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Nous sommes heureux·ses de publier un extrait du livre Entrer en pédagogie antiraciste, que Sud Éducation 93 a fait paraître récemment aux éditions Shed. Ce livre repose sur un énorme travail collectif visant à mettre au centre de la réflexion politique et pédagogique des expériences, des travaux et des luttes autour du racisme à l’École.

Des questions qui ont été beaucoup trop peu posées au cours des dernières décennies, alors même que l’institution scolaire joue assurément un rôle dans la reproduction des rapports sociaux de race, mais est aussi le lieu d’une offensive raciste, de la part des gouvernements – à coup de lois ou décrets islamophobes notamment – et de l’extrême droite, qui construit continument des paniques morales autour notamment de la présence d’élèves descendant·es de l’immigration postcoloniale ou encore de programmes d’histoire qui remettent en cause (très partiellement en réalité !) le « roman national » français.

Avant-propos Nous pouvons réinventer l’école[1]

Un après-midi d’avril 2018, sous les néons d’un commissariat de Seine-Saint-Denis, une professeure d’anglais se voit interrogée sur le sens des termes « blanchité », « racisme d’État » et « atelier en non-mixité » au rythme du tapotage engourdi sur le clavier de la brigadière en charge d’enregistrer sa déposition. Cette occasion d’une leçon d’antiracisme politique dans les locaux des forces de l’ordre a été rendue possible par l’entremise d’une plainte de Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, pour « diffamation ». Si notre camarade, avec douze autres syndicalistes, étaient convoquéëes dans ce cadre, c’est parce que quatre mois plus tôt, nous organisions le premier stage de formation antiraciste tenu par des agentxes de l’Éducation nationale, où fut prononcée l’expression qui nous a valu cette action en justice : « racisme d’État ».

Au-delà de la réaction outrancière du ministre, la finalité nous interroge. Pourquoi l’emploi de certains termes est-il si tabou qu’il nécessite, plutôt qu’un débat apaisé, une forme de répression jamais vue auparavant dans l’institution scolaire ? Qu’y a-t-il de si odieux à vouloir formuler la question du racisme dans l’école ? Pourquoi s’attaquer à des mots quand on peut s’attaquer à des faits ? Chaque année, un million de personnes sont victimes, en France, d’un acte raciste[2]. Cela correspond à 14,5 % de la population française et ne comprend évidemment pas les commentaires ou les gestes qui ne sont pas rapportés : 91 % des personnes noires s’estiment par exemple victimes de discriminations raciales[3]. Mais, si l’on ne peut pas parler de ce phénomène, si l’on ne doit pas s’outiller pour en identifier les causes, les conséquences et les attributs, qu’est-il permis de faire ?

Enseignantxes titulaires raciséëes, nous nous sommes engagéëes à partir de 2012 dans le syndicat SUD Éducation 93 puis coordonnéëes en 2017 au sein d’une commission antiraciste. Contrairement à nos collègues contractuælles, notre statut de fonctionnaire nous prémunit (encore) des licenciements abusifs et nous avons estimé avoir un rôle à jouer dans la prise de conscience des causes structurelles des inégalités et des discriminations raciales à l’école, en proposant ces stages de formation syndicale ouverts à l’ensemble des personnels de l’éducation.

Outre les procès d’intention à notre égard, suspectéëes d’être trop concernéëes par le sujet pour être légitimes, la difficulté à déployer ce travail réside dans le fait que beaucoup de nos collègues se pensent déjà antiracistes, jugeant qu’enseigner en Seine-Saint-Denis constitue un acte militant en soi. Pourtant, comme le démontre le sociologue Fabrice Dhume dans ce livre, considérer que le racisme et les stigmatisations sont toujours intentionnelles ou le fruit d’une idéologie constitue une erreur d’analyse. Selon lui, c’est ce qui permet à l’institution « de cantonner la question aux élèves, et de [se] positionner en donneuse de leçons morales[4] ».

