
Bye bye Bayrou, Macron, et leur monde
Le mois de septembre voit resurgir en France la crise politique confinant à la crise de régime, que le bloc au pouvoir macrono-LR était parvenu à suspendre provisoirement avec la complicité du RN et du PS. Le gouvernement de François Bayrou a toutes les chances de tomber le 8 et, dans la foulée, le 10, s’annonce une journée de mobilisations, imprévisible dans son ampleur, ses formes et sa radicalité, mais fortement attendue.
Contretemps a demandé à plusieurs militants ou dirigeants d’organisations de la gauche sociale et politique de développer leurs positions concernant la nouvelle conjoncture politique qui s’est ouverte cet été, et les perspectives qu’ils avancent. Youlie Yamamoto est porte-parole d’Attac France, l’association altermondialiste très investie sur les questions financières, fiscales et budgétaires. Elle revient ici sur un certain nombre d’enjeux de cette rentrée autour des luttes sociales qui débutent cette semaine et des questions de répartition des richesses qu’elles posent notamment, et sur l’articulation entre ces luttes et le champ politique.
On pourra lire les contributions de Hadrien Clouet et Clémence Guetté, et Hendrik Davi.
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De cette société-là, on n’en veut pas. Huit années d’Emmanuel Macron et de sa politique au service des premiers de cordée. Huit années de destruction pan par pan de notre modèle social et de l’État de droit. Et puis, la dissolution de l’assemblée nationale alors que l’extrême-droite venait de remporter les élections européennes. Le sursis-victoire du nouveau front populaire de l’été 2024 a su montrer que la seule porte de sortie de la crise sociale et institutionnelle ne serait pas le RN mais la rupture avec les politiques néolibérales. Comme un mauvais rêve qui revient et qui pourrait virer carrément au cauchemar, les annonces de Bayrou sur le Budget 2026 nous projettent à nouveau dans cette course de vitesse que doit mener le mouvement social. Celle pour un monde de vie, et non de survie. Le parfum familier de la contestation sociale flotte dans l’air. De celui capable de construire un rapport de forces. Sans rentrer dans l’analyse comparative, la gauche est partie en retard lors du mouvement des gilets jaunes, cette fois-ci elle est à l’heure. Et même en avance, car finalement Nicolas n’y va pas[1] et Bayrou organise son pot de départ. On ne criera pas victoire, mais on peut se permettre un peu d’espoir.
Fin du multilatéralisme, impasse du néolibéralisme, un capitalisme globalisé toujours plus productiviste, oppressif, impérialiste : les peuples et la nature sont assiégés. Les Trump, Poutine, Netanyahou, Bolloré, Arnault, Zuckerberg, Musk et Cie font leur marché. Ils ont fait une croix sur la planète et les gens, avec le masculo-fascisme pour compagnon. Un monde en crise, un monde en guerres oui, mais un monde en luttes.
Agir local, penser global. Ce leitmotiv porté par Attac lors de l’essor de l’altermondialisme n’est pas éculé. Avec la séquence politique que traverse le pays, nous allons devoir procéder étape par étape, car c’est bien une fenêtre qui s’ouvre pour le mouvement social. Depuis la réforme des retraites qui a mobilisé des millions de personnes, les mouvements de contestation sociale et écologique ne reculent pas devant la tâche. Cette convergence s’est exprimée dans un front démocratique inédit après la dissolution de juin 2024.
Car nous sommes dans un contexte de point de bascule du pacte social et de l’équilibre d’une société démocratique déjà au bord du précipice. Trop c’est trop comme on dit. Les revenus des ultra-riches s’envolent, creusant directement les inégalités. Les dividendes battent des records d’année en année, la France championne d’Europe et top 3 mondial des millionnaires. Pendant cette fuite en avant d’explosion des fortunes, de concentration des patrimoines, d’accaparement des terres, et d’accumulation des profits, le taux de pauvreté français lui aussi, bat des records.
Et que nous raconte cet été ? Le revirement populaire de la loi Duplomb, les annonces sur le Budget 2026, l’appel à tout bloquer le 10 septembre, et l’auto-dissolution de Bayrou. C’est le rejet d’années de politiques injustes et écocidaires qui s’exprime. Avec la pétition à 2 millions de signatures contre la loi Duplomb, le mépris démocratique acharné et spectaculaire du pouvoir provoque indignation et colère. Les gens ont bien compris que leur santé serait sacrifiée sur l’autel des profits de l’agro-business. S’ensuivent les annonces sur le budget 2026 d’une austérité grotesque. Là encore, la population comprend très bien qu’elle se retrouve variable d’ajustement de choix politiques injustes, et refuse de payer les pots cassés. Et La rancœur des 49-3 de la réforme des retraites n’est pas loin…tout comme pour le peuple de gauche, la colère de la répression à Sainte Soline, suite au meurtre de Nahel, et aux mobilisations pour le peuple kanak ou palestinien, mais aussi la joie de voir la gauche gagner aux dernières législatives. Duplomb, Budget, Bayrou…cet été nous dit que le temps de la justice sociale et écologique est venu.
