La Commune au jour le jour. Lundi 10 avril 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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L’essentiel de la journée
Situation militaire
A l’ouest
Dombrowski a conquis en quelques jours tous ceux de la garde nationale qui l’on vu en action. Mais ailleurs, des bruits circulent contre cet étranger, cet inconnu. La Commission exécutive publie une déclaration affirmant que cet homme de guerre est un « soldat dévoué de la république universelle », chef de l’insurrection polonaise, tellement apprécié par Garibaldi que le général Trochu avait refusé de le laisser partir pour rejoindre l’armée des Vosges et l’avait emprisonné.
Dès sa nomination, cet homme jeune, de petite taille, à l’uniforme modeste, a inspecté les avant-postes au pas, sous la fusillade. Une sorte de bravoure froide au lieu des éclats précédents. L’officier se révéla bientôt.
Le 9, pendant la nuit, avec deux bataillons de Montmartre, Dombrowski, accompagné de Vermorel, a surpris les Versaillais dans Asnières, les en a chassés, s’est emparé de leurs pièces et, du chemin de fer, avec les wagons blindés, il canonne de flanc Courbevoie et le pont de Neuilly. Son frère a enlevé le château de Bécon qui commande la route d’Asnières à Courbevoie.
Asnières
La Commune ne manque pas de moyens de défense, voici venir les wagons blindés qui avaient rendu des services pendant le siège prussien. La réparation et le réarmement de plusieurs de ces wagons et d’une locomotive également blindée est en cours.
Les bombardements ont continué sur l’ouest de la ville, sur les Champs-Élysées, deux gardes nationaux ont été tués, trois autres ont eu les jambes broyées, et un officier a été blessé par des éclats d’obus.
Au sud
Dans la nuit, la canonnade a résonné fortement du côté des forts du sud. Des points élevés de la capitale, on distinguait les lumières produites par les détonations des canons, qui se succédaient avec rapidité. Ce spectacle sinistre a duré environ deux heures; puis la canonnade s’apaisa peu à peu.
Les troupes versaillaises ont essayé de prendre les forts de Vanves et d’Issy, mais ils en ont été empêchés par une résistance énergique, et ont subit de fortes pertes, principalement causées par l’intervention de mitrailleuses américaines, dont on s’était jusque-là peu servi.
La défense dans Paris
La commission des barricades a adopté un plan de travaux de défense à construire dans Paris. Les travaux d’installation des barricades ont commencé sous la direction du citoyen Napoléon Gaillard père. Ce communiste égalitaire, d’orientation babouviste, avait déjà été membre de la commission des barricades du gouvernement de la défense nationale issu du 4 septembre.
Elles sont élevées à l’intérieur de l’enceinte, sur le parcours de la route militaire, en face des diverses portes et sur différents points stratégiques de Paris.
Ce ne sont plus, comme au 18 mars, d’informes amas de pavés, mais de solides retranchements constituant de véritables redoutes établies avec beaucoup d’art.
Faites avec de la terre amoncelée sur une hauteur de quatre mètres et une épaisseur de six mètres, ces barricades, construites sur toute la largeur de la voie, sont revêtues extérieurement de sacs de terre; elles sont précédées par un fossé de deux mètres de profondeur et d’une largeur proportionnée au massif. L’aspect réellement redoutable de ces barricades, à l’édification desquelles on travaille avec activité, remplit de crainte les curieux qui viennent les contempler.
L’information arrive qu’une barricade monstre, gardée par un poste de 150 hommes, et munie de deux pièces de 7, a été élevée à la porte du chemin de fer de Sceaux.
Annonce dans le Cri du Peuple
Ordre du jour
Sous ce titre, nous publierons les actes d’héroïsme de la garde nationale. Nous serons reconnaissant à ceux de nos lecteurs qui voudront bien nous communiquer les hauts faits parvenus à leur connaissance.
Le Journal Officiel de Versailles nous apprend que le général Vinoy a été nommé au grade suprême de la Légion d’Honneur considérant ses « anciens services « et ses services pendant et depuis le siège de Paris ».
Que sont ces services ?
Avoir fusillé des étudiants à Saint Rémy.
Avoir mitraillé les bourgeois en décembre.
