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Que ce soit sous l’angle des politiques migratoires ou de l’enseignement supérieur, on parle peu des étudiant-es étrangers/ères extra-communautaires (autrement dit venant de pays non-européens). Et pour cause : comme le montre Thierry Labica dans cet article, le traitement qui leur est réservé pour accéder aux études universitaires en France relève de la maltraitance organisée et rend difficile, pour celles et ceux qui parviennent à franchir tous les obstacles institutionnels, d’accomplir dans de bonnes conditions leurs études.

***

A l’heure où se prépare un énième projet de loi sur l’immigration, on a souhaité attirer l’attention sur certains aspects du traitement réservé aux étudiant-es extra-communautaires qui souhaitent poursuivre leurs études en France. Tout en s’appuyant sur des analyses déjà existantes, le propos s’est intéressé à ce qu’une partie au moins de la littérature institutionnelle la plus récente a eu à proposer sur ce sujet.

Sur cette base, on a voulu observer et caractériser la contradiction à laquelle cette jeunesse fait face, entre xénophobie officielle et promotion fébrile d’un marché des formations de l’enseignement supérieur. Ceci donnera l’occasion, entre autres, de comprendre qui sont les « influenceurs » qui ont le plus sûrement œuvré à la prospérité du « sentiment anti-français » sur le continent africain ces dernières années.

L’enseignement supérieur français et la mobilité étudiante internationale

Chaque année, nombre d’étudiant-es étrangers/ères hors UE candidatent pour poursuivre leurs études dans l’enseignement supérieur (ES) français. Sur son site, Campus France (l’agence chargée, depuis 2010, de promouvoir l’ES à l’étranger), se flatte d’une attractivité non-démentie de la France avec 365 000 étudiant-es étrangers/ères en 2022, soit une augmentation de 18% en cinq ans.

Ce triomphalisme convenu est cependant peu conforme à la réalité de tendances maintenant bien connues. A ce niveau de généralité, deux points sont à signaler. Premièrement, au regard de la progression des mobilités étudiantes à l’échelle mondiale – 6 millions d’étudiant-es en 2022 (en croissance de 35% en cinq ans), la France est à la traîne de la dynamique générale, au point d’être passée du 3e (et 1er rang des pays non-anglophones) au 7e rang des pays d’accueil des étudiant-es étrangers/ères entre 2014 et 2022.[1]

Deuxièmement, on pense aux constats et aux inquiétudes exprimées en 2018 par les président-es d’universités regroupé-es au sein de l’Auref[2]. Dans leur tribune publiée suite à l’annonce du premier ministre (E. Philippe) concernant l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants extra-communautaires[3], les signataires notaient que, déjà, « de 2012 à 2015, [la France] a déjà perdu une partie de son attractivité avec une diminution de près de 12% des effectifs des étudiants internationaux, la France étant le seul pays, avec le Japon, à régresser parmi les 20 destinations les plus demandées ».[4]

La tribune observait, en outre, que « la mise en place de droits différenciés pour les doctorants est particulièrement inopportune, le vivier des doctorants ayant déjà diminué de 15% entre 2009 et 2016. Cela va à l’encontre des conclusions de la Cour des comptes mais aussi de France Stratégie qui insistait sur la nécessité de préserver une logique d’attraction des étudiants internationaux les plus qualifiés pour soutenir la recherche dans les laboratoires publics. »

Aux problèmes soulevés ici, il faudrait encore ajouter celui rappelé par la sociologue Alessia Lefébure et touchant à la faible lisibilité de l’offre, résultat d’une succession confuse et précipitée de fusions, regroupements et changements de noms (quand « Les universités qui occupent les premières places dans les grands classements mondiaux valorisent toutes, sans exception, une marque ancienne, inchangée depuis leur fondation. »)[5]

Mais un élément déterminant de contexte doit encore être situé en amont de cette situation générale. Celui-ci a trait au sort réservé à ces mêmes étudiant-es extra-communataires aux mains de la brutalité administrative des services consulaires et de leurs sous-traitants. Comme l’ont constaté divers observateurs ces dernières années, les démarches pour l’obtention d’un visa étudiant se font au prix de coûts personnels, tant financiers que psychologiques, exorbitants.

