Chili : à 50 ans de sa fondation, le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) en héritage
Il y a 50 ans était fondé, au Chili, le MIR (Mouvement de la Gauche Révolutionnaire). Après un retour sur la trajectoire d’une organisation au confluent de traditions politiques diverses mais enracinée dans le marxisme révolutionnaire, Franck Gaudichaud s’entretient avec Igor Goicovic Donoso, historien spécialiste de la violence politique et membre du MIR dans les années 1980-1990.
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Le 5 octobre 1974, Miguel Enríquez – secrétaire général du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) – était assassiné los d’un combat inégal, rue Santa Fe à Santiago du Chili, qui l’opposait aux services secrets de la dictature du général Pinochet. En 2014, 40 ans après, dans la capitale chilienne comme dans le reste du pays, ont été organisés par plusieurs collectifs politiques, organisations sociales et revues (comme le bimensuel Punto Final) des commémorations, présentations de livres ou meetings, non seulement en mémoire du dirigeant politique que fut Miguel, mais aussi au nom de tous les résistant-e-s qui ont lutté contre la Junte et sont morts pour avoir cherché à transformer le Chili dans une perspective socialiste.
Aujourd’hui, ce sont les 50 ans de la fondation de cette organisation politique révolutionnaire qui sont au cœur de plusieurs activités publiques à Santiago, comme dans diverses régions, à Concepción en particulier1. Non sans d’ailleurs provoquer les réactions indignées de grande partie de représentants de la droite (et des ex-soutiens de la dictature de Pinochet – 1973-1989) face à ce qu’ils considèrent comme l’histoire « d’un groupe qui a promu la lutte subversive armée dans l’histoire du Chili » et qui, de ce fait, ne saurait être l’objet de rencontres publiques et séminaires dans des espaces publics2…
Le MIR nait à Santiago le 15 août 1965, de la confluence de plusieurs petits courants de la gauche critique (trotskistes, guevaristes, chrétiens radicaux, ex-socialistes ou communistes) qui s’opposent au parlementarisme et l’électoralisme du PC chilien et aspirent à construire une organisation marxiste révolutionnaire. L’air du temps est alors marqué par la guerre froide, les luttes anti-impérialistes et surtout dans ce sud de l’Amérique latine par l’impact continental de la révolution cubaine et les discussions autour de la lutte armée.
Dans ses textes fondateurs, les MIR se distingue des analyses de la gauche marxiste traditionnelle. L’organisation insiste sur le caractère inégal et combiné du développement capitaliste dépendant du pays, sur l’illusion qu’il y aurait à s’allier – comme le propose le PC – à une bourgeoisie « nationale » inexistante ou encore à poursuivre une tactique de « révolution par étape », pacifique et institutionnelle. Les miristes pensent que le processus révolutionnaire doit être ininterrompu, permettre l’alliance de la classe ouvrière, des travailleurs avec « les pauvres de ville et de la campagne » et qu’il est indispensable de détruire violemment l’appareil d’Etat bourgeois, tout en se défendant des assauts de l’Impérialisme.
Le MIR se construit selon des critères léninistes en termes de « centralisme démocratique » et se considère comme une « avant-garde révolutionnaire » au service du peuple chilien, mais aussi de la Révolution latino-américaine, cultivant une vision continentale et internationaliste. Le premier congrès approuve un document intitulé « A la conquête du pouvoir par la voie insurrectionnelle » qui revendique la lutte armée et la guerre populaire prolongée comme moyen légitime du mouvement révolutionnaire, des « thèses politico-militaires » validées lors des débats nationaux suivants.
A partir du 3eme Congrès (1967), une nouvelle génération – en partie issue du milieu étudiant de la ville de Concepción – prend le contrôle de la direction, avec à sa tête un brillant étudiant en médecine (passé par la PS), Miguel Enriquez, mais aussi son frère Edgardo ou encore Bautista Van Schouwen, Sergio Pérez et Ricardo Ruz. Ces jeunes militants terminent par écarter (et même par expulser en 1969) la plupart des vieux dirigeants ouvriers et l’opposition trotskyste (dont l’historien Luis Vitale, Humberto Valenzuela ou encore Óscar Waiss qui rejoint le PS). Le MIR réoriente alors davantage l’organisation vers une orientation stratégique proche du castrisme : diverses actions spectaculaires et « expropriations » de fonds bancaires obligent d’ailleurs ses militant-e-s à passer à la clandestinité.
