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Samah Idriss a rendu son dernier soupir hier à l’âge de 60 ans, après trois mois d’une lutte contre un cancer fulgurant. Éditeur, traducteur, écrivain et militant de longue date, il incarnait une intellectualité au sens gramscien au sein d’une gauche arabe attachée à la libération nationale. Sa plume et ses actions militantes étaient guidées par la Palestine, comme passage obligé de tout projet progressiste arabe. La revue Contretemps s’associe aux nombreux hommages qui lui sont rendus aux quatre coins du monde arabe, et au-delà.

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De l’intérieur des murs de sa prison en Israël, le secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Ahmad Saadat, a réagi il y a quelques semaines à l’annonce de la maladie de Samah Idriss par un message dans lequel il le qualifie de « l’un des plus importants penseurs et intellectuels arabes révolutionnaires et progressistes qui ont mis leur plume au service de la Palestine ». De même, depuis la prison de Lannemezan, Georges Abdallah a envoyé un mot de rétablissement à son camarade, le décrivant comme « un phare pour la voie de la libération de la Palestine et des masses de notre nation arabe ».

Issu d’une famille nassérienne, Samah Idriss rejoint le FPLP au Liban quelques mois avant l’invasion israélienne de Beyrouth en 1982 et, s’il s’en détache ensuite, il restera associé à cette organisation jusqu’à la fin de ses jours. Il n’a eu de cesse, en effet, de défendre la synthèse idéologique et politique revendiquée par Georges Habache et Ghassan Kanafani entre le marxisme et le nationalisme arabe. Au reste, l’idée que révolution socialiste et libération nationale sont deux processus étroitement liés était dominante dans la gauche arabe – le philosophe Mahdi Amel, par exemple, lui avait consacré plusieurs écrits théoriques. Elle forme la matrice idéologique de nombre d’intellectuels de la génération de Samah Idriss qui continueront à plaider en sa faveur, contre vents et marées.

Après le départ contraint de l’OLP du Liban, avec ses camarades de l’American University of Beirut (AUB), Samah Idriss contribue à la formation des « Partisans du Front de la résistance nationale libanaise » (PFRNL) (Ansar Jabhat al-muqawama al-wataniya al-lubnaniya), dont le but est de lutter contre l’offensive israélienne sur le terrain idéologique et de favoriser la mobilisation en soutien au FRNL. Dans ce cadre, ils publient en 1984, au nom du PFRNL, le livre Sanatin min al ahtilal, sanatin min al muqawama (« Deux ans d’occupation, deux ans de résistance »). Les fonds collectés étaient destinés à soutenir matériellement la résistance libanaise.

Suite à l’obtention de sa maîtrise en littérature arabe à l’AUB en 1986, Samah Idriss voyage aux États-Unis pour poursuivre ses études à l’Université de Columbia. Il rédige une thèse intitulée L’intellectuel arabe et le pouvoir : études sur les romans portant sur l’expérience nassérienne (Al-Muthaqaf al-‘arabi wal sulta : baath fi riwayat al-tajriba al-nasiriyya), publiée en 1992 aux éditions Dar al-Adab.

De retour au Liban en 1991, il prend part à la revue littéraire al-Adab, créé en 1953 par son père Souhail Idriss, célèbre écrivain et traducteur (notamment des œuvres de Jean-Paul Sartre et Albert Camus). Samah Idriss devient le rédacteur en chef de la revue papier de 1992 à 2012 puis de sa version électronique de 2015 jusqu’à sa disparition. al-Adab constitue un espace de production intellectuelle majeur dans le monde arabe, combinant exigence académique et intervention politique. En réunissant des auteurs de l’Irak à la Palestine, de la Tunisie à l’Égypte, la revue compte en effet parmi les rares médiations assurant une proximité spatiale entre les intellectuels arabes, dans le contexte régressif des années 1980 à nos jours. Samah Idriss y a régulièrement contribué durant ces trois dernières décennies, variant les registres : critiques littéraires, recensions, analyses théoriques et conjoncturelles.

