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Si le Parti Socialiste portugais a fini par s’imposer après le processus révolutionnaire de 1974-75 et devenir le plus important parti de gauche du pays, c’est au terme d’une lutte entre les tenants de l’approfondissement de ce processus et les défenseurs d’une stabilisation de la démocratie parlementaire et des institutions bourgeoises.

Pour éclairer la façon dont la social-démocratie a agi dans la Révolution des œillets et a pu canaliser les voies révolutionnaires, nous publions cet article écrit en 1979 par Ian Birchall, alors membre du Socialist Workers Party britannique, et paru initialement dans International Socialism.

***

« Au Portugal, il n’y a aucune possibilité d’éviter pendant plus de quelques mois (tout au plus) des affrontements aigus et armés entre les classes. »[1]

« La gauche révolutionnaire n’a pas tenu compte de plusieurs facteurs. Le premier était la capacité d’adaptation des institutions existantes, en particulier des organisations réformistes au sein du mouvement de la classe ouvrière. »[2]

Quatre ans se sont écoulés depuis le chaud été révolutionnaire de 1975 au Portugal. L’expérience portugaise (ainsi que les élections italiennes de 1976 et le « contrat social » en Grande-Bretagne) a marqué un tournant crucial pour la gauche révolutionnaire européenne, dont Chris Harman (1942 – 2009) a analysé la « crise » dans le numéro 4 de ce journal. Il peut donc être utile, à ce stade, de passer en revue certains aspects de l’expérience portugaise et les attitudes adoptées à son égard par la gauche révolutionnaire, en particulier par notre propre tendance. Ce qui suit n’est envisagé que comme une première contribution à certains aspects de la discussion nécessaire.

Cet article se concentrera, en particulier, sur la principale agence de re-stabilisation dans la période 1975-76, à savoir le Parti Socialiste. Il s’agit d’un facteur de la situation que nous avons gravement sous-estimé à l’époque. Dans la mesure où cet article est une tentative de rétablir l’équilibre, il négligera d’autres questions qui nécessiteraient un traitement approfondi dans le cadre d’une analyse complète. Deux des plus importantes sont la question de la terre et le rôle du Parti Communiste Portugais. Il convient donc de souligner que l’espace consacré à ces sujets n’est pas censé refléter leur importance.

Une autre question importante n’est abordée qu’incidemment dans cet article : le rôle du PRP-BR (Parti Révolutionnaire du Prolétariat-Brigades Révolutionnaires). Au cours de la période 1974-76, International Socialists a tenté de développer des liens avec ce parti, la solidarité pratique étant complétée par une critique fraternelle. Une critique complète de la politique du PRP-BR (en particulier ses ambiguïtés sur le rôle du Mouvement des Forces Armées et sur la nature du parti révolutionnaire) est nécessaire et paraîtra, nous l’espérons, dans un prochain numéro de International Socialism.

Un point doit cependant être soulevé ici. Il est facile de faire des critiques rétrospectives du PRP-BR et des relations de IS avec lui. Mais en 1975, le temps était compté. La révolution prolétarienne était une possibilité objective – même si elle était lointaine – et il était de notre devoir d’essayer d’aider ce qui semblait être la meilleure organisation existante. Rester sur la touche en déplorant l’absence du « parti révolutionnaire » aurait pu améliorer notre réputation de « justesse », mais cela n’aurait pas aidé la lutte.

Pour commencer, en quoi avions-nous raison ? Nous avions raison de considérer que le sursaut ouvrier de 1974-75 était (avec la Hongrie de 1956 et la France de 1968) l’un des points culminants de la lutte des classes depuis 1945, un riche réservoir d’auto-activité et de créativité ouvrières dont on peut tirer d’innombrables leçons. Nous avons eu raison de considérer cette situation comme une situation qui aurait pu, sous certaines conditions, se transformer dans un laps de temps relativement court en une conjoncture dans laquelle la révolution prolétarienne était une possibilité réelle et immédiate[3].

Nous avons donc eu raison d’insister sur l’urgence de construire des organisations ouvrières indépendantes et de rejeter tout discours sur les « étapes » dans la lutte pour le pouvoir de la classe ouvrière. Face à ceux (maoïstes mous et autres) qui se faisaient des illusions sur le potentiel révolutionnaire du Mouvement des Forces Armées, à ceux (trotskystes « orthodoxes » de diverses variétés) qui fétichisaient les partis ouvriers traditionnels, et à ceux (Lutte Ouvrière) qui disaient qu’il ne se passait pas grand-chose de toute façon, notre position[4] a bien résisté à l’épreuve du temps. Mais si nous avions raison à 90%, nous avons commis certaines erreurs d’appréciation.

Jusqu’au 25 novembre 1975, l’analyse qui sous-tendait les prises de position de IS sur la situation portugaise semble avoir été la suivante :

« Mais la révolution ne peut pas rester immobile. Elle peut avancer vers un renversement réussi de l’État bourgeois et l’introduction d’une démocratie ouvrière menant à une société socialiste. Ou bien elle peut revenir à une dictature brutale et réactionnaire et à la domination du capital. Il n’y a pas de solution intermédiaire. Le Portugal est trop pauvre et les travailleurs trop bien organisés pour qu’il soit possible d’introduire « pacifiquement » une « démocratie » à l’européenne occidentale. »[5]

C’est pourquoi la situation au Portugal au cours de l’été 1975 était considérée comme étant « au même point que celle du Chili … deux ou trois mois avant la chute d’Allende ». Avant la manifestation de solidarité du 20 septembre, Socialist Worker titrait : « Le Portugal ne doit pas devenir un autre Chili ».[6]

Dans une telle crise, le Parti Socialiste ne pouvait jouer aucun rôle à long terme :

« Le Parti Socialiste est le parti avec l’aide duquel le capitalisme préserve les espoirs de la petite bourgeoisie et des travailleurs arriérés dans une amélioration progressive de leur situation. L’aggravation de la crise du capitalisme portugais sapera inévitablement le pouvoir de ce parti ; il livrera ses partisans soit au prolétariat révolutionnaire, soit à l’extrême droite – aux forces fascistes. Tant que les masses hésitent entre la révolution et la réaction, elles continuent à soutenir le Parti Socialiste. Mais cette situation d’hésitation ne peut pas durer longtemps. »[7]

L’analyse de IS (mais pas les conclusions tactiques) coïncidait avec celle du PRP-BR qui, en novembre 1975, parlait de la menace imminente d’un « régime autoritaire qui prendra des formes fascistes », mais qui concluait ensuite que « pour nous, en ce moment, il n’y a pas d’autre solution que l’insurrection armée ».[8]

Ce qui manquait dans tout cela, c’était la capacité de Mario Soares (1924 – 2017) et du Parti Socialiste à tirer les marrons du feu pour la bourgeoisie. Bien sûr, le rôle du Parti Socialiste au cours de la période 1974-1978 n’a pas été une réussite spectaculaire, quel que soit le point de vue. Néanmoins, il a été plus impressionnant que ce que chacun d’entre nous lui aurait attribué au printemps 1974.