Avec l’élection de Salvador Allende en 1970 et le retour à la légalité, le MIR – malgré une organisation de quelques milliers de militant-e-s seulement – devient l’une des principales organisations de la gauche révolutionnaire extra-parlementaire, avec un écho non négligeable au sein du mouvement populaire et de ses franges les plus politisées. L’époque du gouvernement de l’Unité Populaire, coalition de gauche articulée autour du PC et du PC, est qualifiée de « processus prérévolutionnaire », mais le pari allendiste « d’une voie chilienne au socialisme », institutionnelle, non armée, respectueuse de la Constitution et des Forces Armées est vertement dénoncé comme « dominée par le réformisme ouvrier et petit bourgeois »3. Malgré tout, le MIR soutient de manière critique les mesures gouvernementales les plus avancées, mesures qui apparaissent aujourd’hui comme très radicales : nationalisation de la réserve de cuivre, de 90% du système bancaire et de nombreuses entreprises, réforme agraire, augmentations considérables des salaires de base, politique internationale anti-impérialiste « non-alignée »).
La jeune organisation cherche aussi à radicaliser les fractions jugées révolutionnaires l’Unité Populaire (l’aile gauche du PS ou la Gauche chrétienne en particulier) et suspend même ses opérations armées pour mettre son appareil clandestin au service de la sécurité du Président Allende (avec la création du GAP, service de sécurité personnel). Lors de ces milles jours qui ont marqué à jamais la mémoire collective du peuple chilien et des gauches mondiales, l’organisation du MIR, très verticale et compartimentée autour de Groupes politico-militaires (GPM), entre de plus en plus en tension avec la dynamique réelle de la lutte des classes et les formes plus horizontales de pouvoir populaire, tels les Cordons industriels (en particulier à partir de 1972).
Nombreux sont les militant-e-s et sympathisant-e-s qui ressentent cette contradiction comme un frein au développement du parti et à la création des « commandos communaux » de travailleurs, étudiants et paysans, perspective de pouvoir dual revendiquée par le MIR avec force à partir de 19724. Si le parti ne rassemble qu’entre 10 à 15.000 personnes, il influence des dizaines de milliers de membres actifs du mouvement populaire au travers de « fronts intermédiaires », ceci malgré une faible présence au sein du mouvement ouvrier, largement dominé par le PS, les communistes et la Démocratie-Chrétienne.
Après le coup d’État de septembre 1973, le MIR est l’une des premières organisations de la gauche à entrer en résistance et à annoncer, avec courage et décision : « le MIR ne part pas en exil ! ». Face à une dictature civilo-militaire féroce et implacable, ces militant-e-s tentent de déployer, dans des conditions très difficiles, leur stratégie de « guerre populaire prolongée » et de droit légitime à l’insurrection armée face à la tyrannie. Cela passe notamment par une douloureuse réorganisation interne, en particulier suite à l’assassinat de Miguel Enríquez5 et de nombreux cadres de direction (notamment à Malleco, en 1975).
Andrés Pascal Allende6, le nouveau secrétaire général, sera notamment l’un des initiateurs de « l’Opération Retour » (à partir de 1977-1978), destinée à réintroduire sur le territoire national des militant-e-s en exil, souvent formés à Cuba, afin d’organiser des opérations de résistance ou encore des tentatives de guérillas, comme celle de Nelthume dans le sud du pays (1981).
Le coût humain de ces années noires est terrible et les résultats politico-militaires de cette orientation sur le cours de la dictature sont encore sujets à controverse au sein des ex-militant-e-s ayant survécus, comme parmi les historiens. La commission politique tente, souvent depuis l’étranger, de diriger sans vraiment mesurer les rapports de forces réels, ni toujours comprendre la dynamique interne de la dictature. Les années 1985-87 seront celles de la dispersion et du déclin, produit de nombreuses et douloureuses dissensions, de l’absence de vie démocratique interne, de l’exil et surtout de la répression massive, débouchant sur la division entre plusieurs tendances (« MIR historique », « MIR politique » et « MIR militaire »), aboutissant par une dissolution « par en haut » (sans même avoir organisé de Congrès national).