Mais commençons par rappeler l’ordre politico-administratif auquel sont confronté-es les candidat-es aux études en France.  Bien avant les multiples dispositions anti-immigrés adoptées à l’Assemblée nationale, trois facteurs, au moins, convergent déjà pour convertir ce simple droit de se déplacer, en l’occurrence pour étudier, en prise de risque et grave mise en danger de soi.

Paupérisation consulaire, sanctions, et dérives de l’externalisation

(1) On pense d’abord, au niveau le plus général, aux effets induits par l’érosion des services diplomatiques dont les personnels et les ressources ont subi les mêmes agressions que l’ensemble de services publics au cours de la période récente. L’Avis sur le projet de loi de finances pour 2023, présenté au nom de la commission des affaires étrangères (octobre 2022), est très clair sur sujet  : le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) a perdu 50 % de ses personnels en trente ans.

« S’il faut se satisfaire de chaque création de poste au Quai d’Orsay, note l’auteur de l’Avis, [les] 106 effectifs supplémentaires [annoncés en 2022] n’en apparaissent pas moins marginaux une fois rapportés aux milliers de postes supprimés au cours des trois dernières décennies. Il faut bien mesurer que 106 ETP [équivalents temps plein], c’est moins que les 160 ETP que le ministère a supprimés sur la seule année 2019 ». Détail intéressant, au passage : « Dans les ambassades, les diplomates sont souvent devenus minoritaires par rapport aux personnels de la mission de défense ou du service économique. »

A cela s’ajoute, dans les consulats, des méthodes d’évaluation basées sur des « indicateurs de performances » qui ne tiennent aucun compte d’activités « humaines » complexes et non-quantifiables.

D’où, note le rapporteur, le fait que « Parmi les services qui souffrent le plus, il faut mentionner les consulats, en particulier les services des visas. À New Delhi, par exemple, les moyens ont été tellement réduits, que le service de l’état-civil est partiellement fermé et que le consulat a un retard d’environ 3 000 demandes de visas non traitées. »

Pour finir (littéralement), E. Macron a décidé, fin 2021, la suppression pure et simple du corps diplomatique (et donc de la fin de la spécialisation et de la professionnalisation des diplomates), sans « aucune réelle discussion à l’Assemblée nationale. La réforme a en effet été menée par ordonnance grâce à l’autorisation donnée par l’article 59 de la loi de la transformation publique de 2019. » Dans ces conditions, fait particulièrement rare, les personnels de ce ministère ont répondu par une grève largement suivie le 2 juin 2022.[6]

(2) Ensuite, et plus conjoncturellement, il y a eu les sanctions prises en septembre 2021 contre les trois pays du Maghreb pour leur refus de rapatrier leurs ressortissants en situation irrégulière: baisse de l’attribution des visas « drastique » et « inédite », selon les termes du porte-parole du gouvernement, G Attal. Le caractère ouvertement discriminatoire de cette punition collective a été dénoncé dans un appel, signé par près de 120 organisations des deux rives de la Méditerranée, et qui observait entre autres que « Demander aujourd’hui, un visa auprès des autorités consulaires françaises ou européennes (espace Schengen) de l’un des pays du Maghreb, est un véritable parcours du combattant et, le plus souvent,  une humiliation supplémentaire pour l’immense majorité de celles et ceux qui en font les démarches. »[7]

Ces sanctions n’ont fait cependant qu’exacerber une politique beaucoup plus générale déjà en cours et que le rapport Hermelin d’avril 2023 (« Propositions pour une amélioration de la délivrance des Visas ») résume bien : « Les agents des services des visas reçoivent de facto, et quasiment exclusivement, des instructions restrictives […]. Les diplomates chargés de notre influence ont le sentiment que les services des visas n’adhèrent plus à cette mission tant la crainte de laisser passer un visiteur qui ne reviendrait pas dans son pays mais s’établirait en France est devenu[e] le moteur principal et presque exclusif de l’instruction des dossiers. » Pour le rapporteur, il ne fait pas de doute que « Le cas de l’accueil des étudiants africains est particulièrement critique. »[8]

En cela, on reconnaît en 2023 ce qu’observait déjà la Cimade… en 2010 :

« Loin des yeux, loin des observateurs de la société civile, la délivrance des visas est ainsi devenue un élément clé dans la politique d’immigration : le sort de l’immigration familiale, des étudiants, des familles de réfugiés, se décide désormais tout autant dans le pays de départ que dans les préfectures. Se met ainsi en œuvre une sorte d’externalisation rampante de la gestion de l’Immigration ».