Avoir fusillé la foule désarmée le 22 janvier sur la place de l’Hôtel de ville de Paris.
Avoir signé la capitulation.
Avoir organisé le coup d’état qui a échoué le 18 mars.
Avoir fusillé des prisonniers désarmés désignés par lui, comme Duval et ses compagnons.
Décret instituant une pension pour les veuves et les enfants des citoyens morts pour la défense
C’est un décret très important pour le peuple ouvrier de Paris que la Commune a adopté ce jour. Il annule en fait toutes les dispositions du code civil napoléonien qui place la femme dans la totale dépendance de son époux sans s’occuper des droits et de la protection du conjoint survivant.
Toutes les femmes, mariés ou non, tous les enfants reconnus ou non vont avoir droit à une pension, après enquête qui établira leurs droits. Sans attendre les conclusions de l’enquête qui établira l’identité et la situation des familles des défunts, il est prévu que dans chaque municipalité il sera remis immédiatement, comme secours provisoire, une somme de 50 francs à toute personne qui peut avoir droit à la pension instituée et qui se trouvera dans la nécessité de la réclamer.
La Commune de Paris,
Ayant adopté les veuves et les enfants de tous les citoyens morts pour la défense des droits du peuple,
Décrète :
Art. 1er. Une pension de 600 fr. sera accordée à la femme du garde national tué pour la défense des droits du peuple, après enquête qui établira ses droits et ses besoins.
Art. 2. Chacun des enfants, reconnus ou non, recevra, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, une pension annuelle de trois cent soixante-cinq francs, payable en douzièmes.
Art. 3. Dans le cas où les enfants seraient déjà privés de leur mère, ils seront élevés aux frais de la Commune, qui leur fera donner l’éducation intégrale nécessaire pour être en mesure de se suffire dans la société.
Art. 4. Les ascendants, père, mère, frères et sœurs de tout citoyen mort pour la défense des droits de Paris, et qui prouveront que le défunt était pour eux un soutien nécessaire, pourront être admis à recevoir une pension proportionnelle à leurs besoins, dans les limites de 100 à 800 fr. par personne.
Art. 5. Toute enquête nécessitée par l’application des articles ci-dessus sera faite par une commission spéciale, composée de six membres délégués à cet effet dans chaque arrondissement, et présidée par un membre de la commune appartenant à l’arrondissement.
Art. 6. Un comité composé de trois membres de la Commune, centralisera les résultats produits par l’enquête et statuera en dernier ressort.
Paris, le 10 avril 1871.
Des appels à l’organisation des citoyennes
Hier, le journal officiel publiait un article intitulé « héroïnes de la Révolution », retraçant le grand rôle des femmes ont joué dans tous les mouvements populaires, qui rappelle le rôle de Théroigne dite de Méricourt, de Louise Audu, dite la reine des halles, et de Jeanne Lacombe au cours de la révolution française, la place héroïque des femmes dans la lutte des barricades en juin 1848.
Cet article confirme qu’un grand nombre de femmes ont combattu dans les rangs de la garde nationale ces derniers jours, plusieurs d’entre elles ont été tuées ou blessées à Neuilly. Il signale, sans donner leur nom, une femme énergique dans les rangs du 61e bataillon qui a tué plusieurs gendarmes et gardiens de la paix ; une cantinière au plateau de Châtillon, restée avec un groupe de gardes nationaux, qui tirait, rechargeait sans interruption ; et la femme de l’un des généraux de la Commune, la citoyenne Eudes.
Aujourd’hui un groupe de citoyennes a signé un appel pour publication demain.
Appel aux citoyennes de Paris
Paris est bloqué, Paris est bombardé…
Citoyennes, où sont-ils nos enfants, et nos frères, et nos maris ?… Entendez-vous le canon qui gronde et le tocsin qui sonne l’appel sacré ?
