La Commune au jour le jour. Jeudi 20 avril 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps va publier du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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L’essentiel de la journée
Situation militaire
Au sud : Vanves, Issy et Clamart, rien de nouveau, les forts canonnent et sont canonnés.
À l’ouest : Neuilly, à Asnières, le combat continue, sans presque de relâche.
A la suite des combats engagées depuis deux semaines, la porte Maillot et les remparts sur lesquels elle s’appuie ne sont plus que des ruines, celle des Ternes est très endommagée. Les obus du Mont Valérien ne cessent d’éclater en deçà et au-delà des remparts Un obus versaillais est tombé sur une maison où se trouvaient des fédérés à Clichy, et l’explosion a fait de nombreuses victimes.
Un journal allemand, le Staatsanzeiger, donne la répartition des troupes allemandes dans les départements français soumis à l’occupation :
Pour ce qui concerne Paris, l’armée de la Meuse (6e et 11e corps bavarois et 4e division de cavalerie) occupe les départements de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise, ainsi que les forts de Nogent, de Rosny, de Noisy et de Romainville, la deuxième armée (3e, 9e et 10e corps, 2e et 6e divisions de cavalerie), occupe les départements de la Haute-Marne, et aussi de l’Aube et de la Côte-d’Or.
Témoignage de Martial Senisse, 20 ans, maçon limousin
[…]
Je me suis rendu au rempart par la porte des Ternes et je me suis trouvé pris sous un affreux bombardement. Toutes les maisons du quartier tremblaient, les volets étaient arrachés, et les habitants terrés dans les caves demeuraient invisibles. J’avançais à travers une ville déserte.
Dans les fortins, le spectacle est encore plus terrible. De nombreux cadavres restent sur place sans que personne ne se préoccupe de les faire enlever. Pendant un quart d’heure, du haut des murailles, j’ai regardé Neuilly où les obus pleuvaient sans interruption. Cette localité a déjà connu les exploits de la poignée d’hommes qui, sous le commandant de Dombrowski, tient en échec depuis plusieurs jours tout un corps d’armée. Quatre locomotives blindes, installées sur le viaduc du Point-du-Jour, concentrent leur tir sur les batteries d’artillerie versaillaises. Les canonnières qui évoluent sur la Seine bombardent Saint-Cloud et Breteuil. Je les ai même vu s’avancer à découvert pour pouvoir atteindre Meudon.Il paraît que de terribles combats se déroulent devant Bagneux que les Versaillais ont repris aujourd’hui.
[…] De nombreux Parisiens continuent à fuir la capitale. On évalue à 700 000 le nombre de ceux qui ont réussi à quitter la ville depuis quinze jours. La gare de Saint-Denis est encombrée, dit-on, de tous ceux qui ne savent où aller.
Nouveaux jugements de la Cour Martiale
Deux officiers, un capitaine et un lieutenant ayant suivi leurs hommes qui refusaient de retourner aux tranchées alors qu’ils venaient d’y passer six jours et nuits sans abri, ne pouvant réparer leurs armes, sont condamnés à la destitution et à trois et an de prison.
Un Caporal est condamné à 10 ans de travaux forcés pour vol d’effet d’habillement dans une maison habitée.
Désignation de la Commission exécutive
Le fonctionnement mis en place après le 26 mars s’organisait autour de l’assemblée et de la commission exécutive avec des commissions au fonctionnement collectif.
Un certain nombre de membres trouvait la Commission exécutive trop peu énergique, et désirait la voir remplacer.
Il a été décidé que la Commune nommera à chaque commission un délégué unique et responsable ayant tous pouvoirs pour prendre seul les mesures nécessitées par la situation sous le contrôle de la Commission et de la Commune. On en revient donc à un fonctionnement moins collectif, dans lequel les responsabilités individuelles sont clairement établies.
La conception nouvelle du pouvoir exécutif, présentée par le citoyen Delescluze, dans lequel la commission exécutive, qui assure cette fonction, sera composée des délégués élus, est adoptée par 47 voix contre 4 :
La Commune arrête :
1/ Le pouvoir exécutif est et demeure confié, à titre provisoire, aux délégués réunis des neuf commissions, entre lesquelles la Commune a réparti les travaux et les attributions administratives ;
2/ Les délégués seront nommés par la Commune, à la majorité des voix ;
3/ Les délégués se réuniront chaque jour, et prendront, à la majorité des voix, les décisions relatives à chacun de leur département;
4/ Chaque jour ils rendront compte à la Commune, en comité secret, des mesures arrêtées ou exécutées par eux, et la Commune statuera.
Les neuf commissions sont : Guerre, Finances, Subsistances, Justice, Instruction publique, Services publics, Sûreté générale, Travail et échange, Relations extérieures.
Après débat sur les modalités de vote, il est décidé qu’il s’effectuera par liste à bulletin ouvert, chacun s’engageant personnellement sur son vote.
Lors de ce vote, ont été nommés pour composer la commission exécutive, les citoyens dans sept commissions ; il reste à nommer les délégués aux services publics et au travail et échange, la majorité absolue n’ayant pas été atteinte par les candidats. Un second vote à main levée nomme les deux derniers membres.