Et d’observer si justement :

« Ce n’est pas un hasard si le ministère de l’Immigration a tout fait pour contester au ministère des Affaires étrangères, et finalement l’obtenir, la tutelle et l’autorité sur les services des visas. »[9]

(3) D’où ce troisième facteur : depuis la fin des années 2000, la France a fait le choix d’externaliser le travail de réception et de gestion des demandes de visas en amont de consulats en sous-effectif chronique (et équipés depuis d’un logiciel, « France visa », induisant « un temps d’instruction supplémentaire, incompatible avec la situation à flux tendu de la plupart des services consulaires. »)[10]

Dans son rapport d’information de juin 2007 sur le service des visas, le sénateur A. Gouteyron avait jugé alors l’externalisation « souhaitable et nécessaire », vraie « source d’une amélioration de service » pour les demandeurs de visas.  Outre ces bienfaits promis, le sénateur ouvrait une perspective nouvelle au plus stricte parasitisme capitaliste : « Pour un consulat, le traitement d’un dossier de visa est une dépense. Pour une société privée, une demande de visa est une recette. Plus précisément, la constitution du dossier de demande de visa peut-être à l’origine de recettes multiples » (frais de prise de rendez-vous, de constitution de dossier, d’accès à de nouveaux horaires, de photocopies, de photos aux normes, de remise du passeport par coursier, de courriels ou de SMS d’information… ![11]). Aubaine sans limite.

Deux sous-traitants sont rapidement devenus des protagonistes majeurs à échelle globale sur ce nouveau marché de clients captifs : TLScontact, basé au Luxembourg et maintenant présent dans 90 pays, et VFS Global, créé en 2001, d’abord filiale des agences de voyage Kuoni (Suisse) et  prestataire d’un seul et unique État encore en 2005. Sur son site,VFS Global dit gérer 3361 centres de demandes de visas dans 145 pays sur cinq continents, au service de 68 gouvernements « clients ».[12] Depuis octobre 2021, VFS Global est à 75 pour cent propriété du fonds d’investissements Blackstone dont la capitalisation boursière dépasse, depuis 2020, celles des Banques Goldman Sachs et Morgan Stanley.

Premières conséquences

Résultat très régulièrement constaté : en guise d’« amélioration », comme nombre d’autres demandeurs et demandeuses de visas, les étudiants algériens, marocains, tunisiens, sénégalais, entre autres, ont eu droit à ce qu’il faut se contenter de résumer ainsi : opacité, arbitraire, intrusion, humiliation, négligence, incompétence, rapacité et extorsion assumées, et corruption.[13]

En outre, et comme s’en préoccupe le rapport Hermelin – avec treize ans de retard sur la longue enquête de la Cimade[14] – cette pénurie organisée n’a pas tardé à devenir l’occasion de nombre de trafics pour l’obtention de créneaux de rendez-vous, pré-réservés pour être revendus à bon prix. Au passage, et comme le notait déjà la Cimade, on comprend comment les passeurs peuvent devenir le stade ultime de ce régime de rareté de facture strictement étatique.

Ce vandalisme et ce racket officiels, documentés de toutes parts et de longue date, éveillent désormais la déploration et l’inquiétude de parlementaires qui y reconnaissent une source du « sentiment anti-français »[15] dans les pays du Maghreb et d’Afrique notamment (quand d’autres – la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, C. Colona en tête – se contentent encore d’en attribuer la responsabilité à la seule propagande « d’influenceurs » au service de puissances étrangères hostiles).

On comprend, toutefois, le peu d’empressement de l’État français à corriger les choses. Les recettes ne sont pas au seul bénéfice des prestataires : pour l’État, les recettes tirées de l’activité visas (étudiants) sont passées de 210,4 millions d’euros en 2017 à plus de 222 millions en 2021, rapporte Michael Pauron (auteur de contributions importantes sur le sujet). Et en l’absence de toute possibilité de remboursement en cas de refus (même une fois payés le billet d’avion et l’inscription dans la formation où l’on a déjà été accepté-e), plus de demandes égalent plus de recettes : « Bienvenue en France » !