Au moment du renversement du fascisme en 1974, le parti socialiste n’existait pratiquement pas :

« Le parti socialiste, quant à lui, n’a pratiquement aucune base. Il consiste en un groupe d’avocats, de médecins, etc. réunis autour de Soares. Soares lui-même est un social-démocrate modéré, qui se distingue par son courage personnel et son honnêteté ; il est intransigeant avec le fascisme et a été emprisonné 12 fois. Son rôle sera de servir de médiateur entre Spinola (1910 – 1996) et le Parti Communiste. »[9]

Le Mouvement des Forces Armées, soucieux de ne pas laisser le PC ou le PS se forger une crédibilité dans la classe ouvrière en étant dans l’opposition, fit entrer Soares et ses partisans dans le gouvernement provisoire. Ils démissionnèrent en juillet 1975 après le conflit concernant le journal Republica, exigeant que le gouvernement utilise la force armée contre les travailleurs qui occupaient l’imprimerie. En septembre, ils réintégrèrent le gouvernement d’Azevedo en s’alignant sur les efforts du nouveau gouvernement pour reprendre le contrôle de la presse et de la radiodiffusion. Lors des élections d’avril 1976, les socialistes sont facilement devenus le premier parti au Parlement ; Soares a alors conclu un accord avec Eanes, le général qui avait orchestré la répression de droite lors des évènements du 25 novembre 1975 ; Eanes fut élu président avec le soutien des socialistes et de la droite et Soares devint Premier ministre. Soares introduisit alors un programme d’austérité basé sur le contrôle des salaires et la « productivité » ; il tenta de faire reculer les acquis de la révolution inachevée par une politique d' »attaques en règle contre la classe ouvrière dans les usines et sur les terres ».[10]

Le gouvernement Soares a duré seize mois, jusqu’en décembre 1977 ; Soares a ensuite bricolé une coalition avec le CDS, un parti de droite, mais cela ne retarda son propre départ du pouvoir que de quelques mois.

La réussite de Soares fut modeste mais significative. On ne peut certainement pas dire que le Portugal va connaître quarante ans de « stabilité à la suédoise ». Ni la crise mondiale, ni l’économie sous-développée du Portugal ne le permettent. Mais une situation potentiellement révolutionnaire a été désamorcée ; les ouvriers et les paysans portugais ont perdu une grande partie, mais pas la totalité, des acquis de 1974-75 ; ni le pouvoir ouvrier ni le fascisme ne sont à l’ordre du jour à court terme ; la gauche révolutionnaire portugaise, qui en 1975 était la plus forte d’Europe, est confrontée à la longue tâche d’une reconstruction lente et patiente. La perspective la plus probable pour le Portugal, jusqu’aux prochaines élections et probablement après, est une période prolongée d’instabilité politique et de gouvernements de coalition. Mais, comme le montre l’histoire de l’Italie d’après-guerre, une classe dirigeante peut s’accommoder d’une telle instabilité pendant assez longtemps.

Une tentative de comprendre comment le Parti Socialiste a pu obtenir autant de résultats peut s’avérer utile pour évaluer le rôle potentiel du réformisme dans la période de crise actuelle.[11]

Lorsque le fascisme portugais s’est effondré en avril 1974, les différentes classes de la société portugaise étaient unies par au moins une chose – un désir pour le « changement », un concept quelque peu abstrait. La bourgeoisie, dont une partie avait au moins tacitement encouragé le coup d’État, voulait mettre fin aux guerres coloniales, moderniser radicalement l’économie et préparer l’entrée du Portugal dans la CEE. La classe ouvrière souhaitait une amélioration rapide de la situation économique et le droit de profiter de la liberté nouvellement établie pour créer ses propres organisations indépendantes. La petite-bourgeoisie avait des projets disparates correspondant à ses différents secteurs, mais tous pointaient grosso modo dans la direction de la « réforme ». À gauche, il y avait deux grands partis réformistes, le Parti Communiste et le Parti Socialiste. Le Parti Communiste semblait détenir tous les principaux avantages : il disposait à la fois d’une idéologie politique bien développée (c’était l’un des partis les plus brejnéviens d’Europe occidentale) et d’un appareil centralisé bien organisé, doté d’une véritable base dans la classe ouvrière. Le Parti Socialiste n’avait ni l’un ni l’autre. Pourtant, à long terme, ces inconvénients se sont transformés en atouts.

En 1974-1975, le « socialisme » était très populaire au Portugal. Les partis de gauche (PS, PC et divers groupements sur leur gauche) ont obtenu près de 60 % des voix lors des élections de 1975 à l’Assemblée Constituante, ce qui est probablement le pourcentage le plus élevé jamais atteint lors d’une élection en Europe de l’Ouest. En effet, le plus à droite des grands partis, lié aux conservateurs britanniques, s’appelait le parti du « Centre Démocratique Social  » (CDS), et même le minuscule parti monarchiste se proclamait socialiste.