Aujourd’hui, plusieurs collectifs et petites organisations anticapitalistes se réclament de l’héritage révolutionnaire miriste et de son drapeau noir et rouge. Certains revendiquent même la continuité de l’organisation jusqu’à nos jours (en particulier le MIR dirigé par Demetrio Hernández7), au sein d’espaces sans influence réelle au sein du mouvement populaire. Après 4 décennies de capitalisme néolibéral effréné et plus de 20 ans d’une démocratisation partielle gérée avec enthousiasme par les sociaux libéraux (gouvernements de la « Concertation » – 1990-2010), les luttes sociales ont commencé à effriter le mythe du Chili « développé », moderne et « stable ». Les grandes mobilisations étudiantes de l’année 2011 qui ont cherché à mettre fin à l’héritage de Pinochet dans le domaine éducatif, les revendications en faveur d’une Assemblée Constituante pour -enfin !- en terminer avec la Constitution autoritaire de 1980, le retour du spectre des luttes ouvrières et des salarié-e-s précaires (ports, mines, call center, secteur forestier) ou encore l’idée d’une renationalisation du cuivre montrent qu’une nouvelle période pointe son nez.
Le second gouvernement de la socialiste Bachelet (depuis mars 2014) et l’intégration du PC à l’exécutif sur la base d’une programme de réformes qui restent sur le fond fonctionnelles au système néolibéral, ouvrent aussi un espace à gauche et à une possible réinvention d’une perspective anticapitaliste au Chili. C’est ce que soulignait en 2014 la cinéaste Carmen Castillo8, compagne de Miguel et à ses côtés lors de son dernier combat, lorsqu’elle affirmait que les luttes de celles et ceux qui sont tombé-e-s sous les coups de la dictature au nom de leur engagement révolutionnaire habitent toujours le présent et sont un fil rouge pour penser le futur :
« La fidélité à Miguel Enríquez se joue dans le présent de nos vies politiques. Avec les leçons de Miguel et du MIR en tête, lucides et avec beaucoup d’humour, révolutionnaires pleins de doutes, sans foi ni credo, parions à partir des incertitudes du siècle afin de nous armer d’un courage qui soit aussi une valeur non négociable, en mettant une énergie absolue au service d’une certitude relative, et en inventant de nouvelles formes de la lutte anticapitaliste »9.
Franck Gaudichaud
Entretien avec Igor Goicovic Donoso10
Afin de faire un bref bilan de cette histoire riche pour penser les émancipations au XXIème siècle et qui a fortement influencée les débats stratégiques des gauches révolutionnaires au XXème siècle, nous avons échangé avec Igor Goicovic Donoso, historien de l’Université de Santiago (USACH), spécialiste des questions de violence politique et ex-militant du MIR dans les années 1980-1990.
Pourrais-tu, en quelques mots, nous raconter ton expérience personnelle au sein du MIR ?
Ma formation initiale, plus culturelle que politique, s’est faite au Parti socialiste (tendance « Almeyda »). Je venais d’une famille socialiste et d’une région (la province de Choapa) dans laquelle le PS a été historiquement la principale force politique. C’est avec cette formation que je suis arrivé en 1980 à l’Université catholique de Valparaiso. Mais à partir de 1982, mon engagement de militant au PS a commencé à faiblir. Je remettais beaucoup le parti en question, surtout le fait qu’il ne se définisse pas clairement politiquement ; par exemple, en ce qui concernait la préparation et le développement de « l’insurrection populaire des masses » contre la dictature.
J’ai alors commencé à soutenir les actions que les camarades du MIR développaient au travers des « milices de la résistance populaire » ; principalement dans le domaine de la propagande et de l’agitation. Mais en 1984, j’ai été arrêté par la CNI (police politique de la dictature) et ai passé deux ans à la prison de Valparaiso. En prison, j’ai fait partie du collectif des prisonniers du MIR et pendant une période j’ai même dû assumer la représentation de l’Organisation des prisonniers politiques (OPP). En sortant de prison, j’ai rejoint l’université et des tâches de représentation publique du MIR m’ont été assignées. J’ai été dirigeant étudiant jusqu’en 1988.
