stratégiquement orientée vers le communisme, lequel exige la mobilisation des larges masses[43]. »

Si la Commune était la « forme enfin trouvée » de la dictature du prolétariat et prouvait la nécessité, non d’une simple occupation, mais d’une destruction effective de l’ancienne machine d’État, la GRCP est la forme enfin trouvée de la continuation de la lutte des classes sous le socialisme et de la dénonciation de la bourgeoisie révisionniste au sein du Parti-État.

Dans la dialectique à trois termes entre État, Parti et masses, là où la voie stalinienne se signalait par la fusion totale des deux premiers termes et la forclusion du troisième, la RC vise à défaire la fusion du Parti et de l’État en rétablissant une immanence de l’organisation politique au mouvement de masse. D’où le rapport problématisé, dès les débuts de l’UCF, à la figure de Staline – « Staline qui disons-le n’est pas notre idole » comme le précise avec humour Natacha Michel – contrairement à son assomption décomplexée par le PCMLF. Sylvain Lazarus éclaire cette problématisation du stalinisme déjà amorcée par les maoïstes chinois et mise en actes par la GRCP : « La critique de Staline n’est devenue explicite qu’avec la Révolution culturelle. Elle dénonçait une politique qui avait abandonné la lutte des classes et confondu les contradictions au sein du peuple et les contradictions antagoniques. »

Telle est la leçon de la tempête révolutionnaire qui secoue la Chine depuis 1966 : pour que ce soit la politique qui commande l’État, et non le contraire, pour que le dépérissement de l’État et la résolution des grandes contradictions (entre travail manuel et travail intellectuel, entre villes et campagnes, agriculture et industrie, civils et militaires, etc.), bref pour que l’avancée générale vers le communisme soit remise à l’ordre du jour, le parti ne peut plus concentrer en lui-même la totalité du processus – « sans mouvement communiste, pas de communisme ». Comme l’énonce la Décision en 16 points d’août 1966 : « Les masses ne peuvent que se libérer par elles-mêmes, et l’on ne peut en aucune façon agir à leur place. Il faut avoir confiance dans les masses, s’appuyer sur elles et respecter leur esprit d’initiative. Il faut rejeter la crainte et ne pas avoir peur des troubles[44]. »

Un point particulièrement important de la GRCP concerne en effet l’existence et le développement d’organisations populaires indépendantes en capacité d’exercer une surveillance réelle et permanente sur les décisions de l’État (dans le sillage des intuitions du dernier Lénine et son idée d’inspection ouvrière, contre la bureaucratie soviétique naissante). « Mêlez-vous des affaires de l’État ! » dira Mao devant les gardes rouges. Or « les masses n’ont d’autre manière de se mêler sérieusement des affaires de l’État que de le pousser, brutalement ou organiquement, dans le sens de sa dilution[45] ». C’est pour cela que la GRCP, d’avoir actualisé, par le truchement de la mobilisation des larges masses, la question du dépérissement de l’État et de la réalisation des objectifs stratégiques du communisme dans les conditions d’un État socialiste post-révolutionnaire, « mérite d’être nommée la première révolution communiste de l’histoire[46] ».

 

« Le parti est mort, vive le parti ! »

Il importe de s’arrêter plus en détails sur le rapport tendu de l’UCF au léninisme, à la lumière notamment des leçons de la révolution culturelle. Il y a d’abord, jusque dans la fin des années 1970, la revendication du léninisme comme contrepoids idéologique aux illusions spontanéistes et mouvementistes du gauchisme post-soixante-huitard. « Nous savons que, sans parti politique puissant, centralisé, rassemblant l’avant-garde ouvrière ainsi que les meilleurs révolutionnaires marxistes du peuple, il n’y a qu’échec, impuissance, massacre. […] Notre organisation s’adresse à tous ceux, nombreux en France, qui veulent la révolution mais ne veulent pas le Parti. Nous leur disons : vous n’êtes pas sérieux. Vous n’avez pas de conscience historique. Vous cultivez la défaite. […] Croyez-vous qu’avec seulement vos rassemblements, votre nombre, vos protestations, vos défilés, vos dissidences, vous ferez, vous, votre politique et votre victoire ? Non, jamais, en aucun cas. […] Hors du léninisme, il n’y a que la protestation vaincue[47]. »

Léninisme, ici, se confond avec le motif du parti comme condition d’un au-delà de la révolte, comme concentration de forces qui seule permet aux mouvements de se doter d’un horizon de victoire : « Sans cet outil, on peut lutter, ici et là, et même partout comme en 1968. Mais on ne casse pas les reins aux bourgeois[48]. »

Cependant, il y a aussi, dans un mûrissement continu tout au long de la décennie, et malgré la permanence d’une rhétorique d’apparence orthodoxe, la formulation progressive d’un bilan critique du léninisme fondé sur la conviction que le maoïsme est non seulement une nouvelle étape du marxisme mais son étape post-léniniste : « Bien que notre vocabulaire emprunte beaucoup à Lénine, au travers des usines, des foyers, des occupations, des meetings, etc., entre 1970 et 1981 quelque chose comme le léninisme est destiné à être clôturé et on passe au post-léninisme. »

Ce mûrissement s’enracine, là encore, dans une interprétation approfondie de la révolution culturelle qui, comme le formulera plus tard Alain Badiou, « a expérimenté, pour tous les révolutionnaires du monde, les limites du léninisme[49] ».