Dans un tel climat, le nom même de « Parti Socialiste » offre une certaine hégémonie. Le PS se disait « marxiste » et adopta une ligne de classe sur certaines questions. Ainsi, en septembre 1974, il attaqua la législation du travail proposée par le gouvernement parce qu’elle rendait illégales « les grèves de solidarité et les grèves politiques, les formes les plus importantes par lesquelles la classe ouvrière démontre son unité et sa force ».[12]

Dans le même temps, le PS resta résolument parlementariste, Soares affirmant que « les élections, lorsqu’elles sont libres, sont l’expression directe de la volonté du peuple, le seul moyen de légitimer le pouvoir politique ».[13]  Soares trouvait toujours le temps d’attaquer « les révolutionnaires cafres, les manieurs de mots et les aventuriers dont les pratiques politiques irresponsables pourraient mettre des obstacles sur le chemin du processus révolutionnaire dans notre pays ».[14]

Lorsque la logique s’est avérée inadéquate pour résoudre les contradictions, Soares s’est rabattu sur le dernier refuge de tout pragmatique, les conditions nationales particulières du Portugal :

« Nous disons que la social-démocratie n’est pas possible au Portugal. Nous l’avons dit avant la proclamation de la réforme agraire et avant les nationalisations qui affectent 60% de notre économie. Le pouvoir des grands monopoles à Lisbonne est brisé. C’est un fait. Nous répétons la même chose : les méthodes utilisées par nos amis sociaux-démocrates européens ne sont pas nécessairement valables pour nous. Ce que nous voulons, c’est construire une vraie démocratie, respectueuse des formes de la démocratie politique mais qui accepterait les formes très concrètes de la démocratie directe, les expériences d’autogestion. »[15]

Cette dernière référence à l’autogestion était une utilisation habile d’un concept que les socialistes français ont réussi à déployer pour le plaisir simultané de la gauche et de la droite (car après tout il ne veut rien dire). En effet, le Parti Socialiste a pu faire un usage calculé de sa « flexibilité » idéologique ; au cours de la campagne électorale de 1975, Soares a tenu des discours de droite dans le Nord conservateur et des discours de gauche dans les zones industrielles de Lisbonne. (La palme du double visage revient peut-être à Raul Rego (1913 – 2002) qui, en tant que ministre de l’Information, a infligé en 1974 une amende au journal Republica, dont il était lui-même le directeur, pour avoir parlé d’une grève).

Comparé à l’appareil du PC, renforcé par la clandestinité et enraciné dans les lieux de travail, le Parti Socialiste ne disposait que d’une base peu organisée. Dans la plupart des situations, cela n’aurait pas inquiété les dirigeants du PS. Un parti social-démocrate ne vise pas la mobilisation des masses ; s’il y a suffisamment de militants pour collecter les cotisations et organiser la propagande électorale, le reste de la classe peut être laissé en paix comme chair à canon. Mais les circonstances particulières du Portugal ont obligé le PS à se mobiliser dans les rues, en particulier entre le coup d’État manqué du 11 mars 1975 et le 25 novembre de la même année. Au cours de cette période, le PS a dû essayer de montrer qu’il était un « parti de masse » capable de rivaliser avec le PC et la gauche révolutionnaire, bien que ses dirigeants aient toujours été conscients des dangers de l’action de masse.

Au cours de l’été et de l’automne 1975, le PS a organisé plusieurs grands rassemblements, d’abord contre l’occupation de Republica par les travailleurs, puis pour soutenir le gouvernement Azevedo. On prétend que plusieurs d’entre eux ont attiré des dizaines de milliers de participants, et certaines sources affirment que le rassemblement du PS à Porto le 25 octobre 1975 a attiré deux cent mille personnes.[16] Mais les chiffres ne sont pas aussi importants que la composition de classe des manifestations. Il semblerait que les manifestations du PS n’étaient pas des rassemblements de travailleurs, mais offraient plutôt la possibilité à des sections de la classe moyenne de manifester en faveur de politiques conservatrices sans s’aligner publiquement sur les partis ouvertement de droite. Un témoin oculaire au Portugal en juillet 1975 fait cette description :

« Nous avons observé une manifestation organisée par le Parti Socialiste à Lisbonne la semaine dernière. L’écrasante majorité des manifestants appartenait à la classe moyenne. Nous avons regardé de près et interrogé de nombreuses personnes. Le seul ouvrier que nous avons rencontré était un membre du Parti Communiste qui était venu, comme nous, pour surveiller les choses. La masse de la manifestation était composée de la classe moyenne jusqu’à l’épine dorsale. Elle était composée de directeurs de banque, de hauts fonctionnaires, d’avocats, de médecins, avec leurs costumes coûteux et leurs mains soigneusement manucurées ». »[17]

La tentative du PS de gagner une base syndicale reflétait également son incapacité à gagner la participation active de la classe ouvrière. Au cours de l’été 1976, les socialistes lancèrent une opération appelée « Lettre Ouverte », destinée à concurrencer la direction du PC à la tête de l’Intersindical. Dans un premier temps, cette opération fut couronnée de succès et, lors d’une conférence en août 1976, la Lettre Ouverte attira des syndicats représentant environ 350 000 travailleurs, soit un quart des forces totales de l‘Intersindical. Mais les travailleurs semblent avoir rapidement compris qu’une scission pro-gouvernementale des syndicats ne pouvait guère servir leurs intérêts. Au cours de l’automne, de nombreux syndicats retirèrent leur soutien à la Lettre Ouverte et le mouvement s’effondra en janvier 1977. Depuis la formation du gouvernement Soares l’été précédent, aucun syndicat n’a élu une direction du PS.

Sur le terrain électoral, les choses sont très différentes. Le PS était dans son élément. Leur attrait, à la fois pour la classe moyenne et pour les sections non militantes de la classe ouvrière, était considérable. Lors des élections d’avril 1975, ils obtinrent 37,87% des voix, soit une nette avance de 10% sur tous les autres partis. En avril de l’année suivante, malgré les défaites et les trahisons des douze mois précédents, ils conservèrent 34,97% des voix. En tant que partisans convaincus du parlementarisme, le PS avait une longueur d’avance sur ses rivaux en ce qui concerne la politique de manipulation et de démobilisation. Lors des élections de 1975 :

