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Contretemps traduit et reproduit pour ses lecteurs.rices francophones la lettre ouverte lancée par un groupe de journalistes étasuniens, publiée sur le site protect-journalists.com et intitulée « Nous condamnons l’assassinat par Israël de journalistes de Gaza et exigeons des médias occidentaux de faire preuve d’intégrité dans la couverture des atrocités commises par Israël à l’encontre des Palestiniens ».

Environ 600 journalistes ont signé la lettre lors de sa publication le 9 novembre 2023, près de 600 autres l’ont signée depuis, ce qui porte le total à environ 1 200 signatures. Les chiffres ont été mis à jour le 13 novembre 2023. La liste des signataires est disponible sur le site protect-journalists.com qui continue de recueillir les signatures de journalistes à travers le monde. En France, et ailleurs, si vous êtes journalistes ou exercez une autre profession du champ de la presse, n’hésitez pas à la signer. 

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La campagne de bombardements dévastateurs d’Israël et le blocus des médias à Gaza menacent la collecte d’informations d’une manière sans précédent. Le temps presse.

Plus de 11 000 Palestiniens ont été tués au cours des quatre semaines de siège complet israélien. Selon le Comité de protection des journalistes, 36 journalistes au moins ont été tués dans ce conflit que le Comité qualifie de plus meurtrier pour les journalistes depuis qu’il a commencé à recenser les décès de journalistes en 1992. Des dizaines d’autres journalistes palestiniens ont été blessés, détenus, portés disparus ou ont vu des membres de leur famille tués. 

En tant que reporters, rédacteurs en chef, photographes, producteurs et autres travailleurs de la presse du monde entier, nous sommes consternés par le massacre de nos collègues et de leurs familles par l’armée et le gouvernement israéliens. 

Nous écrivons pour exiger que cesse la violence contre les journalistes à Gaza et pour appeler les responsables des rédactions occidentales à faire preuve de lucidité dans la couverture des atrocités répétées d’Israël contre les Palestiniens. 

Les journalistes de la bande de Gaza assiégée sont confrontés à d’importantes coupures d’électricité, à des pénuries de nourriture et d’eau et à l’effondrement du système médical. Ils sont tués aussi bien lorsqu’ils travaillent de manière ostensible pour la presse, que la nuit, chez eux. Une enquête de Reporters sans frontières montre également que des journalistes ont délibérément été pris pour cible lors des deux frappes israéliennes du 13 octobre au Sud-Liban, qui ont tué Issam Abdallah, vidéaste de l’agence Reuters, et blessé six autres journalistes.

Des familles de journalistes ont également été tuées. Wael al-Dahdouh, chef du bureau d’Al-Jazeera à Gaza, journaliste célèbre dans le monde arabe, a appris à l’antenne le 25 octobre que sa femme, ses enfants et d’autres membres de sa famille avaient été tués lors d’une frappe aérienne israélienne. Le 5 novembre, un raid sur le domicile du journaliste Mohammad Abu Hassir, de l’agence de presse Wafa, l’a tué ainsi que 42 membres de sa famille.

Israël empêche l’entrée de la presse étrangère à Gaza, restreint fortement les télécommunications et bombarde les bureaux de presse. Une cinquantaine de sièges de médias à Gaza ont été frappés au cours du mois dernier. Les forces israéliennes ont explicitement averti les rédactions de presse qu’elles « ne peuvent pas garantir » la sécurité de leurs employés contre les frappes aériennes. S’inscrivant dans le cadre d’une politique de ciblage mortel des journalistes qui dure depuis des décennies, les actions d’Israël témoignent d’une suppression à grande échelle de la liberté d’expression.

Le Syndicat des journalistes palestiniens a exhorté les journalistes occidentaux à condamner publiquement le ciblage des journalistes : « Nous appelons nos confrères journalistes du monde entier à prendre des mesures pour faire cesser les bombardements horribles contre notre peuple à Gaza », a déclaré le syndicat dans un communiqué publié le 31 octobre 2023.

Nous tenons compte de cet appel. 

Nous nous tenons aux côtés de nos collègues de Gaza et saluons leurs courageux efforts pour rendre compte de la situation au milieu du carnage et de la destruction. Sans eux, nombre des horreurs commises sur le terrain resteraient invisibles. 

Nous nous joignons aux associations de presse, dont Reporters sans frontièresl’Association des journalistes arabes et du Moyen-Orient et la Fédération internationale des journalistes, pour exiger d’Israël qu’il s’engage explicitement à mettre fin à la violence contre les journalistes et les autres civils. Les rédactions occidentales bénéficient énormément du travail des journalistes de Gaza et doivent prendre des mesures immédiates pour demander leur protection.

Nous tenons également les presses occidentales pour responsables de la rhétorique déshumanisante qui sert à justifier le nettoyage ethnique des Palestiniens. Les doubles standards, les inexactitudes et les faussetés abondent dans les publications étasuniennes et sont bien documentés. En 2021, plus de 500 journalistes ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils s’inquiètent de ce que les médias étasuniens ignorent l’oppression des Palestiniens par Israël. Cependant, l’appel à une couverture équitable est resté sans réponse.

Au contraire, les rédactions occidentales ignorent les points de vue palestiniens, arabes et musulmans, les considérant comme non fiables, et utilisent un langage incendiaire qui renforce les tropes islamophobes et racistes. Elles ont publié des informations erronées diffusées par les autorités israéliennes et n’ont pas examiné les massacres aveugles de civils à Gaza, commis avec le soutien du gouvernement étasunien. 

Depuis l’attaque du 7 octobre par le Hamas, au cours de laquelle plus de 1 200 Israéliens, dont quatre journalistes, ont été tués et quelque 240 autres capturés, ces problèmes se sont aggravés. La couverture médiatique a fait de l’attaque du 7 octobre le point de départ du conflit sans l’inscrire dans son contexte historique, à savoir que Gaza est une prison de facto pour les réfugiés de la Palestine historique, que l’occupation israélienne est illégale au regard du droit international et que les Palestiniens sont régulièrement bombardés et massacrés par le gouvernement israélien.

Les experts de l’ONU ont alerté sur le fait qu’ils sont « convaincus que le peuple palestinien court un risque grave de génocide ». Pourtant, les médias occidentaux rechignent à citer les spécialistes en études du génocide et à décrire avec précision la menace existentielle qui pèse sur Gaza.

Or, notre travail est de demander des comptes au pouvoir. Autrement, nous risquons de devenir les complices d’un génocide.

Nous renouvelons l’appel lancé aux journalistes à dire toute la vérité, sans crainte ni complaisance. Un appel à utiliser des termes précis, bien définis par les organisations internationales de défense des droits de l’homme, tels que « apartheid », « nettoyage ethnique » et « génocide ». Reconnaître que le fait de déformer nos propos pour dissimuler les preuves de crimes de guerre ou de l’oppression des Palestiniens par Israël est une faute professionnelle journalistique et un renoncement à l’éthique.

On ne saurait trop insister sur l’urgence de ce moment. Il est impératif que nous changions de cap.

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Illustration : Dessin de Naji al-Ali (1937-1987), caricaturiste palestinien.

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