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Les rencontres féministes nationales organisées par la Coordination Féministe se sont tenues à Mont-de-Marsan du 12 au 16 juillet 2023. C’est l’occasion de faire le point sur la structuration de ce cadre militant rassemblant des groupes féministes de différentes villes avec Arya Meroni et Lola Azemar, militantes de l’assemblée féministe Paris-Banlieue.

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Contretemps – Où en est la structuration de la Coordination Féministe ?

Arya Meroni – La coordination regroupe de plus en plus de villes, grâce notamment aux rencontres de Grenoble de 2022. L’ensemble des collectifs, assemblées et associations qui en font partie se reconnaissent dans la construction d’un féminisme anticapitaliste, antiraciste, non transphobe et avec la volonté de construire un mouvement de masse autour de la stratégie de la grève féministe. De nombreuses villes et territoires sont représentés. Par exemple, à Rennes il y a NousToutes 35, dans l’Eure NousToutes 27 avec des assemblées itinérantes dans les campagnes, il y a Team Sama dans les Landes, une association de militant-e-s qui vitalisent ce territoire d’un point de vue féministe. Elles ont lancé le festival féministe, Hébé à Mont-De-Marsan ainsi que le FFRRITE sur les transmasculinités. Cela participe à la vulgarisation de questions aujourd’hui centrales dans le féminisme, dans des territoires plutôt conservateurs. Elles ont contribué à l’organisation de la grève féministe localement.

A Strasbourg, Grenoble, Marseille des Assemblées Féministes se réunissent régulièrement. A Rouen, il y a le Groupe d’action féministe (GAF) ; à Paris, l’assemblée féministe Paris Banlieue et d’autres groupes, à Limoges, les affolé-e-s de la Frange, etc.

Souvent, il y a l’AG, des groupes locaux variés, des plannings familiaux locaux et des groupes de collage et des groupes NousToutes qui s’impliquent.

Contretemps – En quoi les rencontres de Grenoble ont constitué un saut qualitatif ?

Lola Azemar – En janvier 2022, il y avait eu des rencontres féministes à Rennes mais à l’occasion de celles de Grenoble en juillet de la même année, la thématique de la grève féministe avait irrigué davantage en amont. Beaucoup de petites villes étaient présentes : 215 personnes et 71 collectifs. On avait pris le temps de décider ce que nous voulions, quel était le socle de notre féminisme. C’est de la que sont sortis nos axes principaux : des conditions de vie dignes pour toustes ; une organisation sociale solidaire par la réappropriation des services publics ; la libre disposition de nos corps ; la justice environnementale et le respect du vivant ; la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ; l’antiracsisme. Ces axes sont une photographie à un instant T de nos orientations. Ils sont bien entendu mouvants et appropriables selon les enjeux stratégiques qui nous traversent, nationalement comme localement.

Arya Meroni – Avant Grenoble, seules 3 villes fonctionnaient avec des AG féministes et dans la dynamique, d’autres villes ont décidé d’adopter ce mode d’organisation. En effet, pendant les rencontres nous avions fait le choix de faire une plénière sur la construction du mouvement par assemblées, car nous pensions qu’il était important de construire la grève féministe par des cadres larges, appropriables par toustes, déjà organisées ou non, au croisement du cadre unitaire et du collectif d’action.

On a commencé à construire des plans sur le long terme, sortir du cadre qu’avait lancé #NousToutes où notre activité était rythmée par une manif par an. On a réussi à mettre en avant l’idée qu’il était possible de décider localement d’initiatives qui pouvaient prendre de l’ampleur si on s’y mettait toustes. 

Lola Azemar – Des discussions ont également été organisées par secteurs d’activités. Pour certain-e-s la lutte féministe passe surtout par des cadres en dehors du travail et on constate une difficulté à articuler cette pratique militante avec sa place dans le système de production et de reproduction. Les discussions par secteurs ont permis de réfléchir plus concrètement à la construction de la grève féministe. Par exemple, dans le groupe éducation nationale, on a élaboré un 4 pages pour construire la grève féministe dans notre secteur. Dans le travail social également, des militantes de collectifs membres de la Coordination ont aidé à populariser la grève féministe dans ce secteur en organisant une formation avec le syndicat Sud santé sociaux.

Arya Meroni – Et bien sûr, ça nous a conduit à des discussions sur la syndicalisation. Plusieurs discussions ont eu lieu dans la coordination sur la nécessité d’investir les syndicats et de ne pas rester en dehors, alors qu’à Rennes, ça ne traversait pas tant les rencontres. Depuis les rencontres de Grenoble, l’enjeu syndical et le rapport de classe sont plus prégnants.