« La campagne la plus sophistiquée a certainement été celle planifiée par le Parti Socialiste ». Depuis le 15 février, l’Institut Portugais de l’Opinion Publique avait réalisé trois sondages et les socialistes basèrent leur stratégie sur les résultats de ces sondages. Trois facteurs étaient apparus comme déterminants. Premièrement, parmi les personnes qui ne voulaient pas révéler leur choix de vote aux sondeurs (la plupart ne le faisaient pas), le dirigeant socialiste, Mario Soares, était de loin la personnalité la plus populaire au Portugal. Deuxièmement, le dirigeant communiste, Alvaro Cunhal, bien que beaucoup moins populaire que Soares, était plus étroitement identifié à son propre parti que Soares ne l’était aux socialistes. Troisièmement, la principale préoccupation de l’électorat, après le coût de la vie, n’était pas l’aspect industriel de la révolution – la manière dont les travailleurs géraient l’industrie, par exemple – mais la mise en place d’un service national de santé et d’un régime de retraite adéquat. Ces deux éléments n’existaient pas au Portugal avant le coup d’État. Les socialistes devaient donc implanter dans l’esprit des gens le fait que Soares était le parti, ce qui impliquait d’organiser plus de rassemblements, y compris en dehors de Lisbonne, que n’importe quel autre parti ».[18]

Du point de vue de la classe dirigeante, le PC et le PS peuvent donc être considérés comme jouant des rôles complémentaires. Lorsque le niveau de la lutte des classes était élevé, dans les usines ou dans les rues, le PC jouait un rôle beaucoup plus crucial en tant qu’instrument de discipline et de contrôle des travailleurs. Mais lorsque l’attention s’est déplacée vers l’arène électorale, les socialistes ont été les opérateurs les plus efficaces.

Un avantage important qu’un parti social-démocrate possède sur un parti stalinien est sa capacité à coopter sur sa gauche. Un parti stalinien peut prendre des virages à gauche – comme le PC portugais l’a fait avec beaucoup d’efficacité à certains moments – mais il doit s’agir de virages bureaucratiques et disciplinés, qui peuvent être inversés dès que l’objectif tactique est atteint. Ce qu’il ne peut pas permettre, ce sont des individus, et encore moins des tendances, qui agissent librement à gauche de la ligne du parti.

Pour un parti social-démocrate, en revanche, une aile gauche peut être un atout. Dans un parti établi de longue date, comme le parti travailliste britannique, les relations entre la direction et la gauche sont harmonieuses et fonctionnelles. (Lorsque James Callaghan (1912 – 2005) attaque Tony Benn (1925 – 2014), il rassure simultanément (a) la bourgeoisie sur le fait qu’il n’aura rien à faire des idées de son aile gauche et (b) la gauche modérée sur le fait que Benn est une menace et que cela vaut la peine de rester dans le parti. Lorsque Benn attaque Callaghan, il rassure simultanément (a) la bourgeoisie sur le fait que Callaghan est un « modéré » et (b) la gauche électoraliste sur le fait qu’il y a encore un combat à mener).

Dans le tumulte du Portugal, la relation ne pouvait pas être aussi harmonieuse, mais la capacité de coopter à gauche était encore plus précieuse dans une situation où la poussée des travailleurs engendrait le gauchisme et l’ultra-gauchisme en quantités croissantes.

Dans les premiers mois qui suivirent la chute du fascisme, Soares fit en sorte que son visage gauche soit de loin le plus visible. Le PS était nettement plus favorable aux grèves que le PC, et c’est la gauche du PS qui a porté le fardeau principal de la construction d’une base du PS dans les syndicats. Le PS collaborait avec la gauche révolutionnaire dans certains syndicats et Soares parlait d’un « parti multi-tendances » qui pourrait inclure la gauche révolutionnaire.

En effet, le PS entretint pendant assez longtemps une relation de sympathie avec les maoïstes du MRPP (Mouvement pour la Réorganisation du Parti du Prolétariat)[19] dont le stalinisme hystérique ravivait la rhétorique de la Troisième Période du Komintern et la retournait contre le PC, de sorte que le PS apparaissait comme un allié acceptable contre les « sociaux-fascistes » d’Álvaro Cunhal (1913 -2005). La jeunesse du PS fut l’une des rares organisations à protester lorsque des centaines de membres du MRPP furent emprisonnés en mai 1975[20]. [Il ne fait aucun doute que cette relation avec le MRPP constituait un pont sur lequel le PS espérait attirer des sections de la gauche radicalisée.

Néanmoins, en raison de la volatilité de la situation, Soares ne pouvait pas donner trop de liberté à sa gauche. Lors du congrès du PS de décembre 1974, le groupe autour de Manuel Serra (1932 – 2010) accusa Soares d’avoir truqué les élections à la direction du Parti et scissionna pour créer le FSP (Front Socialiste Populaire).

Mais lorsque Soares forme son gouvernement à l’été 1976, il doit à nouveau montrer un visage de gauche. Deux ministères clés sont confiés à des personnalités identifiées à la gauche du Parti : le ministère du Travail est confié à Marcelo Curto (1939 – 2001) et l’Agriculture à António Lopes Cardoso, (1933-2000) l’homme de gauche le plus connu du Parti. Ils devront gérer les luttes clés autour du contrôle des salaires et de l’annulation de la réforme agraire.

Cette tactique n’a fonctionné qu’à moitié. Début novembre, la gauche du PS dénonce publiquement le programme d’austérité et Lopes Cardoso démissionne. Lors du congrès du Parti, qui se déroula à cette époque, la gauche fut exclue de la direction du PS. Les commissions du travail du Parti furent suspendues et, lors d’une réunion, le ministre du travail « de gauche », Curto, aurait fait intervenir les forces de sécurité pour y mettre fin[21]. (Lopes Cardoso a ensuite quitté le PS et a lancé, au début de 1978, un nouveau mouvement, la Gauche Socialiste et Démocratique).

Soares disposait d’un autre atout : ses liens étroits avec les principaux partis sociaux-démocrates d’Europe occidentale. Il les avait déjà cultivés pendant les années d’exil (le 25 avril 1974, Soares était à Bonn, en train de dîner avec le ministre social-démocrate de la Défense de l’Allemagne de l’Ouest).[22] Soares a sans aucun doute bénéficié de ces liens, qui lui ont apporté non seulement un soutien moral et politique, mais aussi un soutien pratique et financier. L’image d’être associé aux partis au pouvoir des pays scandinaves prospères a sans doute aidé Soares auprès des électeurs pauvres du Portugal.