Du côté de la Grande-Bretagne, elle aussi cliente de VFS Global, un scandale a éclaté en 2019 suite à l’enquête menée par « Finance Uncovered » et le journal The Independent.[16]  Celle-ci révélait en effet que l’incurie et le cynisme généralisés de l’entreprise VFS Global avaient rapporté une recette de 1,6 milliards de livres sterling au ministère de tutelle pour la période 2014-2019, soit une multiplication par neuf du revenu tiré de la délivrance de visas au cours des cinq années précédant le début du contrat de sous-traitance avec VFS.

Une insupportable duplicité d’État : de la duperie présidentielle aux leurres de Parcoursup

Les étudiant-es étrangers/ères sont pris-es ainsi dans l’étau des discours et des politiques discriminatoires et anti-immigrés, et du double attrait de la manne économique qu’ils et elles représentent, au départ et à l’arrivée, quand – et si- ces étudiant-es arrivent. En effet, outre les recettes tirées de la sous-traitance consulaire, il y a l’apport net que représentent ces étudiant-es pour l’économie française, soit, selon l’enquête conduite par Campus France en 2022, 1,35 milliard d’euros (dont 873 millions d’euros dépensés en droits d’inscription.)[17]

Il revenait à E. Macron de se faire l’incarnation stricte de cette mystification. Le rapport Hermelin, bien que fort peu satisfaisant sur l’essentiel, le fait comprendre avec une candeur louable :

« Le Président de la République a appelé les jeunes de France et d’Afrique à se rencontrer et à se mieux connaître. […]  Les taux considérables de refus ne sont pas sans conséquences : ils alimentent des communications négatives à l’endroit de notre pays. »

Et à nouveau :

« La contradiction apparente [sic] entre une politique d’attractivité (discours d’Ouagadougou, agenda transformationnel en Afrique embarquant la jeunesse, les artistes, les sportifs…) et une politique migratoire restrictive génère de l’incompréhension et du mécontentement, en particulier dans certains pays africains. »[18]

On se souvient que cette promotion fut aussi prise en charge par le premier ministre, E Philippe, en 2018. Son annonce du programme « Bienvenue en France » fixait un objectif d’augmentation du nombre d’étudiants étrangers en France, de 320 000 (chiffre de 2018) à 500 000 chaque année jusqu’à 2027.

Entre pénurie organisée, fausses promesses, et désespoir, peut dès lors s’ouvrir un marché secondaire de la combine, de l’arnaque, et du voyage dont beaucoup ne reviennent jamais. Le sommet de l’État, quant à lui, aura joué les publicitaires de services externalisés payants, preneurs du plus grand nombre de demandes possible que les consulats se trouvent, eux, dans l’incapacité tant politique qu’administrative de traiter. En d’autres termes, ces étudiant-es sont exposé-es à l’escroquerie systémique d’un discours officiel clairement incitatif, assorti de dispositions réelles, elles, restrictives et dissuasives dans le pays de départ, avant d’être ouvertement répressives sur le territoire national lui-même. La recette reste bonne aux deux extrémités du parcours.

L’illusionnisme et la tromperie ne s’arrêtent malheureusement pas là. Les candidat-es aux études supérieures en France, lorsqu’ils et elles obtiennent leur visa, sont confrontées à la dangereuse éventualité de « formations sans intérêt réel promues par des intermédiaires et établissements peu scrupuleux […] certaines écoles qui se sont habituées à prospecter à l’international sans avoir validé l’intérêt des formations qu’elles offrent.»[19]

Ce problème, qui mérite une analyse à part entière, existe pour l’ensemble des étudiant-es. Il faut se contenter d’indiquer ici qu’il est le produit de l’alliage toxique de trois choix gouvernementaux, à savoir, Parcoursup comme principe actif de la pénurie universitaire[20], la réforme de l’apprentissage de 2018 et l’absence de toute régulation- « évaluation » sérieuse de l’offre de formation.