En effet, « le léninisme, qui a victorieusement résolu les problèmes de pouvoir (classes antagoniques et État) légués par le XIXème siècle, n’est plus suffisant pour penser la politique de l’époque de la transition, de l’époque qui doit embrasser la question du communisme en même temps que la question de la révolution[50]. » Ou encore : « le parti léniniste est incommensurable aux tâches de la transition au communisme, quoiqu’il soit approprié à celles de l’insurrection victorieuse[51]. »

Car la logique léniniste, comme l’explique Lazarus dans ses « Notes de travail sur le post-léninisme »[52], est essentiellement une logique politico-étatique, polarisée par les questions de l’État et du pouvoir : « le parti est l’instrument de classe pour prendre le pouvoir d’État par la révolution ». Mais le communisme, en tant qu’objectif stratégique, est absent de cette logique dont les déterminations (la question de l’État et celle du pouvoir) sont en définitives des déterminations tactiques. En ce sens, comme le montre du reste l’expérience historique, « le léninisme nous laisse orphelins d’une doctrine de la politique après la prise du pouvoir[53] ».

Le maoïsme ouvre donc à la nécessité d’une rupture. La révolution culturelle, qui avait « pour objectif de voir émerger une nouvelle forme de parti ayant pour spécification principale la lutte révolutionnaire ouvrière et populaire, et non plus l’État simplement[54] », bute elle-même en fin de compte sur la reconstruction inéluctable du Parti-État, faisant signe vers une nouvelle forme d’organisation de la politique sans toutefois en livrer les contours positifs. Car « il y a un relatif silence de la GRCP et de Mao sur ce que serait le profil du parti de la nouvelle étape. Mao et la GRCP ouvrent à la période du post-léninisme en ouvrant des pistes sur la question des masses, sur le prolétariat, mais pas sur la politique prolétarienne, sur la politique du parti[55]. »

C’est de ce point que part le projet politique de l’UCF à travers le mot d’ordre de la construction d’un parti de type nouveau. Il est intéressant de noter que l’UCF insiste souvent sur le fait qu’elle-même ne prétend pas avoir fondé le parti, et qu’une telle prétention serait d’ailleurs totalement prématurée dans les conditions concrètes de la France des années 1970 (« le vrai Parti communiste prolétaire n’existe pas encore aujourd’hui[56] »). D’où que son nom exact soit : « Groupe pour la fondation de l’Union des communistes de France marxiste­léniniste ». Et l’UCF n’a pas de mots assez durs contre ceux qui, à l’instar du PCMLF, prétendent justement avoir fondé le parti, être ce parti même – par quoi ils ne font qu’en caricaturer les formes anciennes.

Le projet politique de l’UCF, affiné par la maturation d’un bilan critique du léninisme, consiste donc moins à singer l’héritage de la Troisième internationale qu’à expérimenter -comme nous l’avons vu avec l’exemple des noyaux ouvriers et des comités populaires – de nouvelles formes de discipline collective, dans le sillage des enseignements de la GRCP et de ceux de la lutte des classes en France. Comme l’explique Badiou, « même dans les figures d’organisation telles que moi j’ai pu les concevoir, en tant que mao, ce n’était pas du tout une répétition du parti léniniste ou de figures de ce genre-là. C’était en réalité beaucoup plus proche d’une discipline qui consistait à se tenir au plus près de ce que le mouvement de masse pouvait devenir ou pouvait être. »

Or comment spécifier affirmativement le parti de type nouveau ? Au-delà de son versant critique dont nous venons de parler, par quoi se signale la positivité du post-léninisme, dans des conditions où s’ébauche sa construction organisationnelle ?

Pour dépasser la limitation politico-étatique du paradigme léniniste, pour que le parti « possède en lui la capacité de se battre contre ce qui peut lui permettre de dégénérer[57] » il faut que la question stratégique du communisme soit dans une intériorité permanente au parti. Le parti, dit Lazarus, c’est, non pas seulement la révolution (catégorie de la prise du pouvoir d’État), mais la révolution plus le communisme. Il s’agit donc de caractériser l’époque post-léniniste du marxisme « comme nécessité, pour le parti, d’être effectivement révolutionnaire ET communiste ».

C’est là que réside l’exigence du post-léninisme. Mais que veut dire que le communisme soit dans une intériorité au parti ? « Tenir un bout du communisme, écrit Lazarus, c’est faire entrer, dans les questions posées, la vie des gens. » Car si la logique politico-étatique est insuffisante pour appréhender la capacité des masses, c’est que leur existence politique ne se laisse pas réduire au seul maniement de l’antagonisme. La conscience elle-même n’est pas qu’un simple reflet de l’antagonisme, elle est une pensée. Or « la thématique de la pensée a une base matérielle : les gens pensent. L’ancien parti avait une forte tendance à croire que les gens ne pensent pas. L’ancien, c’est de réduire la pratique de type parti à certaines situations tactiques. Le pouvoir, c’est tactique. La révolution elle-même, c’est de la tactique, au regard de l’État. La stratégie, c’est le communisme. Si le parti est enfermé dans la tactique révolutionnaire, il voit les masses comme des forces, mais jamais comme des processus de pensée. Il ne peut assurer une identité prolétarienne, qui est : la révolution plus le communisme. Affirmer que les gens pensent implique une positivité fondamentale : la confiance dans les masses. Ce point garantit le travail de masse prolongé[58]. »

Dans le post-léninisme, le communisme n’est plus seulement un but ou un objectif mais un attribut de la capacité politique prolétaire, pour autant que celle-ci excède sa dimension strictement antagonique : « l’unité auto-organisée du peuple a une valeur affirmative intrinsèque, de portée stratégique, et n’est pas seulement l’instrument obligé de la victoire[59] ».