Contretemps – Et au quotidien quelle est l’activité de la coordination ?

Arya Meroni – En dehors des rencontres, on essaye de produire des textes réappropriables localement. Sur le fond, on élabore une pensée commune mais ouverte, avec une approche plus radicale, anticapitaliste que #NousToutes. Après, les groupes locaux #NousToutes sont autonomes par rapport au national, c’est pourquoi certains sont impliqués dans la coordination.

Contretemps – Quel bilan tirez-vous de la mobilisation contre la contre-réforme des retraites et notamment des 7/8 mars ?

Arya Meroni – Le 8 mars a rassemblé beaucoup de monde et dans beaucoup de villes, des initiatives se sont tenues à cette occasion pour la première fois. A Paris, avec l’AG on a regroupé un gros cortège dans la manifestation qui a réuni très largement le mouvement féministe « inclusif » et toutes ses nuances politiques : #NousToutes, le mouvement des mères isolées, le Strass, Relève féministe, la marche antiraciste, le bloke disidencia Abya Yala, et des groupes LGBTQI, comme les Inverti.e.s, le Dyke Bloc de Fièr-e-s, etc.

Cette réussite démontre que notre féminisme est aujourd’hui majoritaire au sein des féminismes de lutte et que notre projet de construire des cadres larges, anticapitalistes et ouverts permet d’unir et de construire du militantisme commun.

Après, ça été un échec du point de vue de l’ambition qu’on avait d’accélérer le mouvement contre la réforme des retriates. Ce 8 mars a aussi révélé la faiblesse du mouvement féministe et du mouvement social en général. Seules les directions syndicales ont été écoutées et finalement, on a été impuissant-e-s.

Contretemps – Considérez-vous qu’il y ait eu une invisibilisation du 8 par le 7 ?

Lola Azemar – Oui, dans une certaine mesure : un maillage féministe s’est créé avec une multiplicité d’actions et de cortèges tout au long du mouvement, mais ça ne s’est pas cristallisé dans le 8 mars. Comme dans l’ensemble du mouvement social, l’auto-organisation n’a pas été suffisamment aboutie pour permettre de construire des initiatives qui débordent l’intersyndicale. On peut tout de même saluer une forte présence des idées féministes dans le mouvement notamment à travers les cortèges féministes animés par les groupes féministes locaux  et/ou les Rosies et dont les discours sont très repris.

Contretemps – A la veille des rencontres nationales, vous aviez quels projets ?

Lola Azemar – L’an dernier, on avait préparé des axes stratégiques à partir desquels on souhaitait élaborer une plateforme de revendications féministes nationale, un outil qu’on pourrait utiliser pour mobiliser. On commence à réfléchir au fait d’aller vers d’autres mouvements : écologiques, antiraciste, sur le droit au logement.

Sur Paris, un des principaux enjeux est de créer et renforcer des alliances avec les féminismes antiracistes et/ou populaires, comme la Marche Féministe Antiraciste, l’association MaMaMa qui aide les mères de famille en difficulté ou les mouvements de mères isolées, etc.

Arya Meroni – On prévoyait de discuter de campagne sur les violences sexistes et sexuelles, parce qu’au fond, on a rien gagné voire même ça régresse, même si des choses sont plus simples dans la société. Le backslash est énorme, dans les médias et dans les institutions c’est très mitigé. On fait l’hypothèse que le mouvement féministe butte un peu en France sur cette question. Dans les autres pays, il y a eu des mouvements de masse parce qu’il y avait des luttes victorieuses, mais nous, nous n’avons pas vraiment gagné quoi que ce soit. Chez nous, il n’y a pas eu le « féminicide de trop ». Moi, je me dis qu’il faudrait parvenir à déborder le gouvernement. On pourrait penser à une sorte de Nuit debout féministe tant que le gouvernement n’écoute pas, ce qui est difficilement répréhensible.

Contretemps – Et finalement, quel bilan faites-vous de ces rencontres ?

