Lire hors-ligne :

Alors que la situation de la recherche aux États-Unis est devenue très inquiétante depuis l’élection de Donald Trump, Emmanuel Macron a lancé « Choose Europe for Science », affichant un accueil en France et en Europe pour les chercheur·ses états-unien·nes. Arnaud Saint-Martin, sociologue et désormais député de la France Insoumise, revient sur cet évènement et son hypocrisie au regard des politiques d’austérité imposées à l’Université et à la recherche publiques par la Macronie.

***

Lundi 5 mai, matin, en Sorbonne. Arrivée en grande pompe d’Emmanuel Macron, suivi de près par Ursula Von der Leyen et par le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), auquel le président a, au passage, oublié de serrer la main. L’événement « Choose Europe for Science », ostentatoire et théâtral, ampoulé et hors sol, cherche en vain à faire de la France et de l’Europe les sauveuses de la démocratie, de la science et de la recherche, petits havres athéniens au milieu de l’obscurantisme, derniers remparts au trumpisme. Raté. Récit d’une falsification grotesque, et de son relai par la classe médiatico-politique au garde-à-vous.

Le Président de la République, en indécrottable européen, a choisi d’accueillir la présidente de la Commission européenne en Sorbonne, dans le Grand amphithéâtre, pour présenter conjointement leur plan de sauvetage des Etats-Unis d’Amérique et de la science, la vraie, la dure, l’utile.

Un grand événement pour de toutes petites annonces : la France va lâcher, tenez-vous bien mesdames et messieurs, 100 millions d’euros pour accueillir les chercheurs du monde entier, et surtout des États-Unis. L’Europe, quant à elle, en verserait 500 millions. Cumulées, ces deux sommes représentent à peine les annulations de crédits que le gouvernement français a imposé à l’ESR en février 2024, par un décret signé en catimini (plus de 600 millions d’euros supprimés par le gouvernement). Les 100 millions d’Emmanuel Macron font aussi pâle figure face à l’effondrement imposé par le budget Bayrou 2025, qui a acté la suppression de 904 millions d’euros pour l’ESR. Décidément, le cynisme du chef de l’État est à son comble.

En effet, la situation des chercheurs en France est catastrophique. Sous-payés, en sous-effectif, précarisés, non titularisés, leur condition est insupportable. Les universités, qui pour les trois-quarts d’entre elles ont bouclé un budget en déficit, du fait de la non compensation des mesures gouvernementales (mesures Guérini et GVT), n’ont plus les moyens de titulariser leurs personnels, et font donc largement appel aux vacataires, rémunérés deux fois moins que le salaire minimum. Le nombre de contrats doctoraux stagne, l’austérité budgétaire et handicape tellement la recherche que certains doctorants, épuisés par des années de travail sans rémunération ou presque, quittent la recherche, purement et simplement.

Finalement, la situation pourrait sembler très ironique : la communauté se demande, et à raison, comment ces chercheurs arrivés des États-Unis vont-ils pouvoir mener leur recherche alors qu’eux-mêmes n’y parviennent déjà presque plus faute de moyens.

Mais, notre cher Président semble une fois de plus avoir trouvé la solution. À bas la recherche publique, vive la recherche privée ! La sacro-sainte recherche utile, financée par les grandes entreprises et les prédations marchandes. La solution est simple, et elle a été parfaitement illustrée ce matin par la personne qui se trouvait derrière la présidente de la commission européenne. Il s’agit de la commissaire aux start-ups, à la recherche et à l’innovation, Ekaterina Zakhaieva, qui, par sa simple présence, a envoyé le message aux grandes entreprises qui aspirent le Crédit Impôt Recherche (CIR) et aux établissements privés que leur modèle de prédation aura de beaux jours devant lui. L’université publique, elle, peut aller se rhabiller, les annonces d’aujourd’hui ne la concernent toujours pas.