 

« Notre activité militante fut de chercher à connaître ce que les gens pensaient et de changer ce possible en réel »

C’est donc dans un contexte de recomposition théorique et politique que se joue, au milieu des années 1980, la transition entre l’UCF et l’Organisation politique. « L’OP, post-classiste et post-léniniste, beaucoup plus novatrice et inspirée des thèses de Lazarus », comme le soutient Natacha Michel, acte la péremption – la saturation – du paradigme marxiste-léniniste et, à l’époque où la Chine se convertit au marché mondial, où le Vietnam se transforme en puissance expansionniste, la fin de toute référence étatique : « Aujourd’hui, le socialisme n’a plus de patrie, le marxisme n’a plus de référence en terme d’État socialiste[60]. »

Mais si le terme « organisation » remplace celui de « parti », il convient de remarquer que le dispositif militant structuré autour des Noyaux et des CPAC, issu de l’UCF, est maintenu tel quel jusque dans les années 1990. Il semble donc que le passage de l’une à l’autre organisation ait en réalité principalement eu pour fonction de combler le décalage rendu intenable entre une identité organisationnelle quasiment inchangée depuis 1969 et un cheminement théorique et pratique qui ne lui correspondait plus, ayant intégré depuis un moment le bilan critique du léninisme traditionnel. Comme l’énonce le document de dissolution de l’UCF, daté de juin 1984 : « Nous savons tous et depuis des années que le sigle UCFML ne convient plus à la politique que nous faisons et que nous exposons[61] ».

Dans ce milieu des années 1980 le contexte est par ailleurs marqué, outre la conversion rapide de Mitterrand au libéralisme, par l’occultation progressive dans le discours officiel du mot « ouvrier » au profit du mot « immigré ». Particulièrement symptomale apparaît à cet égard la grève des ouvriers de l’usine Talbot de Poissy qui, en 1983, font face à des licenciements massifs, conséquence directe de la politique de restructuration industrielle mise en œuvre par le nouveau pouvoir « socialiste ». Alors que plus de la moitié des effectifs ouvriers est d’origine étrangère, l’encadrement de l’usine fait régner la terreur, qu’il s’agisse du choix délibéré par l’entreprise de petits chefs fascistes ou de la présence du « syndicat maison » briseur de grèves CSL. Acculé par une révolte ouvrière qui touche plusieurs autres usines automobiles depuis 1982, le premier ministre Pierre Mauroy déclare : « Les principales difficultés sont posées par des travailleurs immigrés […] agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises. »

En décembre 1983 les ouvriers de Talbot, OS immigrés en tête, se révoltent contre le plan de licenciements et occupent un atelier. La CGT qualifie l’occupation d’aventuriste – elle qui déjà considérait la présence d’ouvriers immigrés au sein de l’usine comme un « héritage de la droite ». Tandis que la CFDT en appelle aux CRS pour évacuer l’usine, les grévistes sont attaqués par les bandes de la CSL aux cris de : « Les bougnoules au four ! »

Bien que défaite en janvier 1984, la grève de Talbot, « l’une des premières grèves multinationales »[62], comme l’écrit Natacha Michel, fait office de révélateur. S’y articulent la construction idéologique (à travers nombre de déclarations nettement racistes et islamophobes) d’un « problème immigré », par le gouvernement lui-même, et la montée en puissance dans le pays d’une extrême-droite de filiation pétainiste qui, lors des élections européennes de juin 1984, fait quasiment jeu égal avec le PCF.

« La vérité, c’est que le rapport qui s’est établi dans la circonstance Talbot entre l’action d’extrême-droite et le redéploiement de la politique de gauche à l’égard des ouvriers immigrés n’était pas un rapport d’opposition frontale, mais un rapport de torsion communicante. Torsion qui fait qu’une fondamentale identité circule entre des énoncés situés en des points formellement disjoints ou contraires. […] Car l’extrême-droite est évidemment parlementairement crédible de ce que son discours cesse d’être perçu comme extrémiste, ou a-typique, dès lors que ce discours, quoique méconnu, circule si l’on peut dire de part en part[63]. »

Après la grève, la figure de l’immigré comme extériorité interne (et ennemi de l’intérieur) se trouve entérinée par la politique dite de « retour au pays » encouragée par le gouvernement PS.

Natacha Michel et ses camarades y trouvent confirmation de ce que « les ouvriers immigrés sont au cœur du procès actuel de la subjectivité politique, et l’unité politique français-immigrés en acte son point crucial de subjectivation[64] ». De fait, une grande partie de l’action de l’OP, outre les usines[65], sera de contribuer à initier et à organiser le mouvement des sans-papiers. L’OP est présente en 1996 lors de l’occupation de l’église Saint-Bernard et s’investit dans la bataille pour la régularisation de 235 familles « qui viennent de toute la région parisienne, avec une forte présence de familles maliennes ».