Lola Azemar – Ces rencontres ont été un révélateur des enjeux stratégiques que nous devons affronter dans l’année à venir, notamment la construction d’un féminisme réellement antiraciste et populaire. Du point de vue de l’implantation sociale nous constatons une forte présence des métiers dit essentiels et féminisés (médico-social, éducation, tissu associatif) souvent les plus précaires. En revanche, la grande majorité des personnes présentes étaient des personnes blanches et il n’y avait que trois collectifs composés strictement de personnes racisées sur la cinquantaine présente. Cette composition n’est pas satisfaisante. Par ailleurs, elle a des conséquences directes sur nos agir militants. Pour beaucoup, le prisme oppositionnel « homme » versus « femme » reste la première grille de lecture au détriment d’une perspective antiraciste qui permet la création d’alliances de classe et pas uniquement de genre.

Arya Meroni – une trentaine de villes étaient présentes, soit autant qu’à Grenoble ce qui n’était pas gagné vue l’isolement géographique de Mont-de-Marsan. Au contraire, nous avons su saisir l’opportunité que les rencontres soient organisées dans une petite ville pour mettre au centre la question du militantisme dans les territoires ruraux ou éclatés. Ainsi, des militant-e-s d’Agen, de Montauban, de Dax, de l’Eure, de Saint Malo ou encore du Comminges étaient notamment présent-e-s. Nous avons aussi parlé de la mise en place d’outil d’alerte et de riposte face aux menaces de l’extrême droite contre les militant-e-s féministes ou LGBTQI dans les territoires les plus isolé-e-s.

Nous avons enfin acté de lancer à la rentrée scolaire une campagne pour la défense des droits des personnes trans dans un contexte d’attaque à l’international et de recul des droits des personnes LGBTQI. Notre idée est de nous servir de la date du 28 septembre pour construire une riposte qui allie lutte pour les droits reproductifs et pour les droits des personnes trans, car nous savons que les attaques contre ces droits sont toujours liées et donc que c’est au mouvement féministe de s’emparer de ces questions. D’ailleurs un groupe de travail inter-parlementaire du RN et de LR se lance pour réfléchir à une loi contre les transitions des mineurs et le RN dépose une loi pour interdire aux personnes trans l’accès aux compétitions sportives. Ces luttes vont donc devenir brûlantes.

Contretemps – Et au-delà, quelles sont les perspectives ?

Lola Azemar – Au cours de ces rencontres, nous avons décidé que l’antiracisme serait l’axe central des rencontres de l’année prochaine. Cela implique la création de liens durables avec les collectifs antiracistes locaux pour parvenir à une véritable co-construction des rencontres ainsi qu’une déblanchisation de nos collectifs. Si nous voulons construire une grève féministe de masse il est impensable de faire sans les personnes qui sont au cœur de l’exploitation capitaliste et qui occupent bien souvent les emplois les plus précaires et vivent des violences institutionnelles répétées. Enfin, nous avons décidé que la lutte contre la loi asile immigration et contre les violences policières seraient au cœur de notre action. En France, le racisme est omniprésent dans toutes les sphères de la société, l’islamophobie est décomplexée notamment dans l’éducation et la police tue régulièrement. Il est impensable qu’un mouvement qui veut transformer globalement la société ne prenne pas cette question à bras le corps.

Arya Meroni – Construire un mouvement populaire passe aussi par la construction de cadres pour organiser les travailleuses du travail reproductif, salariées ou non. Dans les travaux les plus précaires, il y a un impensé des syndicats traditionnels qui n’arrivent pas à s’adapter aux rythmes et réalités de ces personnes. D’un autre côté, nos cadres féministes non plus. Dans plusieurs villes des camarades réfléchissent de plus en plus à trouver des formes d’organisations qui permettent de dépasser ces problèmes.

Enfin, dans le mouvement féministe et au-delà il y a tendance à faire de l’événementiel. Des collectifs se montent autours d’un événement, d’une manifestation thématique, centrant toute leur activité là-dessus. Il faudrait construire un grand événement qui « marque » parce qu’il y a cette idée que c’est comme ça qu’on change les choses. Cet événement doit être « parfait » et répondre aux attentes du « public » qu’on cherche à fidéliser. Il nous semble nécessaire de sortir de cette politique de l’événementiel. À contre-courant de ces logiques, nous pensons qu’il faut construire des mouvements qui posent la question de la durée, de la permanence, qui cherchent à reconstruire des cadres de militantisme quotidien, qui veulent parler à toustes et rendre actives. Notre objectif reste la construction d’un état d’agitation féministe permanent, que le féminisme soit partout et s’occupe de tout, ce qui est l’opposé d’un mouvement cadré, réglé, fait « sur mesure » pour plaire.

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Propos recueillis par Fanny Gallot.

Illustration : https://coordfeministe.wordpress.com/

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