Nous avons eu à cœur de mobiliser des historiænnes et des sociologues capables d’éclairer le caractère historique, inconscient et diffus du racisme en France pour en saisir les mécanismes spécifiques dans notre milieu professionnel. Même si, comme le remarque à juste titre Marie Dasylva, invitée en 2022 à animer un atelier pour se prémunir du racisme en milieu scolaire : « tous les mots qui pouvaient expliquer ce qu’est le racisme ont été prononcés[5] ». Au cours des trois éditions (2017, 2019, 2022), notre initiative a réuni quatre-vingt-sept intervenantxes, dont quinze universitaires, seize militantxes de l’antiracisme, sept acteurices du champ associatif, trente enseignantxes, deux AED, deux AESH, une CPE, une documentaliste, une libraire, deux parents d’élèves, huit invitéëes interprofessionnælles, une coach et une psychologue.

Du côté du public, nous avons reçu plus de trois-cents personnes. Les stages ont aussi été l’occasion de mutualiser des années de mise au point d’outils pédagogiques. Une pratique antiraciste de l’enseignement s’incarne d’abord par la transmission de récits et d’images positives auxquelles les enfants et adolescentxes peuvent se référer. Il s’agit par exemple en histoire-géographie de partager le travail d’archéologues égyptiænnes, de scientifiques noirxes ou de montrer les processus actifs de transformation du monde, à l’aune des luttes des oppriméëes – ce peut être rappeler, comme le fait Manel Ben Boubaker dans sa salle de classe, les résistances juives et les soulèvements pendant la Shoah, généralement occultées[6].

Poser un regard critique sur les documents et les manuels à notre disposition pour enseigner nous semble nécessaire, sinon fondamental, et nous tentons d’en contourner les biais potentiels en analysant avec une perspective intersectionnelle chaque proposition portée à nos élèves. Notre pratique s’ancre ainsi dans une réflexion épistémologique, qui questionne les dynamiques de production et d’effacement ou d’accaparement des savoirs, à l’image des épistémicides en mathématiques, une conséquence du colonialisme présentée par Yann Renoult dans cet ouvrage.

L’ascendance entre enseignantxe et élève n’est pas le prisme par lequel nous envisageons l’éducation. Comme le disait le pédagogue brésilien Paulo Freire : « Tout le monde sait quelque chose. Tout le monde ignore quelque chose. C’est pourquoi nous apprenons continuellement[7]. » La pédagogie que nous défendons s’inscrit dans une tradition radicale et populaire de la philosophie de l’éducation, telle que développée par Antonio Gramsci et Célestin et Élise Freinet au début du XXe siècle, puis plus tard par Paulo Freire, Amílcar Cabral ou encore bell hooks[8].

Au regard de ces apports, il est également important de fournir des outils d’autonomie aux élèves dès le plus jeune âge, pour comprendre et se préserver du racisme. Cela implique de ne pas avoir peur des interrogations sur les rapports sociaux de race et de classe, sur lesquels les enfants mettent le doigt très tôt en Seine-Saint-Denis.

Ajoutons que s’il est essentiel d’identifier les biais et les attitudes oppressives, il est primordial de conscientiser ses privilèges lorsque l’on fait partie d’un groupe dominant. Ces stages ont ouvert des espaces de parole salutaires aux enseignantxes blanchës qui ne savaient pas où trouver des ressources, comme aux personnels de l’éducation raciséëes et LGBTQIA+ raciséëes, en proposant des temps en non-mixité ainsi que des rencontres avec des psychologues et des spécialistes des problématiques de racisme au travail.

En publiant ce livre, nous donnons aujourd’hui accès à une partie de ces avancées avec des boîtes à outils et des clés d’analyse formulées pendant ces temps de formation, et qui ne cessent d’évoluer et de s’affiner. Nous proposons par ailleurs de réfléchir aux répercussions d’une parole antiraciste portée publiquement, notre syndicat ayant fait l’objet de plaintes, outre celles de Jean-Michel Blanquer, et de mesures administratives que nous étayons dans un texte revenant sur les attaques juridiques, politiques et médiatiques de nos trois stages depuis 2017.

Notre engagement dans les structures syndicales et l’investissement de toutes les instances démocratiques du syndicat (assemblées générales, congrès, etc.) constituent un autre enjeu important de la lutte pour une reconnaissance de l’antiracisme en tant que problématique essentielle, en Seine-Saint-Denis et en France. Nous y revenons dans un texte consacré à la minimisation de cet objectif dans le syndicalisme, aussi vieille que la présence des travailleurës immigréëes sur le sol français[9].