Autour du mot d’ordre « des papiers pour les ouvriers sans-papiers », l’OP impulse ensuite un saut qualitatif organisationnel qui se traduit par la fondation en 1997 d’un mouvement durable : les Collectifs des ouvriers sans papiers des foyers. Face aux rafles et aux expulsions, face aux lois scélérates du gouvernement Jospin et au « lepénisme généralisé », « les collectifs vont devenir des écoles de défense face à la police, dans les centres de rétention, devant les tribunaux ». Comme le synthétise Natacha Michel :

« C’était notre credo : être parmi les gens des banlieues, des quartiers pauvres, des foyers, les écouter, leur poser des questions, comprendre ce à quoi ils aspirent, comment atteindre les objectifs qu’ils se donnent, créer une forme d’organisation qui leur soit propre et sur laquelle ils aient entièrement la main, sans attache à d’autres qu’eux-mêmes et ceux qu’ils rallient, sans référence à quelque parti que ce soit, telle est notre ambition. Leur proposer donc une forme d’organisation libre, à leur mesure et à leur force, même si cette dernière, leur force, ils nous doivent de la découvrir et nous en savent gré. »

L’OP est présente « dans pratiquement tous les foyers de la région parisienne » et y anime des réunions de plusieurs centaines de personnes. Au contact des sans-papiers se développe une nouvelle conception du travail militant qui rompt avec le schéma traditionnel de distinction entre organisation dirigeante et organisation de masse, comme avec celle du « comité de soutien », au profit d’une politique en partage où chacun parle en son nom. Celle-ci se matérialise par la formation du Rassemblement des collectifs des ouvriers sans-papiers des foyers et de l’Organisation politique.

Sous l’hypothèse que « le possible survient lorsque les gens tranchent sur les mots problématiques au travers de leur propres investigations », l’OP engage en particulier une bataille autour du mot « immigré » et son caractère « réactionnaire, étatique, excluant, racialiste », qui depuis le début des années 1980 apparaît comme le revers de l’absentement du mot « ouvrier ». Or « ouvrier disait ce que ces gens étaient ». D’où les mots d’ordre : « Le pays, c’est ceux qui y vivent », « Clandestins non ! Ouvriers oui ! », ou encore « On est ici, on est d’ici ». Il s’agit donc de restituer, contre son occultation étatique, le mot « ouvrier » dans des modalités nouvelles, par les moyens d’une politique en mesure de rendre cette restitution effective. « Nous disons « ouvrier » en un autre sens. C’est le nom des gens qui doivent être comptés en politique parce qu’ils sont là, et que, avec d’autres, ils font le pays. C’est le nom de ceux qu’on persécute et dont, tout en les persécutant, on dénie l’existence. C’est ce qui vient à la place du très réactionnaire et consensuel « immigré », pour dire que les gens dont on parle sont ici, et ont en eux la force d’être ici, d’être de ce pays, de sa politique[66]. »

Cette séquence devient pour l’OP emblématique d’une politique en intériorité, du point des gens et à distance de l’État. Le terme « gens », catégorie ouverte, signale d’ailleurs l’abandon du paradigme classiste désormais jugé subjectivement inopérant : « Les gens, ou indistinct certain, selon la formule de Lazarus : il est sûr qu’ils existent et on ne présuppose pas ce qu’ils sont, ou pensent. Ce point de vue était donc une conception qui prenait ses distances avec une doctrine en termes de classe. Et cela imposait, comme méthode princeps, l’enquête et l’écoute. »

Il s’agit également de penser une politique qui ne soit plus, comme dans le léninisme ancien, polarisée par l’État – à la lumière là encore de l’expérience historique : « Si l’on se refuse à interpréter le devenir des révolutions en termes d’essais et erreurs, on voit pourtant qu’une politique révolutionnaire ayant l’État pour objet et pour objectif entre dans une impasse. » Car « l’échec du socialisme n’est pas simplement l’échec de son programme, disparition des classes et dépérissement de l’État, c’est l’échec d’une centration générale de la politique sur l’État[67]. »

Là où, chez Lénine, le parti était sous condition de la conscience antagonique (en tant que conscience d’objet), penser la politique en intériorité et en subjectivité suppose de « partir de processus qui se constituent à partir de leur propre dynamique et non simplement par le travail de l’antagonisme ». Ou encore : « Dans le mode en intériorité, dire que la pensée des gens est en subjectivité indique qu’elle porte sur les gens eux-mêmes, ce qu’ils veulent, ce qu’ils font, et non sur les structures (classes, formes d’État, nature de l’économie) qu’on peut dire objectives ».

Par contraste, une politique est dite en extériorité lorsque le point de subjectivation réside dans l’État, et non dans la pensée des acteurs eux-mêmes. Alors, l’État devient le lieu unique de la politique, qui se confond avec le parlementarisme[68].

Comme le résume un texte-manifeste de l’OP datant du début des années 2000 : « Il y a toujours plusieurs politiques. Mais en définitive, il y en a de deux sortes. Il y a les politiques qui se font à partir de l’État, à partir du pouvoir gouvernemental. Et il y a les politiques qui se font, dans des situations réelles, à partir de la capacité des gens, de ce qu’ils pensent, et de ce qu’ils sont prêts à faire avec ce qu’ils pensent[69]. »

 

Les enjeux d’une querelle

L’aventure de l’OP prend officiellement fin en 2007. Le livre de Natacha Michel, dont cette date constitue la clôture narrative, permet de mieux cerner les enjeux de la dissolution et notamment du désaccord conclusif entre Lazarus et Badiou, en faisant figurer in extenso « l’acte de divorce » de ce dernier. Si l’on connaissait le jugement critique de Badiou quant à la « limitation particulariste » vers laquelle aurait glissé l’OP au fil du temps[70], ne se concentrant plus que sur la seule question des sans-papiers au détriment d’une nécessaire polymorphie du dispositif organisationnel, la lettre que reproduit Natacha Michel éclaire une querelle plus profonde.