Mais il serait erroné d’accorder trop d’importance aux influences extérieures. Ces influences ont sans aucun doute existé, mais elles n’ont pu agir que dans la mesure où Soares s’était constitué une base initiale de soutien à l’intérieur du Portugal.

De même, la CEE n’a pas commencé à offrir au Portugal l’aide susceptible de renforcer la position de Soares avant que les conflits internes ne soient en bonne voie de résolution. The Economist a commenté à la fois la lenteur et l’avarice de l’offre de la CEE :

« Après des mois d’hésitation, et le soir même de l’accord de ne pas rouvrir pour l’instant les négociations commerciales avec l’Espagne, les Neuf ont décidé lundi d’accorder enfin une aide d’urgence au Portugal. L’arrivée à Lisbonne, le mois dernier, d’un sixième gouvernement provisoire dirigé par l’amiral Pinheiro de Azevedo (1917 – 1983), débarrassé des officiers radicaux et comprenant les deux principaux partis démocratiques, a convaincu les Neuf que le Portugal était à nouveau sur la voie de la démocratie et qu’il méritait donc l’aide qu’on lui faisait miroiter depuis l’été. Le retour au poste de ministre des Affaires Étrangères du pragmatique Major Melo Antunes (1933 – 1999), qui était à Lisbonne pour rencontrer les Neuf, a sans doute contribué à pousser la CEE à faire une offre. Le montant en jeu – 180 millions d’unités de compte – est faible, presque indécent[23]. [C’est donc le prix que la CEE met sur la démocratie pluraliste », a fait remarquer un haut fonctionnaire de la CEE qui avait suivi de près la préparation de la proposition de la Commission, à savoir 700 millions d’unités de compte sur trois ans. »[24]

De même, Philip Agee (1935 – 2008) a affirmé à la fin de 1975 que la CIA « finançait directement ou indirectement les deux partis démocrates-chrétiens, ainsi que le PPD et le Parti Socialiste ». En d’autres termes, elle couvrait ses arrières. Comme le souligne Agee, « dans un pays donné, la CIA ne peut pas déterminer elle-même une chaîne d’événements, mais seulement la faciliter ».[25]

En résumé, Soares disposait d’un jeu de cartes assez médiocre. Une idéologie flexible, lui permettant de virer à gauche ou à droite, une technique électorale habile mais pas de véritable base ouvrière, un succès limité dans la cooptation à gauche et un peu – mais seulement un peu – d’aide de la part de ses amis à l’étranger : tout cela est loin de ressembler à un triomphe politique. La seule conclusion plausible semble être que Soares a réussi, non pas tant par ses propres mérites que par la défaillance de ses rivaux.

En sous-estimant Soares, nous avons eu tendance à surestimer à la fois la menace de l’extrême droite et le potentiel du PC. Il est certainement vrai qu’au cours de l’été 1975, plusieurs groupes d’extrême droite se sont regroupés et que la vague d’attaques contre le PC et d’autres organisations de gauche a sans aucun doute été orchestrée par des éléments ouvertement fascistes. Mais le rôle de l’extrême-droite était de harceler la gauche et de la repousser sur la défensive plutôt que de se poser en concurrent direct du pouvoir. Après tout, la classe dirigeante portugaise avait subi les inconvénients d’un régime autoritaire de droite pendant des décennies avant 1974, et les avait trouvés si intolérables qu’elle avait soutenu l’action militaire qui devait l’en débarrasser. Un retour au fascisme si tôt n’était guère une perspective attrayante. D’une part, il aurait réduit à néant les chances du Portugal d’entrer dans la CEE pour une très longue période.

L’exemple chilien n’était pas non plus une source d’inspiration pour la droite comme beaucoup de gens de gauche avaient tendance à l’imaginer. Le coup d’État de septembre 1973 a été une défaite catastrophique pour la classe ouvrière chilienne, mais il n’a guère été un succès absolu pour la bourgeoisie chilienne et ses soutiens américains. L’économie chilienne est confrontée à un chaos persistant et même les politiciens conservateurs sont embarrassés par leur association étroite avec le Chili. Le Portugal a clairement appelé à une stratégie alternative, si tant est qu’il en existe une. Comme l’a écrit le New York Times après la chute de Spinola en septembre 1974 :

« Pour les États-Unis, la seule solution consiste à répondre avec sympathie et générosité aux besoins réels du Portugal en matière de développement économique et de participation à l’économie mondiale. À l’époque de la guerre froide, on aurait pu être tenté d’intervenir, ouvertement ou secrètement, pour contrer les tendances « gauchistes ». Ce pays a certainement appris suffisamment du passé récent et plus lointain pour comprendre que de telles interventions seraient téméraires et futiles ».[26]

Le modèle chilien était réel dans l’esprit de nombreux protagonistes de la gauche. Ainsi, pour le PRP :

« Nous avons étudié la situation chilienne. Nous avons détecté des moments cruciaux dans la situation. Le processus révolutionnaire ne s’est pas développé à ces moments-là et la classe ouvrière a été vaincue. Nous pensons que nous nous trouvons actuellement dans l’un de ces moments cruciaux au Portugal. »[27]

Et pour Otelo de Carvalho (1936 – 2021) :

« Mais ce qui me préoccupe, c’est la possible chilénisation du Portugal en construisant des machines à tuer. Des machines à réprimer. Avec elles, ils peuvent déclencher un nouveau Chili. Cette crainte me hante. »[28]

Malheureusement, le principal effet de cette préoccupation pour les leçons du Chili a été de détourner l’attention de la source de la véritable menace.

Des sources anticommunistes à l’intérieur et à l’extérieur du Portugal ont suggéré en 1975 qu’il existait une menace réelle de prise de pouvoir par le PC. En réalité, une telle éventualité n’a jamais été envisagée. Il est vrai que le PC a joué un rôle crucial en 1974 en freinant les luttes des travailleurs d’une manière qu’aucun autre parti n’aurait pu faire. Mais pour convertir leur force réelle dans les usines et dans les rues en un potentiel de pouvoir, il aurait fallu une transformation totale de leur politique.