Un bilan accablant

En Seine-Saint-Denis, où nous travaillons, habitons et/ou avons grandi, le non-remplacement de professeurës absentxes équivaut à un an de scolarité perdu à la fin de l’école primaire[10]. Dans le département avec la population la plus jeune et la plus pauvre de France métropolitaine, on compte seulement unxe médecin scolaire pour 23 000 élèves, unxe infirmierë pour 1 270 élèves et unxe assistantxe sociæle pour 2 300 élèves[11].

Tandis que celleux-ci étudient dans des conditions matérielles précaires, parfois sans électricité et sans chauffage, comme au lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois[12], le lycée Henri-IV, dans le 5e arrondissement de Paris, se voit attribuer une subvention de près d’un million d’euros de la région Île-de-France pour la rénovation de sa coupole[13]. Selon la Cour des comptes, unxe élève du 93 coûte 47 % moins cher à l’État qu’unxe élève parisiænne[14].

À Mayotte, colonie départementalisée, un roulement des classes est prévu par demi-journée puisqu’il n’y a pas assez d’enseignantxes ni de locaux[15]. Les Mahoraisxes perdent presque la moitié des heures obligatoires que l’État doit à chaque élève.

À l’échelle locale, des mairies refusent ou entravent l’inscription à l’école des enfants roms et/ou sans adresse[16], obstruant l’instruction, pourtant obligatoire « pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans[17] ». Les élèves sans-papiers vivent dans la crainte d’être arrêtéëes, de ne pas obtenir leur diplôme ou de devoir interrompre leurs études supérieures. Chaque année, des collectifs de professeurës[18] et de syndicalistes se mobilisent pour permettre à ces élèves, qui ont très souvent accompli la majorité de leur scolarité en France, de rester étudier.

Les évictions d’élèves sans-papiers sont particulièrement brutales dans les colonies départementalisées : à Mayotte encore, on estime à 30 % le nombre d’enfants non-scolariséëes, et beaucoup de jeunes exiléëes sont expulséëes du jour au lendemain[19]. Enfin, à l’université, les étudiantxes étrangerës non-européænnes doivent depuis 2019 s’acquitter de droits d’inscription supérieurs à ceux des nationæles et des européænnes[20].

Les représentations coloniales continuent d’impacter les trajectoires scolaires, des garçons noirs et arabes notamment, désignés comme plus violents et recevant des sanctions plus importantes[21].

Ce contrôle des garçons racisés commence dès le seuil de l’école et n’est que le prélude du contrôle policier qu’ils subissent dans l’espace public[22]. Des stéréotypes raciaux, négatifs[23] ou dits « positifs », s’étendent aux capacités d’apprentissage et aux performances des élèves non-blanchës. Selon une étude éditée par la Défenseure des droits, « les adolescents [d’Asie de l’Est et du Sud-Est] subissent des micro-agressions à caractère sexuel ou liées à leurs caractéristiques intellectuelles[24] ». Iels endurent ce qui est appelé le « stéréotype de minorité modèle[25] », qui représente une forme de racisme à ne pas négliger.

Quant aux compétences des jeunes perçuës comme noirxes et arabes, elles sont dévaluées, en particulier s’agissant des matières les plus valorisées, à l’instar des mathématiques ou du français. Les voies où sont surreprésentéëes les élèves raciséëes sont les plus dépréciées : filières professionnelles, technologiques, ainsi que les dispositifs en lien avec la difficulté scolaire (Ulis, Segpa[26], classe ou atelier relais, UPE2A).

Racialisée et genrée, cette « désorientation scolaire » – incarnée par la figure de la conseillère d’orientation qui hante le rap français – aiguille les descendantxes d’immigréëes vers les formations tertiaires féminisées et précarisées[27]. Lorsque ces élèves appréhendent les réalités qui les concernent, iels font part d’un sentiment d’injustice et de discrimination orchestré par le système scolaire[28].