Al-Adab, n°06-07, Vol 42, 1994

En parallèle, Samah Idriss publie plus d’une dizaine de romans pour enfants et adolescents traitant de la guerre et de l’amour, comme Taht al-Sirir (« Sous le lit ») en 2004, Al-Malaja (« Le refuge ») en 2005 ou Dhalika al-Khalif (« Cet automne-là ») en 2009, aux éditions Dar al-Adab. Son œuvre littéraire à destination de la jeunesse trouve également une motivation politique. Pour Samah Idriss, il s’agit de rétablir une relation affective positive avec la langue arabe, parfois dépréciée, voire méprisée, par les jeunes générations, la rendre plus accessible, et défaire, en somme, les effets du rapport colonial à la langue maternelle.

Entre 1999 et 2000, Samah Idriss participe à la formation du Mouvement du peuple, une organisation politique née autour de la figure de Najah Wakim, député nassérien et opposant historique des politiques de Rafik Hariri au Parlement libanais. Avec le Mouvement du peuple, Samah Idriss prend part à plusieurs regroupements politiques, aux côtés du Parti communiste libanais, de l’Organisation populaire nassérienne à Saïda notamment, et de militants syndicalistes et associatifs. Ensemble, ils revendiquent à la fois une démocratisation du système politique libanais (autrement dit la fin du confessionnalisme politique et une nouvelle loi électorale) et des politiques socio-économiques à rebours de l’orientation néolibérale des gouvernements successifs.

En 2002, suite à l’opération israélienne contre Jénine, Samah Idriss fonde la Campagne de boycott des soutiens d’Israël qu’il a activement co-animée jusqu’à son dernier souffle. Cette campagne joue un rôle de premier plan au Liban dans l’animation d’une opposition civile contre tout projet ou événement (d’ordre économique, politique, académique ou culturel) qui impliquerait des institutions ou individus collaborant avec Israël. Elle travaille en lien étroit avec le mouvement palestinien BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) né en 2005.

Alors que les États-Unis s’apprêtent à envahir l’Irak en 2003, Samah Idriss s’investit dans l’organisation des manifestations contre l’impérialisme étasunien. En 2006, il témoigne un franc soutien au Hezbollah en tant que résistance libanaise face à l’agression militaire israélienne. Il se sert d’al-Adab comme d’une tribune politique, s’excusant par avance auprès de ses lecteurs de faillir à la mission littéraire de la revue, mais qu’en temps de guerre ouverte, il n’a pas d’autre alternative que de « s’engager dans la résistance civile ». Il lance ainsi une pétition signée par des centaines de militants et intellectuels arabes et internationaux et organise des collectes de dons en soutien aux déplacés du Sud Liban.

En 2011, Samah Idriss multiplie les articles à propos des soulèvements arabes et coordonne la publication de plusieurs numéros d’al-Adab à ce sujet. De nouveau, la revue est mise à disposition de l’urgence politique : la parole est donnée aux acteurs engagés dans les processus révolutionnaires, pour la plupart marxistes et/ ou nationalistes arabes. Sur le plan militant, il rejoint le comité de suivi de la campagne pour la chute du régime confessionnel au Liban.

Opposant des accords d’Oslo, Samah Idriss a porté une voix inflexible contre le mouvement de normalisation avec Israël. Pour lui, « céder sur la Palestine, c’est céder sur nous-mêmes », ainsi avait-il intitulé le dernier discours qu’il a prononcé en octobre dernier.

À considérer qu’il existe un milieu plus ou moins cohérent au sein des gauches arabes qui – par-delà les nombreux clivages, déliaisons et recompositions – partage un système de vision commun, Samah Idriss en fut de toute évidence un des intellectuels. Il avait un sens aigu du rôle politique spécifique qu’il pouvait exercer dans le champ intellectuel arabe, au milieu des conflagrations qui ont secoué la région. Sa trajectoire dépliée ici de manière très partielle en donne un aperçu.

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