En effet, la plateforme Parcoursup met en concurrence directe, sans distinction, formations universitaires publiques et « écoles » et « instituts » supérieurs privés. Or ces derniers ont proliféré dès le moment où l’État a décidé d’attribuer une aide de 6000 euros pour tout contrat signé avec un apprenti, contrats signés à 80 % avec des établissements privés (rapporte le Figaro du 10/07/2023, qui ne voit en l’occurrence aucun problème à cette très généreuse dépense d’argent public ) ; soit « potentiellement un financement indirect de l’État de plus de 800 millions d’euros » selon la revue VRS du 2e semestre 2023.[21]

Si le rapport Hermelin ne signale qu’au passage le problème de ces formations frauduleuses proposées par le secteur privé, le récent rapport pour l’année 2022 de la médiatrice de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, C. Becchetti-Bizot, y consacre l’intégralité de son premier chapitre.[22] La médiatrice y signale une augmentation de 346 pour cent des saisines depuis 2017 « d’élèves et d’étudiants du secteur privé de l’éducation » et qui « concerne pour la majeure partie des établissements privés d’enseignement supérieur, avec 469 réclamations en 2022 – soit 70 % des établissements hors-contrat et un peu plus d’un tiers des réclamations relatives au secteur éducatif privé dans son ensemble. »

Le détail des abus de toute nature mérite une lecture patiente. L’ensemble du problème peut néanmoins se résumer à ce constat de la médiatrice elle-même :

« En réalité, l’ouverture d’un établissement d’enseignement supérieur privé n’est pas subordonnée à une autorisation administrative préalable qui serait, le cas échéant, fondée sur un contrôle de la qualité pédagogique des formations ayant vocation à y être dispensées et qui emporterait le droit de délivrer des diplômes conférant un grade universitaire, mais conditionnée à une simple déclaration. »[23]

Ainsi, là où les universités sont soumises à des logiques évaluatives incessantes et d’âpre mise en concurrence pour telle ou telle ressource budgétaire de court terme, l’ES privé bénéficie d’un crédit d’argent public apparemment sans limite ni contrôle pour des formations à 8000 euros l’année en moyenne, au titre de « l’apprentissage ».

Conclusion

Dès lors, on imagine sans peine le coup particulièrement fatal porté à tout étudiant-e extra-communautaire qui aura été pris-e au piège d’incitations officielles trompeuses, de démarches consulaires aux mains de sous-traitants sans scrupules, et de tromperies sur la marchandise éducative. 

L’État tire donc un triple profit des aspirations de la jeunesse étudiante, entre dividendes de l’externalisation, excédents budgétaires tirés des étudiant-es étrangers/ères (et de leur entourage) qui sont parvenu-es à rejoindre une formation en France (dont les frais d’inscription, pour elles et eux, ont donc explosés suite au lancement du programme « Bienvenue en France »), sans oublier les « gains » de l’instrumentation politique de cette population assimilée, de fait, au bouc émissaire de « l’immigration ».

Quel gain pour les étudiant-es arrivé-es en France ? Le plus souvent, suite à un visa remis avec des semaines de retard anxiogène ; un premier semestre tronqué, débuté en octobre ou novembre, des difficultés accrues pour régler les nombreuses formalités d’installation et se familiariser avec un milieu universitaire nouveau, et au bout du compte, une mise en échec difficilement évitable, condamnant à repasser des sessions entières de rattrapage, et à une nouvelle inscription pour un redoublement qui permettra d’enfin faire une année complète, avec un an de retard, des frais supplémentaires et la certitude de se sentir floué-e. De leur côté, dans la méconnaissance de ces situations, nombre d’enseignant-es en viendront à conclure que « de toutes façons, ces étudiant-es n’ont pas le niveau ».

On le voit, pourtant : un tout autre regard sur l’immigration, un tout autre discours, une tout autre politique d’investissement public dans l’ESR, sont possibles, indispensables et urgents. De l’air ! Et les étudiant-es étrangers/ères sauveront ce pays.

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Ce texte reprend et prolonge une contribution déjà parue dans L’Anticapitaliste mensuel (juillet 2023).