De la formation d’instituteurices coloniæles au XIXe siècle aux « homes indiens » des années 1930 en Guyane, où des enfants autochtones sont enlevéëes à leurs parents pour être placéëes et scolariséëes dans des pensionnats catholiques[29], l’histoire de l’école française est marquée par un rapport aux parents non-blanchës empreint de stéréotypes[30]. Effacer les cultures d’origine pour façonner les enfants au dogme républicain : cette dynamique est particulièrement présente aujourd’hui dans les colonies départementalisées et dans les banlieues. Elle remonte directement à l’artisan de l’école laïque, gratuite et obligatoire, Jules Ferry, fervent partisan de l’expansion coloniale française, qui martelait le « devoir [pour les races supérieures] de civiliser les races inférieures[31] » en 1885.

Notre réalité d’enseignantxes raciséëes

Professeurës raciséëes, descendantxes d’esclavagiséëes et/ou de coloniséëes, nous portons au même titre que nos élèves et leurs parents le fardeau de ce système inégalitaire. Lors d’un atelier en non-mixité, l’un de nos camarades, professeur des écoles noir, nous a confié une anecdote révélatrice. Arrivant dans une école pour un remplacement, la directrice lui demande s’il est l’agent d’entretien, en lui tendant sans attendre le balai qu’elle avait à la main. La stupeur de cette dernière lorsqu’elle comprend son erreur illustre, s’il le fallait encore, l’assignation raciale opérant dans le monde professionnel[32].

Au sein de l’Éducation nationale, on observe que les postes les plus précaires, comme assistantxes d’éducation (AED), accompagnantxes d’élèves en situation de handicap (AESH) ou encore agentxes territoriæles, sont bien souvent occupés par des personnes non-blanches et des femmes[33]. De la même manière que pour les élèves, les filières ou les disciplines les moins attractives sont l’endroit où l’on retrouve le plus d’enseignantxes raciséëes et/ou contractuælles[34]. En outre, nos collègues contractuælles non-européænnes ne peuvent prétendre à la titularisation[35]en dépit de leurs qualités d’enseignement.

La plupart du temps, nos collègues blanchës n’acceptent pas non plus immédiatement l’idée que nous soyons diplôméëes de l’ENS, de Sciences Po ou agrégéëes : « Tu as vraiment eu l’agrégation ? Du premier coup ? » se voit demander l’unxe d’entre nous. La classe, contrairement à ce qu’affirment certainxes chercheurës ou militantxes de gauche, n’efface pas la race. Mettre en concurrence les inégalités et privilégier les questions de classe nous semble être une impasse.

À côté de ce type d’anecdotes, qui ne laissent aucune place au doute, il y a tous ces moments de surprise à notre égard, ces flottements ou ces petites remarques qui, à demi-mot, remettent en question notre place, nous confinant dans une insécurité qui affecte nos santés mentales[36].

Combien d’entre nous ont témoigné de leur isolement en salle des maîtressës et des professeurës où nous avons essuyé l’expression d’une culture raciste ? La consommation d’alcool et de porc des personnes identifiées comme musulmanes fait par exemple souvent l’objet d’une inquisition de la part de certainxes collègues, qui ne peuvent s’empêcher de commenter (« Tiens, tu bois pas d’alcool ? ») ou de spéculer (« Ah tu bois de l’alcool, tu dois faire honte à ta famille ! ») sur ce qui relève avant tout de choix individuels. Nous sommes exposéëes à des propos exotisants et déplacés, parfois allant jusqu’à la sexualisation : « J’adore les Noirs, j’ai même eu un amant quand j’ai vécu un mois au Bénin. » 

Même si, pour se préserver d’un environnement nocif, il nous arrive de déserter ces espaces de sociabilité professionnelle, s’en éloigner peut s’avérer coûteux car cela signifie s’extraire des procédés informels de prise de décision et se priver d’informations importantes sur la vie de nos établissements. De plus, si nous nous positionnons en faveur d’unxe élève ou d’une famille non-blanche dans une décision allant à l’encontre de l’avis majoritaire, nos collègues nous reprochent une allégeance communautaire sans parvenir ni à discerner ni à respecter le simple regard pédagogique que nous posons sur la situation.