C’est durant cette période que j’ai aussi assisté à la division du parti. Bien que très critique envers tout ce qui s’y passait (je considérais qu’il s’agissait d’une crise de direction), je suis resté loyal envers le parti et j’ai suivi la ligne que dirigeait Andrés Pascal Allende. J’ai aussi été témoin, postérieurement, de l’éclatement de l’organisation, en 1986-1987. J’ai alors milité dans l’une de ses micro-fractions jusqu’en 1992. Cette année-là, une forte répression dans le sud du pays a fini par démanteler notre groupe.
En tant qu’historien, quelles étapes principales et évènements mettrais-tu en exergue concernant la trajectoire du parti ?
Je pense qu’il existe quatre périodes fondamentales dans l’histoire du MIR et que ces quatre périodes rendent compte de l’existence de quatre partis distincts. La première étape, qui va de 1965 à 1967, correspond à l’étape de formation du parti où prédomine, par-dessus tout, l’influence trotskyste. Une seconde étape, qui va du 3ème congrès (1967) jusqu’à l’affrontement de Malloco (octobre 1975), est celle où s’affirme l’influence de la tendance « castro-guévariste » et se forme la direction collective dirigée par Miguel Enríquez. Le MIR se déploie alors en cherchant à conduire le processus révolutionnaire (époque du gouvernement Allende – 1970-1973), ceci jusqu’à la première phase de la résistance à la dictature (1973-1975). Mais ce parti, à mon avis, commence à disparaître avec la mort de Miguel (octobre 1974) et le départ à l’étranger de la direction du parti qui s’ensuit (1975) .Après cela, se produit une grande dispersion des militant-e-s (aussi bien au Chili qu’en exil) et beaucoup de ces cadres cessent définitivement de militer.
La troisième étape a commencé fin 1975, avec la constitution de différents noyaux de reconstruction du parti. Elle s’est renforcée avec l’Opération Retour (1978), puis s’est étendue avec le recrutement de nouveaux cadres, spécialement chez les jeunes, les « pauvres des villes » et les travailleurs précaires. Se constitue alors un nouveau parti, celui des frères Vergara Toledo et d’Aracely Romo11. Ce parti sera, jusqu’en 1984, celui qui supportera tout le poids de la lutte antidictatoriale. La dernière étape, qui commence avec la crise interne de 1986, surprend le MIR dans un état d’une extrême faiblesse. L’ampleur de la répression a fait éclater sa structure et obstrué la relation du parti avec le mouvement de masse. L’organisation s’est fragmentée, mais c’est aussi dans cette même situation que naissent les bases de ce que l’on appelle aujourd’hui la « culture miriste », qui a imprégnée – parfois de manière diffuse – de larges mouvements politiques et sociaux au Chili.
Après sa fondation, où participèrent plusieurs courants révolutionnaires, le MIR s’est centré davantage sur une perspective stratégique politico-militaire influencée en partie par l’expérience cubaine : quelles en étaient les idées centrales et les axes théoriques ou idéologiques ?
Il est évident qu’au sein de la tendance dirigée par Miguel Enríquez, il existait une claire influence idéologique, politique et éthique de la révolution cubaine. On peut affirmer que pour cette génération, la révolution cubaine a constitué un « appel » qui exigeait un engagement révolutionnaire. Mais Miguel et cette génération ont toujours su que les conditions historiques du processus révolutionnaire chilien et, spécialement, celles de la construction de la gauche, possédaient des spécificités propres. C’est ainsi qu’on peut expliquer le rejet de la théorie du foyer de guérilla de Régis Debray.
Les thèses politico-militaires du MIR, jusqu’en 1973, posaient comme condition l’accumulation de forces sociales, politiques et militaires pour le déploiement d’une guerre insurrectionnelle des masses. C’est-à-dire que la composante fondamentale du cadre stratégique était constituée par les travailleurs et par le peuple. De là, la politique du MIR durant la période la plus importante de la lutte des classes (1970-1973), qui visait à se construire comme une « avant-garde révolutionnaire » au sein du mouvement de masse, sans renoncer à l’action directe.