En fait, le PC avait bien plus besoin du PS que le PS n’avait besoin du PC. Au moment du renversement du fascisme, le PC était incommensurablement plus fort et mieux organisé que le PS. Le 25 avril 1974, il comptait déjà cinq mille membres ; c’était le seul parti à s’être organisé de manière cohérente pendant toute la période du fascisme et il jouissait d’un grand respect dans la classe ouvrière. Il se développa rapidement pour atteindre 100 000 membres. Il contrôlait fermement la centrale syndicale, l’Intersindical, et prit bientôt les rênes du gouvernement local dans quelque deux cents municipalités. Ainsi, sa force sur le terrain était incommensurablement plus grande que ne l’indiquaient ses performances électorales plutôt maigres. (En 1975, 12,53 % des voix, plus 4,12 % pour son proche allié, le MDP).

Mais pour réaliser le scénario politique auquel il était irrévocablement attaché, celui du Front Populaire, il avait besoin d’un Parti Socialiste qui servirait de pont entre lui et les partis ouvertement bourgeois. Dans les mois qui ont suivi avril 1974, le PC a mené une campagne active pour construire le Parti Socialiste, pour donner de la crédibilité à ses dirigeants, précisément dans le but de se construire un allié. Cunhal lui-même l’a admis un an plus tard :

« Je ne pense pas que, pour le moment, une coalition gouvernementale associant le MFA et d’autres partis puisse exclure le PS. De même, le PC ne pourrait pas être exclu. Une coalition entre le PC et ce qu’on appelle la gauche du MFA est très improbable ».[29]

Une manœuvre similaire s’est produite en 1976, lorsque le PC a déclaré qu’il aurait soutenu le général de droite Eanes pour la présidence, aux côtés du PS, si les partis de droite n’avaient pas soutenu Eanes.

Dans cette situation, Soares pouvait tenter de coopter le PC, sachant qu’il était dans une position politiquement avantageuse. Interrogé par Marcel Niedergang (1922 – 2001) du Monde sur le fait de savoir si le PC était l’ennemi principal, Soares a répondu :

« Pas du tout. Nous n’avons jamais considéré le PCP comme un ennemi. L’ennemi principal, le seul, c’est la droite qui complote et qui attend. Le Parti Communiste doit être associé au gouvernement mais il faut l’obliger à jouer le jeu de la démocratie. C’est possible ailleurs en Europe. Pourquoi pas au Portugal ? Je suis personnellement très proche de Santiago Carrillo, le secrétaire général du Parti Communiste Espagnol. »[30]

Le PC ne pouvait pas installer le capitalisme d’État au Portugal. L’établissement du capitalisme d’État, comme dans l’Europe de l’Est d’après 1945, exigeait non seulement l’absence virtuelle d’une bourgeoisie autochtone, mais aussi la passivité de la classe ouvrière. La solution péruvienne (un régime militaire de « gauche » sans participation formelle des partis, mais soutenu par le PC) n’était pas non plus possible. Cela aurait également nécessité une classe ouvrière passive. Il ne restait donc que la stratégie du Front Populaire. Mais le résultat était le même qu’en France et en Italie en 1944-47, (ou d’ailleurs comme dans l’expérience de l’Union de la Gauche dans les années 70 en France) ; les sociaux-démocrates utilisent le PC comme un moyen de construire leur propre soutien dans la classe, puis, quand le moment est venu, ils s’en débarrassent.

Il y avait, bien sûr, une autre alternative pour le Portugal en 1975 : la révolution prolétarienne. Ici, c’est le facteur subjectif qui faisait défaut ; aucune des organisations révolutionnaires du Portugal n’avait eu la volonté et la capacité de construire le parti de masse enraciné dans la classe qui était nécessaire pour une tentative de conquête du pouvoir.

Si ce compte-rendu de l’expérience portugaise est correct (et s’il ne l’est pas, j’espère que les camarades qui en ont une expérience plus approfondie que la mienne mettront le doigt sur les erreurs), il est possible de tirer quelques conclusions générales très provisoires :

a/ La social-démocratie a fourni un moyen plus efficace et plus économique de désamorcer une situation potentiellement révolutionnaire qu’un coup d’État à la chilienne. Dans les crises futures, nous pouvons nous attendre à ce que la social-démocratie soit l’arme préférée de la classe dirigeante.

b/ Pour les lecteurs malveillants, cela ne signifie pas que je remets au goût du jour la théorie du « social-fascisme ». La social-démocratie n’est pas « l’ennemi principal ». Ce que cela signifie, c’est que la gauche révolutionnaire doit faire très attention à préserver son indépendance politique et organisationnelle vis-à-vis de la social-démocratie afin d’offrir une alternative politique.

 c/ Au Portugal, la social-démocratie a réussi par défaut plutôt que par les mérites intrinsèques de son programme, de son idéologie ou de son organisation. Les travailleurs ont accepté le PS de manière pragmatique, faute d’alternative, plutôt que de s’engager positivement dans sa politique. Par conséquent, les stratégies politiques basées sur l’exposition des sociaux-démocrates ou sur leurs exigences ont peu de chances d’être efficaces.[31]

d/ Il ne s’agit pas d’exclure la stratégie du front unique à l’égard des travailleurs au sein ou autour des partis sociaux-démocrates. Mais cela signifie que ces fronts uniques doivent commencer par des luttes quotidiennes concrètes, et non par des formulations programmatiques grandioses ou des slogans gouvernementaux.

e/ Le niveau phénoménal de la lutte au Portugal en 1974-75 a été le fait d’une classe ouvrière qui, en raison des longues années de fascisme, avait été à peine touchée par le réformisme. (En Espagne, où l’organisation de la classe ouvrière s’était beaucoup plus développée sous Franco, la transition du fascisme à la démocratie bourgeoise a été moins explosive). Mais l’atteinte de tels niveaux de lutte ne signifie pas que les travailleurs portugais ont contourné le réformisme ou qu’ils en sont définitivement immunisés. Le pouvoir de cooptation du réformisme ne doit jamais être sous-estimé.

 f/ Il peut y avoir des parallèles avec d’autres aspects de la lutte des classes. Par exemple, en Grande-Bretagne, au cours des dernières années, les luttes les plus intenses ont été menées par des sections de la classe – les femmes, les Noirs, les jeunes – qui ont été relativement peu touchées par le réformisme, si profondément enraciné dans la classe ouvrière britannique. Ces luttes ont été d’une importance considérable. Mais il faut se garder de croire qu’une partie de la classe est définitivement immunisée contre le réformisme. Un mouvement révolutionnaire qui sous-estime le pouvoir du réformisme en paiera le prix fort.