Le grand plan franco-européen vise à attirer les chercheurs américains en France pour y poursuivre leurs travaux. Le bel événement-comédie du jour visait donc à scander aux chercheurs des USA : « « Soyez les bienvenus en France ! ». Cette fois-ci en revanche, le dégoût l’emporte sur l’ironie. Depuis 2018 et son plan si mal nommé « Bienvenue en France », le gouvernement a forcé les étudiants étrangers hors Union européenne à s’acquitter de frais d’inscription exorbitants pour étudier en France. Les mêmes étudiants étrangers qui sont maltraités, galèrent à obtenir des logements CROUS, n’ont pas le droit de travailler à côté de leurs études, n’ont pas non plus le droit aux bourses étudiantes, et sont largement discriminés. La solidarité d’Emmanuel Macron est toute sélective. La porte est grande ouverte pour les États-Unis tandis que les universitaires turcs ou palestiniens sont méprisés, et poussés vers la sortie.

Les contours des annonces restent flous, mais il y a fort à parier que les chercheurs français, étrangers, ou même américains, qui espéraient profiter des belles annonces d’Emmanuel Macron se heurteront une fois de plus au mur de l’austérité budgétaire que les libéraux ont pris tant de temps à bâtir. Le prochain budget annonçant encore plus d’austérité, il y a fort à parier que les 100 millions promis par Emmanuel Macron seront aussitôt retranchés au Projet de loi de finance rectificatif.

Les contradictions du jour ne s’arrêtent malheureusement pas là. Depuis le début de son mandat, et notamment depuis la crise sanitaire, Emmanuel Macron se pose en grand défenseur de « La Science ». Souvenons-nous des « nuits blanches » qu’il aurait passé à lire des articles scientifiques sur le COVID, tant il s’intéressait de « manière obsessionnelle » à ces questions. Intérêt obsessionnel qui se manifestait au moment même où il définançait la recherche, et s’assurait que l’industrie du médicament ne puisse plus jamais répondre aux crises d’une telle ampleur, en privatisant et en délocalisant les laboratoires producteurs de médicaments essentiels. Soit. Cet amoureux des sciences, transit par l’image qu’il s’est donné de lui-même et à laquelle plus personne ne croit mis à part Paris Match, voudrait nous faire croire qu’il lâche de bonne grâce 100 millions d’euros pour la beauté de La Science. Pour le combat pour la liberté. Rien que ça !

Il n’est qu’à regarder dans le rétro pour se convaincre que tout cela n’est qu’une farce. En 2021, Frédérique Vidal, à l’époque ministre invisible de l’ESR, a voulu diligenter une enquête sur le « wokisme » et l’« islamo-gauchisme » à l’université. Parce que les sciences humaines et sociales (SHS), les questions religieuses, les thèmes liés aux discriminations, à la race, au genre, tombaient selon elle, dans le champ de l’opinion politique, et non plus de la recherche. Elle voulait, par sa commission d’enquête, « distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Avec le soutien du président de la République, elle a tenté de s’arroger le droit de définir ce qui relevait de la recherche et ce qui n’en relevait pas. Il est vrai que c’est exactement de cette façon qu’on a toujours fait de la recherche ! Une preuve de plus de l’autoritarisme du gouvernement et de leur incompétence totale pour gérer ces questions-là. Même le conseil d’État a mis en lumière l’absence de fondement concret à l’enquête annoncée par la ministre, et aussitôt jetée à la poubelle. Entre-temps, c’est une stigmatisation des SHS qui a été encouragée, par la voie gouvernementale, avec une rare violence symbolique, au mépris de tout ce que ces disciplines apportent en termes de connaissances fondamentales et utiles à la société.

Rappelons également que dans sa croisade héroïque pour La Science, Emmanuel Macron a néanmoins décidé de nommer Patrick Hetzel, complotiste notoire et défenseur de l’hydroxychloroquine raoultienne, opposant aux vaccins anti-COVID, ou au port du masque, en tant que ministre chargé de l’ESR. Censuré trop vite pour avoir pu détruire quoi que ce soit, sa seule nomination suffit à illustrer la conception qu’Emmanuel Macron se fait de la science. Ainsi, il peut se poser en défenseur de la science comme il le souhaite : les faits tranchent. Le gouvernement français est un laboratoire de trumpisme, qui teste et reteste des politiques publiques d’« efficacité », et échoue, se plante lamentablement et dangereusement, en prenant soin d’emmener l’université publique dans le mur avec lui.