Badiou qualifie en effet la voie suivie par Lazarus de « liquidatrice » et dénonce ce qu’il perçoit comme une révision de leur histoire commune : « Ce qui m’a rallié à vous [au moment de la fondation de l’UCF] a été, de façon tout à fait claire, le bilan novateur que vous tiriez après votre voyage en Italie de l’entreprise de l’UCI, dont la thématique fondamentale était celle de la nature de classe de l’amour du peuple, la promotion explicite du communisme comme subjectivité politique (en référence à la GRCP), la critique maoïste du révisionnisme, ainsi que la création du Parti au feu des mouvements prolétariens. Je comprends bien que tout cela relève désormais pour vous de la saturation et soit complètement obsolète, mais cela ne permet pas d’oublier que c’était ce qui nous animait et nous unifiait à l’époque. Et si dans la longue séquence qui a suivi nous avons largement modifié notre référentiel, il n’a jamais été dit, où que ce soit, que nous nous situions après le marxisme, encore moins après le maoïsme, encore moins après le communisme ! »

Il est intéressant de noter que pour Badiou, le désaccord avec Lazarus « pointait son nez dès la fin des années quatre-vingt », celui-ci ayant été compensé par l’unité organisationnelle qui était la leur jusque dans les années 2000. Peut-on alors identifier sur quoi se joue exactement la « liquidation » mise en cause ? Nous disions plus haut que la formulation du post-léninisme (qui n’a jamais été, soit dit en passant, un anti-léninisme, et tendait à son dépassement davantage qu’à sa négation) supposait une intériorité au parti de la question stratégique du communisme, au-delà de celle, tactique, de la révolution : « le parti c’est la révolution + le communisme ». Or il est devenu de plus en plus évident que Lazarus, ayant déclaré l’abandon de la question du parti, puis l’obsolescence de la catégorie de révolution, a fini, poussant la logique de la saturation jusqu’à ses ultimes conséquences, par renoncer à l’idée de communisme elle-même. « C’est le communisme comme catégorie politique qui est venu à faillir et avec lui l’essence du marxisme », comme il l’énonce dans un texte récent[71]. De son propre énoncé post-léniniste, il ne reste, pour ainsi dire, plus rien – ni le parti, ni la révolution, ni même, finalement, le communisme.

Dans le troisième numéro de La cause marxiste (2ème trimestre 1983) on pouvait encore lire, à propos du déplacement opéré par le post-léninisme vis-à-vis de la logique politico-étatique : « Il y a articulation, mais différenciation radicale entre les formes de conscience et la question du pouvoir. Ce qui est en jeu dans les formes de conscience, c’est un travail des masses sur elles-mêmes où la question du pouvoir peut être un point de départ ou un point d’arrivée, mais ne peut pas être considérée comme l’essence du processus. » Au terme de sa trajectoire intellectuelle, Lazarus, en abandonnant la catégorie d’antagonisme (plutôt que de la dialectiser avec ce qui, du point de la capacité des masses et des formes de conscience, l’excède), finit par évacuer complètement la question du pouvoir. Alors que, comme le rappelle Badiou dans un entretien récent, supprimer purement et simplement la question du pouvoir revient en définitive à s’installer dans une acceptation subjective de l’ordre dominant, et dans la conviction que cet ordre est ici pour durer. Si le rapport à l’État n’est pas, et ne peut plus être, ce qui définit la politique, « cependant, stratégiquement, il faut briser l’État, parce qu’il est le gardien universel de la voie capitaliste[72] ». Le rapport de la politique à l’État ne peut donc se résumer à un pur rapport de distance, il doit être « un mixte de distance et de négativité ». Il s’agirait alors, prolongeant les leçons de la GRCP au lieu d’en déclarer la péremption, de penser les conditions d’un pouvoir populaire qui, plutôt que de persévérer dans son être, tendrait au contraire, sous l’effet combiné d’organisations de masse indépendantes et d’un parti qui leur serait immanent, à dépérir, comme on l’a vu plus haut.

Il n’est sans doute pas insignifiant de remarquer que Badiou, dans sa « lettre », fait référence à un texte[73] écrit par Sylvain Lazarus en 1982 au moment où une vingtaine de militants liés aux Permanences Anti-Expulsions quittent l’UCF, provoquant une douloureuse crise interne. Ce texte, qui qualifie les scissionnistes de « révisionnistes populistes petit-bourgeois », identifie la lutte des classes, la dictature du prolétariat et le communisme comme les trois points fondamentaux d’une politique prolétaire. Et selon le Lazarus d’alors, au cœur de la querelle avec les scissionnistes, il y a justement leur refus de la dictature du prolétariat, qui est « ce par quoi est désignée l’hypothèse d’une capacité de la politique prolétaire au pouvoir politique ». Nul doute que cette référence ait pour fonction de souligner la distance parcourue, jusqu’à la « liquidation » évoquée, par Lazarus dans les années suivantes.