*

Ian Birchall (né en 1939) est un historien et traducteur marxiste britannique, membre du Socialist Workers Party durant plus de 50 ans jusqu’en décembre 2013. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages, notamment sur la gauche française, dont plusieurs ont été traduits par Contretemps.

Ancien maître de conférences en français à l’université de Middlesex, ses recherches portent sur le Komintern, la classe ouvrière internationale, le communisme et le trotskisme, la France et le syndicalisme, Babeuf, Sartre, Victor Serge et Alfred Rosmer.

Il a fait partie du comité de rédaction de Revolutionary History, et a été membre du London Socialist Historians Group. Il est l’un des 20 auteurs de Poets for Corbyn (août 2015), une anthologie de poèmes soutenant la campagne de Jeremy Corbyn lors de l’élection à la direction du Parti travailliste.

« Grim and Dim » est son site web.

Notes

[1] C. Harman, Portugal : the latest phase, International Socialism 1 :83, p. 9.

[2] C. Harman, The crisis of the European revolutionary left,  IS 2:4, p. 54.

[3] J’ai formulé le point ainsi pour éviter ce qui me semble être des arguments essentiellement sémantiques sur ce qui constitue une situation « révolutionnaire » ou « pré-révolutionnaire ». (Trotsky a traité de façon cinglante  » les savants médecins de l’Internationale communiste qui ont un thermomètre qu’ils mettent sous l’aisselle de la vieille femme qu’est l’Histoire et par ce moyen déterminent infailliblement la température révolutionnaire ». Où va la France ?.

[4] Exprimé dans d’innombrables articles dans Socialist Worker, International Socialism et dans diverses brochures. La déclaration la plus complète est celle de T. Cliff, Portugal at the Crossroads, IS Special, 1 :81-82.

[5] Communiqué de presse publié après que les délégués de Internation Socialists se sont retirés d’une Conférence Internationale organisée début novembre 1975 par Lutte Ouvrière. Reproduit entre autres dans Intercontinental Press (ci-après ICP), 2 février 1976, p. 143.

[6] Socialist Worker, 26 juillet 1975, p. 7 et 20 septembre 1975, p. 1.

[7] T. Cliff, Portugal at the Crossroads, p. 17.

[8] Revolução, 17 novembre 1975 et Isobel de Carmo à la conférence de presse du 10 novembre 1975 ; tous deux cités ICP, 22 décembre 1975, p. 1804.

[9] I. Birchall, April Dream in Portugal, IS 1 :69, p. 17 (cet article, paru sous mon nom, était en fait presque exclusivement basé sur un entretien avec un militant portugais en exil).

[10] Notes of the Month, IS 1 :101, p. 7.

[11] Pour quelques réflexions générales sur le problème, voir I. Birchall, Social Democracy in Europe, SWP International Discussion Bulletin, 7/8, p. 21.

[12] Diario de Lisboa, 3 septembre 1974, cité ICP, 14 octobre 1974, p. 1320.

[13] Cité ICP, 3 février 1975, p. 132.

[14] Cité ICP, 31 mars 1975, p. 424.

[15] Interview dans Le Monde 4, 23 octobre 1975.

[16] ICP, 17 novembre 1975, p. 1576.

[17] Colin Sparks, Socialist Worker, 26 juillet 1975. Certains lecteurs peuvent penser que ce rapport n’est pas objectif, étant entaché par l' »ouvriérisme » dont on dit généralement qu’il caractérise la Tendance IS. Mais comparez le compte-rendu suivant de la manifestation du PS du 2 mai 1975, par Gerry Foley (1939 – 2012), un partisan de Joe Hansen dans la Quatrième Internationale, qui a été généralement tendre avec le Parti Socialiste (voir la note 31 ci-dessous) : La composition de classe de la manifestation semblait assez hétérogène. Il y avait beaucoup de jeunes, quelques travailleurs, mais la foule semblait largement appartenir à la classe moyenne. Certains des hommes du cordon qui entourait la foule portaient des mallettes. Les foules du PC que j’ai vues étaient également composées en grande partie de membres de la classe moyenne, mais semblaient compter davantage de militants ouvriers. (ICP, 19 mai 1975, p. 651)

[18] Équipe Insight du Sunday Times, Insight on Portugal, Deutsch, Londres, 1975, p. 234.

[19] Jean-Pierre Faye, dans son ouvrage Portugal : la révolution dans le labyrintheLattès 1976, basé sur les travaux du Comité Russell pour le Portugal, suggère indirectement que le MRPP faisait partie d’une manœuvre consciente contre la gauche (pp. 87-90). Il n’est pas nécessaire d’accepter cela pour convenir que le rôle objectif du MRPP était certainement d’affaiblir la gauche révolutionnaire et de renforcer le PS.

[20] ICP, 30 juin 1975, p. 899.

[21] ICP, 29 novembre 1976, p. 1717.

[22] Faye, op. cit. p. 51.

[23] De l’ordre de 75 millions de livres sterling.

[24] The Economist, 11 octobre 1975, p. 50.

[25] Faye, op. cit. pp. 190, 195.

[26] Éditorial, 2 octobre 1974, cité ICP, 14 octobre 1974, p. 1319.

[27] Portugal : the views of a PRP leader, IS 1 :80, p. 20.

[28] Faye, op. cit. p. 49-50.

[29] Interview dans Le Monde. 27 mai 1975, cité ICP, 16 juin 1975, p. 812.

[30] Le Monde, 3 octobre 1975, p. 3.