Aux armes ! La patrie est en danger !…
Est-ce l’étranger qui revient envahir la France ? Sont-ce les légions coalisées des tyrans de l’Europe qui massacrent nos frères, espérant détruire avec la grande cité, jusqu’au souvenir des conquêtes immortelles que depuis un siècle nous achetons de notre sang et que le monde nomme liberté, égalité, fraternité ?…
Non, ces ennemis, ces assassins du peuple et de la liberté sont des Français !…
Ce vertige fratricide qui s’empare de la France, ce combat à mort, c’est l’acte final de l’éternel antagonisme du droit et de la force, du travail et de l’exploitation, du peuple et de ses bourreaux !…
Nos ennemis, ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui toujours ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de notre misère…
Ils ont vu le peuple se relever en s’écriant : « Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs !… Nous voulons du travail, mais pour en garder le produit…
Plus d’exploiteurs, plus de maîtres !… Le travail et le bien-être pour tous, — le gouvernement du peuple par lui-même, — la Commune, vivre libres en travaillant, ou mourir en combattant !… »
Et la crainte de se voir appelés au tribunal du peuple a poussé nos ennemis à commettre le plus grand des forfaits, la guerre civile !
Citoyennes de Paris, descendantes des femmes de la grande Révolution, qui, au nom du peuple et de la justice, marchaient sur Versailles, ramenant captif Louis XVI, nous, mères, femmes et sœurs de ce peuple français, supporterons-nous plus longtemps que la misère et l’ignorance fassent des ennemis de nos enfants, que père contre fils, que frère contre frère, ils viennent s’entre-tuer sous nos yeux pour le caprice de nos oppresseurs, qui veulent l’anéantissement de Paris après l’avoir livré à l’étranger ?
Citoyennes, l’heure décisive est arrivée. Il faut que c’en soit fait du vieux monde ! Nous voulons être libres ! Et ce n’est pas seulement la France qui se lève, tous les peuples civilisés ont les yeux sur Paris, attendant notre triomphe pour, à leur tour, se délivrer. Cette même Allemagne, — dont les armées princières dévastaient notre patrie, jurant la mort à ses tendances démocratiques et socialistes,— est elle-même ébranlée et travaillée par le souffle révolutionnaire ! Aussi, depuis six mois est-elle en état de siège, et ses représentants ouvriers sont au cachot ! La Russie même voit périr ses défenseurs de la liberté que pour saluer une génération nouvelle, à son tour prête à combattre et à mourir pour la République et la transformation sociale !
L’Irlande et la Pologne, qui ne meurent que pour renaître avec une énergie nouvelle, — L’Espagne et l’Italie qui retrouvent leur vigueur perdue pour se joindre à la lutte internationale des peuples, — l’Angleterre, dont la masse entière, prolétaire et salariée, devient révolutionnaire par position sociale, — l’Autriche, dont le gouvernement doit réprimer les révoltes simultanées du pays même et des pouvoirs slaves, — cet entrechoc perpétuel entre les classes régnantes et le peuple n’indique-t-il pas que l’arbre de la liberté, fécondé par les flots de sang versés durant des siècles a enfin porté ses fruits ?
Citoyennes, le gant est jeté, il faut vaincre ou mourir ! Que les mères, les femmes qui se disent : « qu’importe le triomphe de notre cause, si je dois perdre ceux que j’aime ! » se persuadent enfin que le seul moyen de sauver ceux qui leur sont chers, — le mari qui la soutient, l’enfant en qui elle met son espoir, — c’est de prendre une part active à la lutte engagée, pour la faire cesser enfin et à tout jamais, cette lutte fratricide qui ne peut se terminer que par le triomphe du peuple, à moins d’être renouvelée dans un avenir prochain !
Malheur aux mères, si une fois encore le peuple succombait ! Ce seront leurs fils enfants qui paieront cette défaite, car pour nos frères et nos maris, leur tête est jouée, et la réaction aura beau jeu ! De la clémence, ni nous ni nos ennemis nous n’en voulons !…
Citoyennes, toutes résolues, toutes unies, veillons à la sûreté de notre cause !