Bayrou a eu peur du 10 septembre. C’est une opportunité pour créer un mouvement qui porte haut et fort les revendications de progrès social et écologiste, et qui fasse tomber le budget. Quel que soit le scénario après le vote de confiance le 8, avec ou sans Bayrou la lutte contre l’austérité peut nous rassembler. C’est un sujet populaire, où toutes les sensibilités du mouvement social peuvent s’exprimer, et où chaque organisation peut décliner selon son agenda et ses lignes.
Il y a toutefois deux éléments que nous devons marteler unanimement et sans relâche si l’on veut construire un rapport de forces dans la bataille culturelle, médiatique et politique. D’abord, 1/ le chantage à la dette est grossier. Il vise à faire peur et justifier l’austérité. Le pays n’est pas au bord de la faillite comme l’a très récemment rappelé l’OFCE, le pronostic vital de l’État n’est pas engagé contrairement à ce qu’a déclaré Bayrou lors des annonces sur le Budget. La cause de la dette n’est pas un dérapage des dépenses publiques, qui sont stables. Le problème vient du manque de recettes. Si la législation fiscale et le niveau de recettes sociales avaient été figés depuis 2017, la dette serait à 99% du PIB contre 110% en 2023. C’est la politique fiscale et sociale des quinquennats macron qui creuse ce gouffre : des années de cadeaux fiscaux et d’exonérations de cotisations sociales qui ont profité aux plus riches et grandes entreprises, et ce sans effet important sur l’activité économique. Et puis 2/ce budget est un coup de grâce pour la population, il arrive après des années de destruction de notre modèle social. Avec près de 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, sans exagération aucune, sans drama instrumentalisé, c’est véritablement et littéralement une question de vie ou de mort pour les gens. La vie de la population devient un arbitrage quotidien entre se soigner, se nourrir correctement… Un autre budget est non seulement possible, mais aujourd’hui vital. C’est avec un financement massif des services publics, l’investissement dans l’emploi, la santé, l’école, le transport, le logement, l’inclusion, la lutte contre le réchauffement climatique que la société pourra en finir avec la spirale infernale des politiques néolibérales. Car le ruissellement ça ne marche pas, la question du partage des richesses ne peut plus être repoussée. La croissance et le PIB comme curseur de la vitalité d’un pays nous mènent à notre perte, c’est au contraire en plaçant la lutte contre les inégalités et les injustices au cœur des politiques publiques que nous pourrons nous en sortir, et faire face à la catastrophe écologique. Le RN, on connait, on a déjà essayé, dans de nombreuses villes notamment ; ce qu’on n’a pas essayé c’est d’agir sur les recettes de façon véritablement redistributive. La population s’est suffisamment serré la ceinture, maintenant ce sont les ultra-riches et les multinationales qui doivent faire des efforts. Les 0,1% les plus riches payent proportionnellement moins d’impôts que tout le monde. Les aides publiques aux entreprises représentent le premier Budget de l’État : 211 milliards versés chaque année sans suivi, ni contrôle, ni aucune condition sociale, environnementale ou en matière de maintien de l’emploi.
Lutter contre l’austérité est une carte à jouer. L’extrême droite est mal à l’aise avec le sujet. Elle se présente comme défenseur du petit peuple, du pouvoir d’achat, mais son programme économique et social est inefficace et xénophobe. A part le pouvoir d’achat, rien sur la santé, l’école, le transport, le logement, les services publics…Dernière trouvaille du RN en date pour réduire le déficit : allonger le délai de carence des arrêts maladies des fonctionnaires. L’appel « Bloquons tout » du 10 septembre exprime un mouvement de fus radical des politiques néolibérales, et a déjà fait reculer Bayrou avec la décision du vote de confiance le 8 septembre. S’ouvre une séquence où la colère peut s’orienter vers le ras le bol des injustices fiscales et sociales, et qui mette en sourdine les discours racistes, même s’ils ne disparaitront pas miraculeusement du jour au lendemain. Une séquence qui puisse s’articuler aux mouvements des derniers mois, que ce soit sur le terrain écologique et féministe, ou en solidarité avec le peuple palestinien.
Les mobilisations sur le terrain devront trouver à s’articuler avec le monde du travail et syndical. La manifestation intersyndicale annoncée le 18 septembre dessine les contours de cette articulation. Difficile d’imaginer ce qu’il se passera mercredi, mais une chose est sûre, comme Nicolas n’y va plus, la balle est dans notre camp, pour voir advenir une société capable de rompre avec le néolibéralisme mort-vivant du macronisme.
Note
[1] Référence au slogan « #NicolasQuiPaie » soutenu par les mouvements d’extrême droite ; voir « C’est Nicolas qui paie »… et qui oublie ce dont il a profité »