[31] Un cas typique est la réponse aux événements portugais du Secrétariat Unifié de la IVe Internationale. Le Secrétariat Unifié est divisé en deux grandes tendances que l’on peut qualifier de « pro-Hansen « (basée sur le SWP américain) et de « pro-Mandel  » (basée sur les sections ouest-européennes du SU). La division entre ces deux tendances est accentuée par le conflit autour du journal Republica. Au printemps 1975, les ouvriers du journal ont occupé les presses parce que la ligne pro-PS du journal (bien qu’il ne s’agisse pas du journal officiel du PS) entraînait une baisse des ventes. Bien que le MFA ait accepté que le journal soit rendu à son propriétaire, Raul Rego, membre du PS, il n’a pas voulu – ou pas pu – accéder à la demande de Soares de recourir à la force militaire pour mettre fin à l’occupation. Soares quitta alors le gouvernement et commença à mobiliser des manifestations contre la ligne gouvernementale. À partir de ce moment, l’aile pro-Hansen a commencé à développer une position suiviste presque sans critique du PS. Une déclaration typique est celle d’un certain Gerry Foley :  Ce qui est certain, c’est que la véritable avant-garde de la classe ouvrière portugaise a participé aux manifestations du PS. L’avant-garde prolétarienne ne se trouve pas parmi les ultra-gauchistes qui ont suivi l’ombre du « pouvoir populaire » dans l’isolement et se sont même permis d’être utilisés par les démagogues militaires comme des pions dans une campagne visant à priver les masses de leurs droits démocratiques. Les sections les plus intelligentes, les plus conscientes de leur classe et les plus courageuses du prolétariat n’étaient pas non plus aux côtés des myrmidons staliniens mobilisés pour chanter les louanges des dirigeants militaires et contribuer à priver la majorité de la classe ouvrière du droit de manifester.  Les sections les plus courageuses et les plus indépendantes du prolétariat portugais ont bravé la démagogie furieuse des médias contrôlés par les staliniens, les menaces physiques des militaires et les anathèmes déments des ultra-gauchistes, pour démontrer leur détermination à ne pas être intimidés ou trompés pour renoncer à leur droit à la liberté politique, à leur droit de décider eux-mêmes qui dirigera le pays et les organisations de travailleurs. Le Parti Communiste étant le principal soutien de l’attaque militaire contre les droits démocratiques des masses, il était inévitable que de telles mobilisations de masse expriment des sentiments anticommunistes. Objectivement, cela n’était certainement pas plus réactionnaire que les dénonciations faites par les staliniens et les ultra-gauchistes contre les partisans du PS comme « réactionnaires », « pro-impérialistes », « ennemis du peuple », et ainsi de suite. En fait, le sentiment anticommuniste dans les manifestations du PS était moins rétrograde, puisqu’il s’agissait d’une réaction à des efforts réels de répression de la part du Parti Communiste et de ses alliés. La dénonciation dogmatique des staliniens et des ultra-gauchistes se résumait à une campagne démagogique de défense du régime militaire« . (ICP, 4 août 1975, p. 1114). Un tel sous-maccarthysme était trop lourd pour les estomacs mandéliens. Une véritable « bataille de géants » éclata dans la presse publique. Les trois textes majeurs sont : Pierre Frank, Livio Maitan et Ernest Mandel : In Defence of the Portuguese Revolution, ICP, 8 septembre 1975, pp. 1167 et suivantes ; Gerry Foley, Joseph Hansen et George Novack : For a Correct Political Course in Portugal, ICP, 13 octobre 1975, pp. 1355 et suivantes ; Frank, Maitan et Mandel : Revolution and Counterrevolution in Portugal, ICP, 15 et 22 décembre. 1975, pp. 1768 et suivantes. Mandel et ses amis ont commenté, avec une certaine justesse, que la ligne de Joe Hansen, « si elle persiste, … pourrait sérieusement discréditer le trotskysme aux yeux des travailleurs avancés, non seulement au Portugal même, mais dans toute l’Europe capitaliste« . (ICP, 8 septembre 1975, p. 1167) Hansen et ses amis ont répondu, tout aussi correctement, que dans la situation actuelle au Portugal, les deux ailes du parti soi-disant « centraliste démocratique » de la révolution mondiale pourraient se retrouver de part et d’autre des barricades : « … L’application de la force est inhérente à de telles situations …. Des crânes peuvent être brisés. » (ICP, 13 octobre 1975, p. 1392) Cependant, une fois la rhétorique terminée, il semble que les deux tendances ne soient pas si éloignées l’une de l’autre. Toutes deux étaient prêtes à aller assez loin dans le suivisme à l’égard des réformistes. Au Portugal, il y avait deux sections sympathisantes du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, la LCI (Ligue Communiste internationaliste) pro-Mandel et le PRT (Parti Révolutionnaire des Travailleurs) pro-Hansen. Lors des élections d’avril 1976, les deux organisations publièrent des déclarations distinctes à l’intention des électeurs. La LCI déclarait : « Nous exigeons que le PC et le PS assument leurs responsabilités en formant un gouvernement sans représentants de la bourgeoisie » (ICP, 26 avril 1976, p. 713). Ils ne précisent pas quelles sont ces responsabilités. S’agit-il des « responsabilités » définies par les directions des partis réformistes, ou plutôt des responsabilités qui incombent au « type idéal » d’un « parti ouvrier » ? Le PRT avait un slogan légèrement différent : « Si vous voulez un gouvernement qui représente la volonté des camarades du PS et du PC, si vous voulez un gouvernement du PS sans capitalistes ni généraux, votez pour le PRT » (ICP, 26 avril 1976, p. 714). Aucun conseil n’est donné à l’électeur simple d’esprit qui pourrait répondre : « Ne serait-il pas plus simple de voter pour le PS ? » Derrière les différentes formulations se cachait la même préoccupation, à savoir que la tâche des révolutionnaires était de mettre les réformistes au pouvoir précisément au moment où les réformistes étaient sur le point d’enlever les vestiges du pouvoir que les travailleurs avaient conquis dans leurs luttes au cours des deux années précédentes. La conclusion grotesque est venue avec les élections présidentielles. La LCI et le PRT se sont unis pour présenter une candidate (qui s’est retirée avant le scrutin pour des raisons non politiques). Dans son programme, « elle promet que si elle est élue, elle fera appel au secrétaire général du PS, Mario Soares, ou à un dirigeant du PS choisi par le parti pour former un gouvernement représentant la volonté de la majorité des travailleurs« . (ICP, 24 mai 1976, p. 847) En bref, dans le cas improbable où une trotskiste aurait été élue présidente, elle aurait – à quelques détails près – nommé le même Premier ministre que celui nommé par le général Eanes. D’autres commentaires semblent superflus.

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