Préparons-nous à défendre et à venger nos frères ! Aux portes de Paris, sur les barricades, dans les faubourgs, n’importe ! soyons prêtes, au moment donné, à joindre nos efforts aux leurs ; si les infâmes qui fusillent les prisonniers, qui assassinent nos chefs, mitraillent une foule de femmes désarmées, tant mieux ! le cri d’horreur et d’indignation de la France et du monde achèvera ce que nous aurons tenté !… Et si les armes et les baïonnettes sont toutes utilisées par nos frères, il nous restera encore des pavés pour écraser les traîtres !…
Un groupe de citoyennes
Le débat à propos du texte sur les échéances à la Commune
Cette question est importante pour tous les établissements de commerce d’industrie pour lesquels les prorogations successives des échéances à payer, compte tenu de la guerre, du siège plaçaient nombre d’entre eux dans des situations financières inextricables.
Une commission spéciale avait été chargée d’examiner les divers projets qui lui pourraient être présentés à ce sujet par les intéressés. Il y a en effet diverses propositions, dont celle du citoyen Beslay qui préconise la création d’un comptoir commercial pour liquider toutes les dettes en souffrance depuis l’entrée en guerre. Son idée est d’étaler les remboursement sur trois ans au plus tout en permettant au créancier un moyen de profiter immédiatement de sa créance, puisque son titre se trouve échangé contre un billet qui devient une monnaie courante.
La date de décision sur cette question n’est pas encore fixée.
Paru dans le Cri du Peuple
Le peuple et la Commune
Le peuple de Paris est définitivement à la hauteur de sa tâche.
Héroïque pendant le siège, la garde nationale, dans ces derniers combats, a été sublime d’enthousiasme et d’entrain.
La garde nationale, c’est-à-dire le peuple armé, sauvera la République.
Elle est, du moins, capable de la sauver.
Car il y a des dangers encore, des écueils à éviter, des obstacles à briser, et le devoir nous oblige à crier bine haut que ces dangers sont réels, que ces écueils sont nombreux, et que ces obstacles sont terribles. Or comment vaincre ?
Il y a sur la brèche deux combattants : le peuple et la Commune. Eh bien, la victoire serait impossible, la défaite serait certaine, et quelle défaite ! Quel engloutissement ! S’il arrivait un jour que le Commune, quelque intrépide soit le peuple, quelque héroïque qu’il puisse être, n’ait plus la force de planer au-dessus de cette intrépidité, de cet héroïsme.
La Commune, en un mot, comme les vieux républicains de Rome, porte dans les plis de son écharpe l’anéantissement ou la résurrection.
Inutile donc de courir avec cette fièvre à la recherche des nouvelles de la lutte. Le véritable champ de bataille n’est ni à Neuilly, ni à Châtillon : il est à l’hôtel de ville. Le jour où la Commune, par ses décrets, ses décisions, ses projets, son énergie aura vaincu Versailles, ce jour-là, le dernier coup de chassepot sera facile à donner dans ce ramassis de brigands et d’assassins vendus au plus offrant.
Eh bien, nous le disons hautement, la Commune, que nous voyons à l’œuvre, et dont nous connaissons le dévouement, la Commune n’a à son service ni assez de têtes, ni assez de bras.
Soixante dix membres à la Commune ! … C’est sur les épaules de soixante dix hommes que nous jetons ce terrible fardeau de la plus terrible peut-être des situations historiques !
Ouvrons les yeux, citoyens.
Mais, dans les rangs du peuple, il y a une multitude énergique, dévouée, qu’a été obligé d’y laisser le suffrage populaire ! Il y a des penseurs, des politiques, des administrateurs, des soldats. Nous en connaissons mille, dont la tête et le cœur sont indispensables au pays.
Ceux-là, le peuple vous y autorise au nom du salut public, prenez-les dans la foule. Adjoignez-les à la Commune comme délégués. Attachez-les à l’administration, et, lorsque la Commune aura décidé une attaque, envoyez les, avec leur écharpe, porter la nouvelle aux généraux, et combattre ou mourir à la tête des troupes.
Il y a l’intendance à reconstituer, la garde nationale à réorganiser, les services à rétablir, les canons à retrouver, le pain à répandre, la misère à atténuer, la France à refaire, la Révolution à sauver, quelque soit votre dévouement, vous n’êtes pas assez, ô républicains, pour accomplir cette tâche.
Nous avons, parmi les élus de la Commune, bien des amis qui, au milieu de leurs préoccupations, de leurs angoisses, de leurs labeurs, liront peut-être ces lignes écrites au grondement des canons. Qu’ils les écoutent ! … Elles sont l’écho des sentiments populaires.