Le dévoiement du principe de laïcité

Les injonctions à la loyauté républicaine sont le terreau d’une islamophobie particulièrement véhémente au sein de l’institution scolaire. Nous gardons à l’esprit le traitement de Fatima E., mère portant le foulard qui accompagnait un groupe d’élèves au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté le 11 octobre 2019, lorsqu’elle fut contrainte de quitter la salle pour protéger son fils, terrifié et effondré, après avoir été prise à partie par l’élu d’extrême droite Julien Odoul qui l’a exhortée à retirer son voile « au nom de nos principes républicains ».

Deux jours plus tard, Jean-Michel Blanquer avait affirmé : « le voile islamique n’est pas souhaitable dans notre société[37] », s’inscrivant dans une décennie d’instauration d’un climat de plus en plus islamophobe et de manœuvres politiques visant notamment à écarter les mères portant le foulard des écoles[38]. Concernant les élèves, on sait que six des trente académies françaises, dont celle de Créteil, concentrent 60 % des signalements « laïcité », tant l’obsession du contrôle des musulmanxes est forte dans nos territoires[39].

Pour l’année 2020-2021, l’enquête « Repères et références statistiques 2022[40] », qui recense entre autres les violences à l’école en les triant selon leur degré de gravité, rapporte 2,5 % « d’atteintes graves à la laïcité » dans les établissements publics (le refus répété d’enlever un bandeau dans les cheveux peut en constituer une[41]), comptabilisées au même plan que le « port d’armes », le « trafic de stupéfiants », la « tentative de suicide » ou les « violences sexuelles ». Notons que l’enquête ne prend pas spécifiquement en compte les violences discriminatoires : il est difficile, voire impossible, de distinguer ce qui relève d’une agression raciste, LGBTQIA+phobe, validiste ou sexiste, ce qui permettrait pourtant au ministère de déployer les moyens nécessaires pour les prévenir.

Au milieu de ce contexte délétère des années 2010, nous nous sommes malgré tout autoriséëes à prendre la parole en concevant et en animant le premier stage antiraciste pour les personnels de l’éducation, à l’origine de ce livre.

Répandre l’espoir

Nous œuvrons pour une école de la transformation sociale et non de la reproduction, une école critique dont la finalité ne serait pas l’intégration sur le marché du travail mais où le savoir émancipateur serait un acte, valorisé, de création. Il s’agit aujourd’hui de bâtir l’institution scolaire sur de nouvelles fondations. Notre ambition est de proposer une école adaptée à toustes, qui prendrait en compte les parcours de chaque enfant et de sa famille, en nous encourageant ensemble dans une pédagogie de l’espoir et de l’amour[42].

Nous nous plaçons aux côtés de nos élèves lorsqu’iels se font violentéëes par les forces de l’ordre ou manifestent contre les réformes dévastatrices de Parcoursup et du baccalauréat, qui ont pour effet de les classer et de les reléguer davantage ; nous sommes auprès d’elleux quand iels marchent contre le sexisme[43] ou la réforme des retraites (nous déplorons cet environnement politique au sein duquel de si jeunes personnes doivent défendre leur droit à la retraite).

Leurs présences et leurs paroles sont nos moteurs. Nous pensons avec fierté à Ali L., que nous avons connu en primaire, devenu à 12 ans un reporter photographe déjà estimé par la profession, qui couvre l’actualité médiatique et militante. Leurs voix nous élèvent. Et il est temps d’ouvrir la réflexion tissée au fil des pages qui suivent en partageant avec vous le discours d’une autre de nos anciennes élèves, Leyna D., prononcé lors de la marche féministe et antiraciste de Saint-Denis, le 15 octobre 2022 : 

« Bonjour, je m’appelle Leyna et j’ai 11 ans. Oui j’ai que 11 ans mais je sais ce qu’est le racisme. Parce que oui j’ai 11 ans et oui j’ai subi du racisme et j’en ai vu. Vous vous demandez peut-être pourquoi une jeune fille de sixième s’exprime devant vous aujourd’hui. Eh bien je vais vous dire pourquoi : parce que j’y ai ma place, on y a toutes notre place. Femmes de Paris comme femmes de banlieue, d’ici ou d’ailleurs, vous avez toutes votre place. Et s’ils ne veulent pas nous la donner, alors nous allons la reprendre. On s’est trop souvent tues alors qu’on doit être fières. Fières d’être une femme, fières d’être une femme noire, fières de nos origines, fières de ce monde que nous construisons, fières de nous-mêmes, de nos valeurs et de nos revendications. Alors c’est pour cela qu’aujourd’hui je vous ouvre ma voix et que je vous apporte mon soutien pour cette lutte. Moi, jeune fille du 93, pleine de rêves, pleine d’espoir, pleine d’envie, d’envie que toutes ces discriminations s’arrêtent. J’y crois. Demain sera meilleur parce qu’aujourd’hui on se bat. »