Mais cette action était comprise comme le déploiement de formes de luttes, légales, semi-légales et illégales, dans un contexte ouvert d’affrontement de classe. Les occupations de terrains, les réappropriations de terres en déplaçant les clôtures, les occupations d’usines, les affrontements avec les groupes de choc de la droite et de la Démocratie chrétienne, l’auto-défense face à la violence d’Etat, constituent les meilleures expressions de ce processus. Des avancées qui ne furent certes pas suffisantes : le MIR n’a pas réussi à se consolider en tant « qu’avant-garde révolutionnaire » orientant l’ensemble du mouvement populaire ; il n’a constitué que le secteur le plus radical de ce mouvement.
Quel genre de parti a finalement incarné le MIR ? On dit souvent que c’était un parti de « révolutionnaires professionnels », on fait aussi remarquer la forte hiérarchie et le manque de démocratie interne. En analysant cette histoire avec du recul, quelles furent, selon toi, ses principales difficultés et faiblesses ?
Tout d’abord, il faut souligner comme je l’ai déjà dit qu’il existe au moins trois MIR et une continuité culturelle. De ces trois MIR, deux peuvent s’identifier directement avec la trajectoire initiale : l’un est le MIR dirigé par Miguel Enríquez et qui se prolonge quelques années après sa mort, en 1974. Ce parti peut effectivement être appelé « parti de cadres », avec une direction amplement reconnue, et un travail de masse important du fait de la création de ce qu’on appelait les « fronts intermédiaires ». Ensuite, il y a le MIR qui a mené les luttes de la résistance antidictatoriale, spécialement entre 1978-1984. Ce second MIR est également un parti de cadres révolutionnaires, il se voit dans l’obligation de passer à la clandestinité et affronte de dures mesures répressives. Dans un tel contexte, le processus de formation des militants professionnels est plus complexe et les « pertes » (morts, exils, emprisonnement), en comparaison avec la génération précédente, sont plus importantes. Mais, malgré cela, grâce à leur engagement et volonté révolutionnaire, ces militant-e-s ont su se confronter à un panorama politique bien plus dur que celui des années 1970-1973.
Aussi bien avant qu’après le coup d’Etat, les exigences de la conjoncture politique et l’héritage idéologique du « centralisme démocratique » ont effectivement favorisé la construction d’un parti fortement centralisé où la démocratie interne était réduite. Il est probable qu’aujourd’hui, ce modèle d’organisation et de direction politique serait bien peu adéquat. Mais le modèle léniniste de parti du MIR était celui qui était disponible pour les révolutionnaires des années 1960, 70 et 80. Et c’est dans ce type de parti que nous avons décidé d’entrer : personne ne nous y a obligés… Prétendre évaluer (et même critiquer) ces pratiques politiques avec les paramètres du contexte politique actuel ne me semble pas juste.
40 ans après sa mort au combat, de nombreux jeunes revendiquent encore la figure de Miguel Enríquez : quelles sont les principales leçons que nous laisse en héritage cette génération de militant-e-s anticapitalistes chilen-ne-s ?
L’héritage est vaste et peut s’observer dans de multiples dimensions : politique, sociale, culturelle, esthétique et éthique. Sur le plan politique, il y a plusieurs aspects sur lesquels on peut insister. D’une part, le contenu du programme du MIR : cette organisation a proposé au Chili, et a lutté en conséquence, la construction du socialisme. Aujourd’hui, dans une période où les alternatives au capitalisme se mettent en place de façon diffuse, beaucoup de jeunes et d’organisations proposent à nouveau la nécessité de cette construction. Quel type de socialisme ? Nous ne le savons pas ; mais la discussion sur ses contenus et orientations est une demande fondamentale de notre époque. Et dans ce cas précis, les militant-e-s du MIR et son programme ont encore beaucoup de choses à nous dire.
D’autre part, la première génération de miristes, et celle qui s’est formée ensuite dans la lutte contre la dictature, proposent un exemple politique et un défi éthique. Il s’agit de générations militantes dont la générosité et l’engagement les ont conduites à donner leur vie pour leurs idéaux, sans rien demander en échange. Très loin de la classe politique actuelle (ancienne ou plus nouvelle) qui fait de la course aux fonctions publiques une stratégie d’enrichissement et de pouvoir. La stature morale de ces révolutionnaires influence, sans aucun doute, l’attitude politique des militant-e-s anticapitalistes d’aujourd’hui.