Paris est avec eux, en attendant que la France les suive. Mais, au nom de la République, au nom de la Révolution, de l’audace, de l’énergie ! Encore er toujours de l’énergie et de l’audace !
L’héroïque peuple de Paris est à la hauteur de son devoir, et, de par son héroïsme, il demande que la Commune soit à la hauteur de ce peuple. Car c’est la lutte suprême, à la fin de laquelle il y a la rénovation éternelle, ou l’effondrement définitif. Le champ de bataille, encore une fois, est à l’hôtel de veille.
De l’énergie et de l’audace !…
Sinon ce sera la débâcle … et une débâcle de cinquante ans.
Casimir Bouis
Témoignage
Martial Sénisse, 20 ans, maçon limousin
Je suis resté longtemps à la fenêtre ce matin. Il a beau faire soleil, ce lundi de Pâques est triste.
Thoumieux est allé passer la journée au Mouton Rouge mais je n’ai pas voulu l’accompagner. Je m’ennuie. A force de me répéter que tout cela finira très mal, Elise a réussi à m’inquiéter. On sait maintenant que la commune de Limoges a été écrasée et que les compagnons qui n’ont pas été arrêtés se cachent dans la campagne. Je suis sans nouvelles du cousin Ribiéras.
Ce soir, Thoumieux a voulu à toutes forces que j’aille dîner avec lui. Nous avons rejoint Vuillaume2 dans un restaurant de la rue des Petits-champs. Il était accompagné du colonel Rossel qui est le chef d’État-major. C’est un radical, un ami de Gambetta, et il nous dit :
– j’ai d’abord voulu venger la trahison de Metz. Je suis ici avec le peuple parce que le peuple est le seul à n’avoir point capitulé devant les prussiens. Je suis ici parce que je crois encore qu’avec le peuple il sera possible de chasser l’infâme gouvernement de Versailles, de dissoudre l’assemblé odieuse, et de recommencer la guerre contre l’ennemi. Je suis ici parce que je suis un patriote. Je suis avec la République du peuple contre la bourgeoisie défaitiste. Je suis avec les soldats du peuple contre ceux de mes camarades officiers qui consentent à servir sous les ordres de ceux qui ont livré l’Alsace et la Lorraine et qui se déshonorent ainsi…
En bref
La solde des artilleurs parisiens est élevée à 3 francs par jour, à comparer avec la rémunération des sergents de ville qui se battent contre Paris qui se monte à 10 francs.
L’Association générale des ouvriers tailleurs de Paris invite les citoyens et citoyennes qui ont pris part aux travaux d’habillement de la garde nationale à venir chercher leur dividende, réparti au prorata de l’argent gagné par chacun. Un bureau spécial est ouvert à la Bourse pour chacun des vingt arrondissements, à partir de lundi, 10 avril, de huit heures du matin, à cinq heures du soir.
Dans La Commune
Nous parlions récemment d’une pression exercée sans résultat sur la compagnie du gaz, afin d’obtenir d’elle la suppression de l’éclairage dans Paris.
Ce que M. Thiers n’a pu obtenir de cette compagnie vient d’être demandé à une autre. Voici ce que nous lisons dans l’Indépendance Belge : « A la demande de la compagnie du Nord, les transports de houille et de coke pour Paris sont suspendus jusqu’à nouvel ordre ».
On oublie d’ajouter pour combien d’années cette complaisante compagnie a obtenu la prolongation de son privilège.
Gaston Da Costa continue son travail de contact entre Paris et Versailles suite au décret sur les otages. Il a réunit une douzaine de prêtres détenus, leur a lu les lettres adressées à Thiers, et l’abbé Bertaux est désigné pour les y porter, après avoir signé un engagement de revenir dans les trois jours. Da Costa s’engage de son côté à le laisser en liberté s’il s’acquitte loyalement de sa mission. Il est parti, escorté jusqu’aux avant-postes de Saint-Denis par deux agents.
Nouvelles du Havre
Lors d’une nouvelle réunion du Comité Central Républicain de Solidarité un nommé Decaux demande qu’on s’organise à l’instant pour combattre auprès des frères de Paris. Comme on l’invite à la modération, il réplique « nous en avons depuis 18 siècles, de la modération ».