Notes

[1]Selon les chiffres de Campus France. Cf Rapport d’activité 2014, p.44 : https://ressources.campusfrance.org/agence_cf/rapports/fr/rapport_activite2014_fr.pdf et « Chiffres clés 2022 : la mobilité étudiantes dans le monde » : https://www.campusfrance.org/fr/ressource/chiffres-cles-2022

[2]l’Alliance des universités de recherche et de formation s’est constituée en 2013 à l’initiative de deux établissements. L’Auref regroupe à présent 35 universités autour d’un discours de défense du maillage territorial et du service public d’ESR, l’un et l’autre directement remis en cause par les politiques de « pôles d’excellence » de  fusion et mise en concurrence.

[3]Adoptés sans concertation, ces droits différenciés faisaient passer de 170€ à 2 770 € l’inscription en licence et de 243€ et 380€ à 3 770 € l’inscription en master et en doctorat.

[4]« Droits d’inscription pour les étrangers extra-communautaires », Auref, 2018, https://www.auref.fr/tribunes-et-actualites/droits-dinscription-pour-les-etrangers-extra-communautaires/

[5]https://theconversation.com/perte-dattractivite-des-universites-qui-veut-encore-venir-etudier-en-france-174207

[6]Avis, n°273, « Action extérieure de l’État : action de la France en Europe et dans le monde, français à l’étranger et affaires consulaires », Tome 1, présenté par V. Seitlinger, député, p.20, 18, 74, 24.  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_afetr/l16b0337-ti_rapport-avis#

[7]http://www.citoyensdesdeuxrives.eu/2022/09/14/la-politique-des-visas-discriminations-et-injustice/

[8]Paul Hermelin, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/mission_visas_-_rapport_hermelin_2023_cle0815b1.pdf, p.5 & 6

[9]« Visa refusé : enquête sur les pratiques consulaires en matière de délivrance des visas », le Cimade, juillet 2010, p.3. https://www.lacimade.org/publication/visa-refuse-enquete-sur-les-pratiques-consulaires-en-matiere-de-delivrance-des-visas/

[10]Avis n°273, p.15

[11]Rapport d’information, fait nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les services des visas, par A. Gouteyron, Sénateur, Juin 2007, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_d_information_no353_-_Visas.pdf , p.103

[12]https://www.vfsglobal.com/en/general/about.html?from_section=0

[13]Cf. « Visa refusé », la Cimade; sur l’accumulation des frais, cf. Hicham Jamid https://theconversation.com/debat-bienvenue-en-france-aux-etudiants-etrangers-vraiment-107291; pour un recensement des principaux problèmes rencontrés par les demandeurs de visas, cf. par exemple, https://iasservices.org.uk/vfs-global-receives-criticism-after-string-of-severe-issues/ ;  Voir également, Michael Pauron sur le site d’Afrique XXI, en particulier : «Visa pour la France, le business des frontières fermées », et du même auteur, Les ambassades de la Françafrique : L’héritage colonial de la diplomatie française, Lux, 2022.

[14]« Visa refusé », la Cimade, p.21-22, https://www.lacimade.org/publication/visa-refuse-enquete-sur-les-pratiques-consulaires-en-matiere-de-delivrance-des-visas/

[15]cf.Avis 273, p.85-86, et Rapport Hermelin p.17. La Cimade avait quand elle pris le temps d’écouter les premierEs concernéEs, que treize années, au moins, séparent des commissions et rapporteurs parlementaires.

[16]« VFS: The ‘exploitative’ Dubai-based firm fuelling a massive surge in Home Office profits from UK visas » ; « Home Office facing investigation for breach of law over outsourced visa service deluged with complaints ».

[17]https://www.campusfrance.org/fr/les-etudiants-internationaux-un-apport-de-5-milliards-d-euros-a-l-economie-francaise

[18]Rapport Hermelin, 2023, p.5 & 24

[19]Ibid. p.18

[20]Par élimination et découragement de lycéens et lycéennes muéEs en armées de réserve de recalléEs auxquel.les il ne reste plus qu’à se diriger vers l’enseignement privé pour poursuivre leurs études.

[21]VRS (La vie de la recherche scientifique), SNCS-SNESUP, #433, avril-mai-juin 2023, p.7

[22]« Apprendre à vivre ensemble : Rapport de la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur 2022 », Catherine Becchetti-Bizot, Ministères éducation, jeunesse, sports, enseignement supérieur recherche, juillet 2023.

[23]Ibid. p.48 & 51.

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