D’où que pour Badiou, la disjonction finale avec ses anciens camarades soit considérée comme un avatar contemporain de sa lutte de longue haleine contre le courant intellectuel issu de la dissolution de la GP (à laquelle, comme il ne manque pas de le rappeler implicitement, Natacha Michel et Sylvain Lazarus ont – brièvement – appartenu) : « À mes yeux ce n’est là qu’une nouvelle étape, un peu inattendue (ce qui est toujours intéressant) de l’affrontement avec le révisionnisme idéologique et historique initié par la nouvelle philosophie depuis la fin des années soixante-dix et qui finira semble-t-il par engloutir quiconque a flirté, serait-ce provisoirement, avec la GP. »

Ce dissensus interprétatif quant à leur propre histoire militante se vérifie aussi à la manière dont Natacha Michel, dans son livre, valorise l’expérience de l’OP au détriment de celle de l’UCF (qui, pour flamboyante qu’elle fut, semble appartenir à une étape « arriérée » de son parcours politique), là où Badiou en assume et revendique intégralement la généalogie. Il soutient même, comme lors de son intervention[74] au séminaire Conséquences en juin 2017, que le défi politique du présent consiste à ressaisir, dans des formes nouvelles, l’essence de ce qui faisait le projet maoïste au sortir de la tempête révolutionnaire de Mai, à savoir le travail de masse : « Ce qui a été fait par les organisations surgies dans ce but après Mai 68 peut et doit être refait. Nous devons reconstituer la diagonale politique dont j’ai parlé, qui demeure aujourd’hui une diagonale entre le mouvement de la jeunesse, quelques intellectuels et le prolétariat nomade. Déjà on s’y emploie, ici ou là. C’est l’unique tâche proprement politique de l’heure. »

Et l’on défendra volontiers, quant à nous, la thèse d’une actualité de la thématique du parti de type nouveau à l’heure où s’observe, depuis plusieurs années déjà, et y compris en France, une disjonction ruineuse entre la répétition de mouvements de masse vigoureux mais systématiquement défaits, et la faiblesse dramatique des organisations existantes, faisant signe vers la nécessité de nouvelles formes d’agrégation collective à la hauteur du défi stratégique de notre temps.

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Photo : Ed Leszczynskl via Unsplash

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Notes

[1] Les nouveaux partisans. Histoire de la Gauche Prolétarienne par des militants de base, Al Dante, 2015, p. 10.

[2] Félix Guattari, Les années d’hiver (1980-1985), Les prairies ordinaires, 2009.

[3] Alain Badiou, Les années rouges, Les prairies ordinaires, 2012.

[4] Alain Badiou, « À propos des années rouges » (Préface), in Les années rouges, op.cit., p. 5.

[5] Catherine Hass, « Scripta volant, verba manent », disponible en ligne.

[6] Une partie des numéros des Cahiers, couvrant la période 1964-1967, est disponible en ligne. On remarque que le numéro de juillet-octobre 1966, consacré à « Art, langue : lutte des classes » comporte un texte d’Alain Badiou, « L’autonomie du processus esthétique », entre autres signatures prestigieuses, comme celles d’Étienne Balibar, Mao Tsé-Toung… ou encore Joseph Staline.

[7] Alain Badiou, Théorie de la contradiction, 1975, disponible en ligne.

[8] Les nouveaux partisans. Histoire de la Gauche Prolétarienne par des militants de base, op.cit., p.29.

[9] Les nouveaux partisans, op.cit., p. 31.

[10] L’existence de VLR fut relativement brève puisque le groupe se dissout en 1971. Les 17 numéros de son journal, Tout !, sont disponibles en ligne.

[11] Unione dei comunisti italiani (marxisti-leninisti), fondée en octobre 1968. L’UCI connaît une rapide involution électorale puis, de scissions en exclusions, disparaît à la fin des années 1970.

[12] Voir A. Badiou, H. Jancovici, D. Menetrey, E. Terray, Contribution au problème de la construction d’un parti marxiste-léniniste de type nouveau, Maspero, 1969, disponible en ligne.

[13] On pense également à ce passage du film de Pierre-André Boutang et Annie Chevallay consacré à Toni Negri, où ce dernier raconte comment il allait, aux aurores, à la rencontre des ouvriers du Petrolchimico de Porto Marghera, cravate dissimulée dans sa poche, avant de repartir en direction de Padoue pour y enseigner la « doctrine de l’État » à l’université. Glorieuse époque où les intellectuels – certains du moins – passaient plus de temps aux portes des usines que sur les plateaux de télévision.

[14] La formule est de Serge July. Voir Bruno Bosteels, « Pour le maoïste que je suis » (postface), in Alain Badiou, Les années rouges, op.cit., p. 306.

[15] Mao Tsé-Toung, « Enquêtes et recherches », in Citations du président Mao Tsé-Toung, Seuil, 1967, p. 138.

[16] Voir Mao Tsé-Toung, « À propos des méthodes de direction » (1943), disponible en ligne.

[17] Alain Badiou, « Brouillon d’un commencement » (1968), in Circonstances 5. L’Hypothèse communiste, Lignes, 2009, p. 73.

[18] Natacha Michel, « Préface », in Sylvain Lazarus, L’intelligence de la politique, Al Dante, 2013, p. 17.