En levant la séance, le président Détret conclut « attendez le signal de Paris vainqueur, vous verrez le bourgeois rentrer sous terre. Si demain Paris est vainqueur, nous marcherons pour l’aider à 500 que nous sommes »
Paru dans Le cri du peuple
Tous les blessés de l’armée de Versailles ont été évacués sur le Havre.
Le gouvernement a fait appel à tous les anciens services d’ambulance dont la reconstitution était encore possible. Les blessés sont en grand nombre. Dans la seule journée du 7 avril, plusieurs généraux ont été mis hors de combat. L’aide-de-camp de M. de Galiffet a reçu un éclat d’obus à la cuisse. Le général Besson, qui commandait les troupes à Courbevoie, a été tué; deux de ses aides-de-camp ont été blessés.Les généraux Montaudon et Péchot ont été blessés.
En débat : un décret révolutionnaire en faveur de l’union libre
Si le décret sur la pension pour les veuves ne modifie pas en profondeur la situation de toutes les femmes, puisqu’il n’annule pas les dispositions iniques à leur encontre dans toute la législation en vigueur, c’est une rupture très importante, à effet immédiat, pour toutes celles qui vivent en union libre. En outre il ne différencie pas les enfants, puisque reconnus ou non légalement, ils ont tous les mêmes droits.
Il est une avancée importante vers le principe révolutionnaire de l’égalité absolue des époux dans le couple et la liberté de toutes de vivre leur vie de couple comme iels l’entendent. Or un tiers des femmes vivent en union libre dans les quartiers ouvriers parisiens, où la critique du mariage, même civil, est développée, où des hommes et les femmes se rencontrent naturellement de manière libre en dehors des carcans des villes et villages dont iels proviennent.
Les avancées qu’avait initié la révolution française en reconnaissant le divorce par consentement mutuel ont rapidement été éliminées, puisque la possibilité de divorce a tout simplement été supprimée en 1816 pour des raisons religieuses. Le Code Napoléon a placé les femmes célibataires et les épouses dans une condition juridique inférieure à celle des hommes. La femme non mariée, même majeure, ne peut faire partie du conseil de famille et exercer la tutelle sur d’autres membres en difficulté de la famille. Elle ne peut être témoin dans les actes d’État-civil ni dans les actes privés.
La femme mariée est placée sous l’entière dépendance de son époux. Elle doit obéissance à son mari qui fixe le lieu du domicile conjugal, dispose à sa guise des biens communs acquis pendant le mariage, a seul l’autorité parentale sur ses enfants. L’épouse doit demander l’autorisation à son mari, qui peut donc s’y opposer, pour comparaître en justice, vendre, donner ou hypothéquer ses biens personnels. Enfin ce code civil ne s’occupe pas des droits du conjoint survivant.
Accorder à la veuve non mariée et aux enfants non reconnus par le défunt les mêmes droits qu’à la veuve et aux enfants dits légitimes (terme absent du décret), sous réserve d’enquête sur le caractère réel et continu de l’union contractée en dehors de toute intervention légale, est une salutaire rupture pratique avec le code civil.
Comme le dit Victor Arnould, ce décret en élevant la femme au rang de l’homme, en la mettant, aux yeux de la loi et des mœurs, sur un pied d’égalité civile absolue avec l’homme, se place sur le terrain de la morale vraie, et porte un coup mortel à l’institution religioso-monarchique du mariage tel que nous le voyons fonctionner dans la société moderne.
Peut-être que ce décret n’est pas un coup mortel à l’institution du mariage, mais c’est un défi jeté aux prétendus principes d’une moralité toute conventionnelle, pratiquée en dehors de toute égalité, dans l’unique but de sauvegarder la propriété, un jalon dans la modification structurelle de la législation sur la famille.
Non ce n’est pas un décret immoral, un encouragement au vice comme tous les réactionnaires vont s’empresser de dire, c’est un décret de qui reconnaît et officialise la liberté des individus dans leur relation de couple, et l’égalité totale et réciproque des droits et des devoirs entre les membres du couple !