*

Crédits du livre :

Titre : Entrer en pédagogie antiraciste. D’une lutte syndicale à des pratiques émancipatrices

Auteurice : SUD Éducation 93 (collectif) 

Sortie : 22 septembre 2023 

Prix : 25 €

Collection : Arpentages

Nombre de pages : 392 pages 

Textes : La commission antiraciste de SUD Éducation 93, Hanane Ameqrane, Manel Ben Boubaker, Wiam Berhouma, Karim Bettayeb, Saïd Bouamama, Myriam Cheklab, D.,  Marie Dasylva, Fabrice Dhume,  Le Front de mères et Fatima Ouassak, Nacira Guénif, L., Lola Ondikwa, Younes Lakehal, Florine Leplâtre (Cercle des enseignant·e·s laïques), Marwan Muhammad, Nãna, NDE (note des éditrices), Francine Nyambek-Mebenga, Maliga Tony-Nyemb, Mounir Othman, Ugo Palheta, Mélissa Pandor-Margulis, Houyem Rebai, Yann Renoult, SDSR, Sol, Céline Véniat.

Notes

[1] Nous nous inspirons de l’expression de Paulo Freire : « Nous pouvons réinventer le Monde ». Voir : Moacir Gadotti, « Nous pouvons réinventer le monde », entretien avec Paulo Freire, Gérard Karlshausen (trad.), Antipodes, no 22, 2022.

[2] Mathilde Mathieu, David Perrotin et Lou Syrah, « Racisme : contre la haine ordinaire et l’indifférence qui gagne », Mediapart, 5 mai 2023.

[3] Robin Richardot, « Racisme : 91 % des personnes noires en métropole se disent victimes de discrimination », Le Monde, 15 février 2023.

[4] Voir dans cet ouvrage : Fabrice Dhume, « Racisme à l’école. Entre déni de l’institution et ambivalence de la sociologie ».

[5] Voir dans cet ouvrage : Marie Dasylva, « Cultiver notre “reste à vivre”. Ou comment se protéger stratégiquement du racisme en milieu scolaire ».

[6] Voir dans cet ouvrage : Manel Ben Boubaker, « Techniques d’enseignement décolonial en histoire-géographie ».

[7] Paulo Freire, La Pédagogie des opprimés, Élodie Dupau et Melenn Kerhoas (trad.), Agone, « Contre-feux », Marseille, 2021.

[8] Pour aller plus loin sur les pédagogies critiques de la race et la pédagogie intersectionnelle, voir : Kim Case (dir.), Deconstructing Privilege. Teaching and Learning as Allies in the Classroom, Routledge, New York, 2013 ; Kim A. Case (dir.), Intersectional Pedagogy. Complicating Identity and Social Justice, Routledge, New York, 2016 ; Catherine E. Walsh et Walter D. Mignolo, On decoloniality. Concepts, Analytics, Praxis, Duke University Press, Durham et Londres, 2018 ; Catherine Walsh, « Interculturalité critique et pédagogie décoloniale : s’insurger, re-exister, re-vivre », Claude Bourguignon-Rougier, Philippe Colin et Ramón Grosfoguel (dir.), Penser l’envers obscur de la modernité. Une anthologie de la pensée décoloniale latino-américaine, Presses universitaires de Limoges, « Espaces humains », Limoges, 2014.

[9] Voir dans cet ouvrage notre contribution : « Antiracisme et syndicalisme. Histoire et actualité d’un double front ».

[10] Voir : François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo, « Rapport d’information de l’Assemblée nationale déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis », 31 mai 2018.