[19] Alain Badiou, Théorie du Sujet, Seuil, 1982, p. 198.

[20] Natacha Michel raconte par exemple, dans le chapitre consacré à l’assassinat de Pierre Overney, comment la CGT a dénoncé en janvier 1972 des ouvriers maoïstes travaillant chez Renault, précipitant leur mise à pied.

[21] UCFML, « Édification du Parti et question syndicale » (1975), disponible en ligne.

[22] De l’autre côté des Alpes, « l’automne chaud » italien manifeste à échelle de masse un même désir d’indépendance ouvrière vis-à-vis des syndicats, qui se traduit par la formation de comités de base et d’assemblées autonomes d’usine. Tout un nouveau maillage d’auto-organisation prolétarienne qui sera le fer de lance des luttes de la décennie suivante. La Cause du peuple se fait l’écho des mobilisations transalpines avec un numéro spécial intitulé « Turin 69 : La grève de guérilla ». Pour un point de vue d’ensemble, voir Azad Mardirossian, Julien Allavena, « Autonomies italiennes », Période, disponible en ligne.

[23] Le Marxiste-Léniniste, numéro double : 18/19, Juillet-Août 1977, disponible en ligne.

[24] UCFML, « Édification du Parti et question syndicale » (1975).

[25] « Bilan d’un noyau communiste », in Le Marxiste-Léniniste, n. 24, Janvier-Février 1978, disponible en ligne.

[26] 10 ans de maoïsme. Une histoire, un bilan, une politique, numéro double du Marxiste-Léniniste, printemps 1981. Disponible en ligne.

[27] UCFML, Histoire politique du mouvement des foyers Sonacotra, 1981, disponible en ligne.

[28] Muriel Galano, « Immigration : trente ans de combat par le droit. Une lutte exemplaire », Plein Droit, n. 53-54, mars 2002.

[29] Je me base sur l’interview de Cécile Winter par Joël Fallet pour la thèse réalisée par ce dernier sur l’histoire de l’UCFML : « Pour moi, ce long travail au foyer des Grésillons, ça a été l’expérience et l’épreuve de la puissance de ce qu’est le travail de masse maoïste. Ma confiance s’origine de cette expérience réelle. »

[30] Le Marxiste-Léniniste, numéro 53-54, Été 1981, disponible en ligne.

[31] 10 ans de maoïsme. Une histoire, un bilan, une politique, numéro double du Marxiste-Léniniste, printemps 1981.

[32] Le Marxiste-Léniniste, n. 35, Mars-Avril 1979, disponible en ligne.

[33] La révolution prolétarienne en France et comment construire le Parti de l’époque de la pensée de Mao Tsé-Toung, Paris, Maspero, 1970.

[34] Alain Badiou, Le Monde, 25 avril 1974.

[35] 10 ans de maoïsme. Une histoire, un bilan, une politique. Sur la manière dont cette évolution organisationnelle constitue l’expérience militante à partir de laquelle s’élabore la thématique du post-léninisme, voir note 60 (infra).

[36] Alain Badiou : « Il faut briser le droit bourgeois », ACTA, 28 mars 2020, disponible en ligne.

[37] Voir l’entretien avec Alain Badiou, in Éric Hazan, Changement de propriétaire : la guerre civile continue, Paris, Editions du Seuil, 2007, pp. 86-99, disponible en ligne. Les citations du paragraphe suivant sont issues du même entretien.

[38] 10 ans de maoïsme. Une histoire, un bilan, une politique.

[39] Entretien avec Alain Badiou, in Éric Hazan, Changement de propriétaire : la guerre civile continue, op. cit.

[40] UCFML, « Les tâches des maoïstes », disponible en ligne.

[41] Aujourd’hui, participer aux élections, c’est soutenir l’impérialisme, Potemkine, 1978, disponible en ligne. Particulièrement intéressant est le passage où l’UCFML critique la façon dont certains groupes d’extrême-gauche (trotskistes en particulier) font référence au Lénine des années 1910-1920 pour légitimer leur participation aux élections.

[42] UCFML, « La portée universelle de la révolution culturelle », disponible en ligne.

[43] Alain Badiou, « Résurrection d’un paradigme révolutionnaire » (préface), in Hongsheng Jiang, La Commune de Shanghaï, La Fabrique, 2014, p. 17.

[44] Décision du Comité central sur la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, dite « Décision en 16 points », adoptée le 8 août 1966. Disponible en ligne.

[45] UCFML, La situation actuelle sur le front de la philosophie : Contre Deleuze et Guattari (1977), disponible en ligne.

[46] Alain Badiou, Théorie du Sujet, op.cit.

[47] Le Marxiste-Léniniste, numéro double 18/19, Juillet-Août 1977.

[48] Le Marxiste-Léniniste, n. 5, décembre 1974, disponible en ligne.

[49] Alain Badiou, Logiques des mondes, Seuil, 2006, p. 543.

[50] 10 ans de maoïsme. Une histoire, un bilan, une politique.

[51] Alain Badiou, Théorie du Sujet, op. cit., p. 221.

[52] Sylvain Lazarus, « Notes de travail sur le post-léninisme », in L’intelligence de la politique, op. cit. Également disponible en ligne sur acta.zone.

[53] Natacha Michel, « Préface », in Sylvain Lazarus, L’intelligence de la politique, op. cit.

[54] La Cause marxiste, n. 1, 2ème trimestre 1982.