On le dira encore plus directement : Emmanuel Macron ne défend pas la science. Il défend encore moins les SHS, complètement absentes des mesures annoncées. Ce n’est pour le moins pas très étonnant, puisque ce secteur est largement sous-financé depuis de nombreuses années. Les SHS et les humanités en général sont les premières victimes des coupes budgétaires et des mesures d’austérité, en ce qu’elles ne servent pas la vision libérale et capitaliste que le gouvernement tente de donner au secteur. En témoignent d’ailleurs les récentes évaluations de la vague E du Haut conseil de l’Évaluation de la Recherche (HCERES), désastreuses pour les sciences humaines.

En bref, la communauté scientifique est en colère et à raison de l’être. Elle n’est pas en colère parce qu’elle ne souhaite pas accueillir les chercheurs états-uniens, bien au contraire ; elle ne demande qu’à travailler avec l’ensemble de la communauté internationale, un travail régulièrement entravé par les rigueurs administratives imposées par les bureaucraties néolibérales comme le HCERES ou l’Agence nationale de la recherche (ANR). La communauté scientifique est en colère parce que voilà des mois qu’elle demande plus de moyens pour la recherche, les labos, la titularisation, les salaires, les étudiants, et les universités, et qu’elle se voit opposer une austérité budgétaire qui empire à mesure que les budgets imposés par 49.3 s’enchaînent. Elle est en colère parce que voilà des années que le gouvernement tente de définir quelle recherche relève de l’intérêt public et laquelle n’en relève pas. Elle est en colère du fait de l’encastrement des instances gouvernementales libérales et bureaucratiques qui feraient se retourner Weber dans sa tombe. La destruction méthodique fonctionne comme ils le souhaitent : la parole et les travaux des chercheurs sont lissés, conformes, lavés à grandes eaux et blanchis à la javel. ANR[1], CIR, HCERES[2]… Autant d’acronymes synonymes d’une politique délétère qui vise à sanctionner les universitaires et leurs recherches en fonctions de normes préalablement établies, conformes au dogme néolibéral, privilégiant les sciences dures, parce qu’Emmanuel Macron aime la science. Rappelons-nous qu’il aime « challenger les scientifiques ». Parce qu’il ne faut pas déranger le monde merveilleux des néolibéraux.

Les universités font peur. Elles sont le berceau de toutes les luttes. Les sciences humaines dérangent, la science libre, pas celles des éléments de langage des communicants de l’Elysée, dérange plus qu’ils ne sont disposés à l’admettre. Et la caste médiatique, à la mémoire aussi limitée que sa capacité d’investigation, s’enchante aujourd’hui encore du doux geste du Prince. Pour eux, la France est redevenue une grande démocratie athénienne, le temple du savoir et de la recherche libre et éclairée et la Sorbonne la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie. Pendant ce temps, les scientifiques, premières victimes de cette fiction boursouflée, continuent de manifester et de demander plus de moyens, tout en étant exploités et à bout de souffle. Le mouvement Stand Up For Science a d’ailleurs été lancé cette année contre le trumpisme et la politique de J. D. Vance, et a permis de relayer en France les revendications des universitaires bâillonnés, méprisés, malmenés.

Les étudiants réclament plus de moyens, les universitaires aussi. Dans un mouvement inédit, les présidents d’université se sont même alliés pour dénoncer la non-compensation des mesures gouvernementales et les budgets en déficit forcé qu’ils ont été sommés de justifier. L’ensemble de la communauté est à bout. Et ce matin, dans les médias de France-Démocratie, les journalistes ont de nouveau trouvé le moyen de féliciter le président de la République pour les ô combien jolies miettes qu’il aura laissées aux scientifiques des États-Unis. En oubliant tout le reste, cela va sans dire.

Si je peux me permettre un conseil à mes confrères américains : faites ce que vous pouvez, arrachez vos libertés de toutes vos forces. Vous serez toujours les bienvenus chez nous. La communauté universitaire française se tiendra à vos côtés, pour garantir que vous puissiez mener une recherche libre, critique et indépendante. Mais ne fondez aucun espoir sur Emmanuel Macron. Les combats pour la liberté académique dépassent les frontières : nous les mènerons ensemble.

Notes

[1] Agence Nationale de la Recherche.

[2] Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Lire hors-ligne :