[11] Dans le département, on compte par exemple quatorze médecins scolaires pour environ 320 000 élèves. Voir : « Bilan social année scolaire 2019-2020 », académie de Créteil, 2020 ; et les effectifs fournis par la DSDEN 93 dans l’onglet « Chiffres clés » de son site officiel.

[12] Maxime Birken, « À Aulnay-sous-Bois, les images du lycée Voillaume sans chauffage ni électricité indignent », Huffington Post, 12 décembre 2022.

[13] Aux côtés de la région, d’autres partenaires publics et privés ont participé au financement de la rénovation, dont le coût final s’élevait à 3 millions d’euros. Voir : « La coupole du lycée Henri-IV, à Paris, a retrouvé son éclat », sur le site de la région Île-de-France, 7 octobre 2022.

[14] Maryline Baumard, « École : les moyens attribués renforcent les inégalités », Le Monde, 12 avril 2012.

[15] Gérard Longuet, « L’enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires », Rapport d’information au nom de la commission des finances, no 224 (2020-2021), Sénat, 10 décembre 2020.

[16] Faïza Zerouala, « Un collectif de mères attaque l’État pour des refus d’inscription à l’école », Mediapart, 7 septembre 2022.

[17] Code de l’éducation (version en vigueur au 2 octobre 2020), chapitre premier : « L’obligation scolaire », article L-131-1.

[18] Le Réseau éducation sans frontière (RESF) regroupe des citoyænnes appartenant à des collectifs locaux, des syndicats d’enseignantxes, des associations de parents d’élèves ou de défense des droits de l’homme et des immigréëes. Il a été fondé le 26 juin 2004 à la Bourse du travail de Paris, en lançant un « appel à la régularisation des sans-papiers scolarisés ».

[19] Gérard Longuet, op. cit., 2020.

[20] Tribune collective, « Frais d’inscription des étudiants étrangers : l’urgence de l’égalité », Libération, 10 juin 2020.

[21] Stéphane Zéphir, « Catégorisation ethnoraciale en milieu scolaire. Une analyse contrastive de conseils de discipline », Revue française de pédagogie, vol. 3, no 184, 2013.

[22] Didier Fassin, La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Seuil, « La Couleur des idées », Paris, 2011.

[23] François Durpaire, Béatrice Mabilon-Bonfils, Fatima moins bien notée que Marianne, L’Aube, « L’Urgence de comprendre », La Tour-d’Aigues, 2016.

[24] Simeng Wang, Yong Li, Johann Cailhol, Miyako Hayakawa, Youngbin Kim et Sophie Haas, « L’expérience du racisme et des discriminations des personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est en France (REACTAsie) », Défenseur des droits, 2023, p. 14.

[25] Ibid.

[26] Voir dans cet ouvrage : Melissa Pandor-Margulis, « Inégalités scolaires : race ou classe ? »

[27] Yaël Brinbaum, Laure Moguérou, Jean-Luc Primon, « Les trajectoires du primaire au supérieur des descendants d’immigrés et de natifs d’un DOM », Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (dir.), Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France, Ined, Paris, 2016.

[28] Ibid.

[29] Hélène Ferrarini, Allons enfants de la Guyane, Anarchasis, Paris, 2022.

[30] Fatima Ouassak et Diariatou Kebe, « L’école apprend à nos enfants à avoir honte de leurs mamans, à avoir honte de ce qu’ils sont », tribune publiée par Contre-Attaque(s), 16 février 2017.

[31] « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Voir : « Les grands discours parlementaires : Jules Ferry (1885). Les fondements de la politique coloniale (28 juillet 1885) », Assemblée nationale.

[32] Les métiers du nettoyage sont de plus en plus féminisés, précarisés et racialisés, avec une augmentation de la part de travailleurës issuës d’Afrique subsaharienne. Seules 29 % des femmes et 14 % des hommes exerçant dans ce secteur sont néëes dans l’Union européenne. Voir : Aurore Desjonquères, « Les métiers du nettoyage : quels types d’emplois, quelles conditions de travail ? », Dares, 18 septembre 2019.

[33] En l’absence de statistiques dites « ethniques », Franck Sanselme a réalisé une observation ethnographique du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois, qui rend compte de réalités que nous rencontrons au sein de nos établissements. Voir : Franck Sanselme, « L’ethnicisation des rapports sociaux à l’école. Ethnographie d’un lycée de banlieue », Sociétés contemporaines, vol. 4, no 76, 2009, p. 126.