[55] Sylvain Lazarus, « Notes de travail sur le post-léninisme ».

[56] « La classe ouvrière et la question du parti », Le Marxiste-Léniniste, n. 5, Décembre 1974.

[57] Le Marxiste-Léniniste, n. 1, Janvier 1974, disponible en ligne.

[58] Sylvain Lazarus, « Notes de travail sur le post-léninisme ».

[59] « L’U.C.F. : histoire et politique », in La Cause marxiste, n. 3, 2ème trimestre 1983. Disponible en ligne.

[60] « La crise du marxisme et le post-léninisme », in La Cause marxiste, n. 1, 2ème trimestre 1982. Disponible en ligne.

[61] Que le post-léninisme était une réalité perceptible non seulement dans l’élaboration théorique de l’UCF depuis au moins la fin des années 1970, mais également dans sa réalité organisationnelle se trouve mis en avant dans ce passage issu du troisième numéro de La Cause marxiste : « Quand nous avons dit, dans les années 1978, qu’il ne pouvait y avoir de politique révolutionnaire d’usine et de cité qu’explicitement référée à une forme organisationnelle, et que cette forme organisationnelle – toute notre expérience le montrait – n’était pas l’U.C.F., mais ce que nous appelions des Noyaux et des C.P.A.C, nous avancions là une proposition d’une nouveauté radicale, rompant avec la tradition organisationnelle dite marxiste-léniniste. Nous avions là un élément décisif, bien que faiblement réalisé, du Parti de type nouveau. Le post-léninisme a suivi, mais c’est sur la base de cette nouvelle politique organisationnelle qu’il a pu prendre corps et être formulé. » En effet, à partir de la fin des années 1970, le ralliement à la politique de parti ne se fait plus directement via l’UCF en tant que telle mais via les noyaux et les CPAC. Le processus de ralliement lui-même, ou d’unification, prend une forme nouvelle dans laquelle l’élément « programmatique » (normatif) perd sa centralité : « Nous n’apparaissons plus comme principalement détenteurs du discours révolutionnaire objectif, mais comme témoins actifs et organisés de la réalité actuelle des phénomènes d’avant-garde, et de leur possible poursuite et extension. »

[62] Cécile Winter, dans son entretien avec Joël Fallet cité plus haut, considère que « la première grande grève portée par des ouvriers immigrés » était celle de l’usine des Câbles de Lyon de Gennevilliers en 1973-1974, qui a d’ailleurs joué un rôle fondateur pour la « région nord » de l’UCF.

[63] Alain Badiou, Peut-on penser la politique ?, Seuil, 1985, p. 73.

[64] Alain Badiou, Théorie du Sujet, op. cit., p. 278.

[65] Sur les enquêtes aux usines Renault-Billancourt en 1985 et STECO en 1991, voir Sylvain Lazarus, « Anthropologie ouvrière et enquêtes d’usine : état des lieux et problématique », disponible en ligne.

[66] L’Organisation politique, « Parler politique, parler de la politique » (2004), disponible en ligne.

[67] Sylvain Lazarus, « Peut-on penser la politique en intériorité ? » (1985), in L’intelligence de la politique, op. cit., p. 114. Les citations du paragraphe suivant sont issues du même texte.

[68] Précisons que si la politique est à distance de l’État, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle soit indifférente à son endroit, ni qu’elle en ignore la centralité. La politique, dit Lazarus, doit être « capable de prescrire sur l’État, c’est-à-dire de prendre position à son endroit en lui restant externe et radicalement hétérogène ».

[69] « Qu’est-ce que l’Organisation politique ? » (2001), disponible en ligne.

[70] Voir Konstantin Popović, « Badiou et la question de l’organisation », Période, 28 novembre 2016, disponible en ligne.

[71] Sylvain Lazarus, « Sur une nouvelle politique contemporaine et sur la philosophie de la politique de Louis Althusser lecteur de Lénine », disponible en ligne. On peut rétroactivement déceler quelques signes annonciateurs de cette dérive dans le document de transition entre l’UCFML et l’OP cité plus haut, daté de 1984 et rédigé par Lazarus : « Communistes : il n’y a rien à faire aujourd’hui de cette catégorie entièrement référée dans la conscience moyenne au PCF. […] Communiste est une désignation politique contemporaine soviétique ou pro-soviétique. Lui restituer sa signification idéologique originelle est une gageure. »

[72] Alain Badiou, Je vous sais si nombreux…, op.cit.

[73] « Les leçons d’une crise », La Cause marxiste, n. 2, 3ème trimestre 1982. Il est intéressant de noter que ce texte fait le lien entre le rejet de la dictature du prolétariat par les scissionnistes et leur hostilité au léninisme : « Ils n’aiment pas Lénine et le léninisme. On peut même dire qu’ils le détestent. Ils confondent délibérément léninisme et marxisme-léninisme ; cela revient historiquement à assimiler Lénine et Staline et Khrouchtchev. […] Pourquoi cette hostilité organique, cette répulsion avouée pour le léninisme ? Elle est homogène à leur hostilité à la politique prolétaire et à la dictature du prolétariat dans la forme où Lénine la formule le premier dans l’histoire, la nécessité et le processus : le parti marxiste. »

[74] Le texte de cette intervention a été publié sous une forme légèrement remaniée aux éditions Fayard. Voir Je vous sais si nombreux…, op. cit.

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