Finalement, il est nécessaire d’insister sur l’exigence d’organisation. Beaucoup de personnes, après avoir parcouru les chemins stériles du « mouvementisme », assument désormais le fait que l’organisation politique, la création d’une avant-garde y compris, constituent un élément irremplaçable dans tout processus révolutionnaire. Les expériences historiques victorieuses le démontrent : la Russie, la Chine, le Vietnam, Cuba, le Nicaragua… Cette organisation dotée d’une stratégie révolutionnaire, qui assume les spécificités de la région (Amérique Latine) et du pays (le Chili), doit se construire au sein des travailleurs et du peuple. Elle doit s’adapter également au nouveau contexte historique (néolibéral). Cette leçon dialectique de l’histoire, le MIR l’a construite avec engagement, courage et abnégation.
à voir aussi
références
⇧1 | Cf. Séminaire organisé à Santiago, sur trois jours, par la Fondation Miguel Enriquez : <a href= »http://www.fundacionmiguelenriquez.cl/2015/08/12/programa-seminario-mir-50-anos/ »>www.fundacionmiguelenriquez.cl/2015/08/12/programa-seminario-mir-50-anos/</a> ; le forum organisé par la « gauche guévariste » (<a href= »http://izquierdaguevarista.cl/index.php/2015/08/12/98/ »>http://izquierdaguevarista.cl/index.php/2015/08/12/98/</a>) ou encore à l’Université de Concepción, dans le sud du pays, par le journal <em>Resumen</em>, la fédération étudiante de l’Université et la Commission de mémoire et droits de l’Homme de la Corporation Bautista Van Schouwen : <a href= »http://resumen.cl/2015/08/foro-por-el-aniversario-50-del-mir-en-la-universidad-de-concepcion/ »>http://resumen.cl/2015/08/foro-por-el-aniversario-50-del-mir-en-la-universidad-de-concepcion/</a>. |
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⇧2 | “UDI pide a Contraloría revisar permiso de Dibam a seminario del MIR en Museo de Bellas Artes”, El Mercurio, 12 de agosto de 2015. |
⇧3 | Cf. F. Gaudichaud, Chili 1970-1973. Mille jours qui firent trembler le monde, Presses Universitaires de Rennes, 2013 (www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3265) et https://www.contretemps.eu/interviews/chili-1970-1973-respiration-saccad%C3%A9e-pouvoir-populaire-entretien-franck-gaudichaud. |
⇧4 | F. Gaudichaud (ed.), Venceremos. Analyses et documents sur le pouvoir populaire au Chili (1970-1973), Syllepse, Paris, 2013, www.syllepse.net/lng_FR_srub_74_iprod_580-venceremos-.html. |
⇧5 | Affrontement au cours duquel une partie de la direction clandestine du MIR a été démantelée (Nelson Gutiérrez, numéro deux de l’organisation, y fut blessé mais parvint à fuir). |
⇧6 | Andrés Pascal Allende, filleul de Salvador Allende, a succédé à Miguel Enríquez comme secrétaire général du MIR jusqu’à la crise interne des années 1980, où il a alors incarné le MIR dit « historique ». Il est aujourd’hui membre du PRO, un parti de centre-gauche fondé par Marco Enríquez Ominami, fils de Miguel. |
⇧7 | www.mir-chile.cl. |
⇧8 | Voir notamment son film : Rue Santa Fé, France/Chili – 2007 – Les Films d’Ici, 2h40, Distribué par Ad Vitam. L’auteure, aujourd’hui cinéaste, raconte avec ce film-documentaire ses derniers jours avec son compagnon et camarade, Miguel Enríquez, mais élabore aussi une réflexion sensible sur l’engagement révolutionnaire et l’héritage du MIR dans le Chili actuel. |
⇧9 | Carmen Castillo, “El Antaño encuentra el Ahora”, Le Monde Diplomatique – Chile, Octobre 2014. |
⇧10 | Entretien réalisé à Santiago du Chili en octobre 2014. Traduit de l’espagnol (chilien) par Anne Montecinos. Une première version de cet entretien a été publié par le mensuel L’Anticapitaliste en novembre 2014. |
⇧11 | Militants emblématiques de cette génération, issus des classes populaires et assassinés par la dictature. |