[34] Ibid., p. 132.

[35] Le terme « titularisation » est utilisé dans notre ouvrage comme équivalent à fonctionnariat. Il existe des contractuælles qui obtiennent des CDI, mais leurs salaires et conditions de travail restent en deçà du statut de fonctionnaire. Nous militons pour un fonctionnariat automatique, sans condition de nationalité. Voir : Philippe Bataille, Jérôme Guedj et Clémentine Autain, « Une forme méconnue de discrimination : les emplois fermés aux étrangers (secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques) », Groupe d’étude sur les discriminations (GED), note no 1, 2000, p. 10-11.

[36] Voir le témoignage de Nãna dans le chapitre : « Les travailleurës précaires non-blanchës de l’enseignement. Analyses et témoignages d’AED, d’une AESH et d’une enseignante contractuelle ».

[37] Mattea Battaglia et Camille Stromboni, « À quoi joue Jean-Michel Blanquer, après ses propos sur le port du voile ? », Le Monde, 23 octobre 2019.

[38] Depuis 2004, de nombreuses tentatives visent à exclure les femmes portant le foulard de l’accompagnement de sorties pédagogiques : la circulaire « Chatel » du 27 mars 2012 (du nom du ministre de l’Éducation de l’époque) a ouvert une possibilité d’exclusion par les cheffës d’établissement, tempérée par le Conseil d’État dans son étude du 19 décembre 2013. Depuis, ce sujet revient régulièrement dans la bouche de politiciænnes islamophobes, en témoigne la proposition de loi adoptée au Sénat le 9 juillet 2019 par la droite.

[39] En 2018 en effet, Jean-Michel Blanquer a mis en œuvre un plan pour renforcer la laïcité à l’école, coordonné par une équipe nationale laïcité et fait religieux. Le dispositif comprend « un pôle national dénommé “Valeurs de l’école de la République” (Valerep) […] ; une équipe Valeurs de la République dans chaque académie […] ; un conseil des sages de la laïcité ». L’équipe nationale Valerep recense les signalements faits via l’application « Faits établissements », qui lui sont remontés. En parallèle, le ministère a créé une plateforme en ligne, permettant également aux personnels de l’Éducation nationale d’effectuer des signalements, sans avoir à passer par leur hiérarchie. Parmi les atteintes constatées, le ministère ne donne pas une définition formelle de ce qui constitue une « atteinte grave », elles sont déterminées en fonction de leurs circonstances. L’évaluation des degrés de gravité d’une atteinte à la laïcité est par conséquent laissée à l’appréciation des équipes qui les reçoivent. Voir : « Les atteintes à la laïcité à l’école : le suivi par l’Éducation nationale », sur le site du ministère, 21 octobre 2020 ; « Équipes académiques laïcité et fait religieux. Cahier des charges. Pour une école de la confiance », ministère de l’Éducation nationale, 2017, p. 9.

[40] Voir : « Repères et références statistiques 2022 », enquête dirigée par Fabienne Rosenwald, direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (Depp), 2022, p. 49.

[41] Voir : « Équipes académiques laïcité et fait religieux. Cahier des charges. Pour une école de la confiance », op. cit., 2017, p. 9.

[42] La pédagogie de l’espoir est une notion qui nous vient des écrits de Paulo Freire et de bell hooks, non traduits en français. Voir : Ana Maria Araújo et Paulo Freire, Pedagogy of Hope. Reliving the Pedagogy of the Oppressed, Robert Barr (trad.), Bloomsbury Publishing, Londres et New York, 2014 ; bell hooks, Teaching Community. A Pedagogy of Hope, Routledge, Londres et New York, 2003 ; bell hooks, Apprendre à transgresser :l’éducation comme pratique de liberté, Margaux Porton (trad.), Syllepse, « Nouvelles Questions Féministes » Paris, 2019.

[43] Voir dans cet ouvrage : Manel Ben Boubaker et Maliga Tony-Nyemb, « Faire circuler bell hooks en montant un club égalité dans son établissement ».

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