La commission exécutive est donc ainsi composée :
Guerre : Cluseret, 42 voix
Finances : Jourde, 33 voix
Subsistances : Viard, 30 voix
Relations extérieures : Paschal Grousset,27voix
Travail et échange : Frankel, élu au deuxième tour
Justice : Protot, 47 voix
Services publics : Andrieu, élu au deuxième tour
Enseignement : Vaillant, 27 voix
Sûreté générale : R. Rigault, 29 voix
Quatre sont membres de l’Internationale, Cluseret, Frankel, Vaillant et Protot (ces deux derniers étant également blanquistes), auxquels s’ajoute un blanquiste non membre de l’Internationale, Raoul Rigault.
Voici les photos de certains de ces élus, dans l’ordre, Jourde, Paschal, Grousset, Frankel, Protot, Andrieu, Vaillant et Rigault.
Reste à décider demain de la reconstitution des commissions.
Témoignage de A. de Balathier Braguelonne, journaliste hostile à la Commune
Dans l’après-midi du 20 avril les gardes nationaux de la commune se sont présentés à l’imprimerie Dubuisson pour s’opposer à l’impression du Bien public et de l’Opinion nationale. Les portes de l’imprimerie ont été occupées militairement du côté de la rue du Coq Héron et du côté de la rue d’Argout pendant plus de 2 heures ; les personnes même étrangères à la maison ont été de la sorte retenue prisonnières…
Un commissaire de police, suivi d’un piquet de 4 hommes, c’est transporté dans le bureau de Monsieur Dubuisson, où il est resté assez longtemps en conférence. Pendant ce temps-là, le Bien Public et l’Opinion nationale, qui étaient déjà sous presse, continuaient à s’imprimer. Les marchands achetaient et payaient les numéros dont ils avaient besoin. Mais la plupart d’entre eux étaient arrêtés aux portes de sortie par des factionnaires…
Pendant ces épisodes le commissaire de police achève de s’expliquer dans le cabinet de Monsieur Dubuisson, et l’ordre d’arrêter le tirage des deux journaux est transmis aux imprimeurs. Les formes sont remontés dans les ateliers…
Vers onze heures, lorsque toute la maison rentre dans le repos, une nouvelle escouade de gardes nationaux arrive.
Elle se transporte dans les ateliers du Bien Public, de l’Opinion Nationale et du Soir. On met en pâte, comme disent les typographies, la composition de ces trois journaux. Mettre en pâte la composition d’un journal, c’est mêler et embrouiller d’une façon inextricable les milliers de caractères dont se compose une feuille d’impression. Il devient alors impossible de se reconnaître dans ce chaos. Les caractères sont bon à jeter à la fonte.Pendant qu’on faisait ce bel ouvrage un commissaire de police se transporte à l’appartement particulier… on vient arrêter monsieur Dubuisson.
Les conciliateurs toujours en action
La Ligue d’Union républicaine des Droits de Paris affiche et publie une déclaration dans laquelle elle indique avoir présenté son programme à Thiers et à la Commune de Paris. Elle constate que les déclarations de Thiers n’offrent pas de garantie « ni pour le maintien de la République ni pour l’établissement des libertés communales; en un mot, pour aucune de nos revendications ». Elle estime que la Commune, « en ne formulant pas son programme et en refusant de s’expliquer sur le nôtre, enlève aux défenseurs des droits de Paris les avantages d’un terrain nettement circonscrit ».
Ils restent convaincus que la seule issue possible du conflit est dans la transaction. Ils sont décidés à se mettre en rapport avec les conseils municipaux des principales villes de France.
A l’Assemblée de Versailles, M. J. Brunet demande, pour mettre fin à la guerre civile, que l’Assemblée se déclare prête à traiter avec Paris, cède aux veux légitimes de la capitale, et fasse cesser de suite toute attaque. Il est interrompu par toutes sortes d’exclamations et sa proposition est repoussée.
Dans une réunion qui a eu lieu à la salle Valentino, et à laquelle assistaient environ 1 000 citoyens, presque tous commerçants et industriels, la motion suivante du citoyen Blanchon a été votée à l’unanimité, moins quatre voix : « La ligue de l’Union républicaine des droits de Paris déclare qu’elle reconnaît les principes proclamés par la Commune comme justes et légitimes. »
Interdiction du travail de nuit des boulangers !
Cette mesure était réclamée depuis deux ans par les ouvriers boulangers. Le 19 janvier 1871, Tabouret membre du comité de la Chambre syndicale des ouvriers boulangers était intervenu en ce sens à la réunion du Conseil fédéral des sections parisiennes de l’Internationale :
« le travail infligé aux ouvriers boulangers est oppressif. Il se fait la nuit sans nécessité ; cela nous sépare de la société et de la famille. Dormant pendant le jour, nous vivons comme retranchés du monde »
Le 8 avril 1871, il avait fait partie des signataires d’une lettre de délégués des ouvriers boulangers à la Commune de Paris, demandant l’abolition du travail de nuit et des placeurs. La commission d’initiative installée auprès de la commission du travail le 5 avril dernier, composée de 9 membres[1]( dont au moins six sont membres de l’Internationale) avait déjà travaillé sur un projet de texte, polissé par le secrétaire de cette commission d’initiative, un autre membre de l’Internationale, l’ouvrier fondeur Bertin. Tout était prêt.
Aujourd’hui, les ouvriers boulangers sont venus à près de deux mille à l’Hôtel de ville, précédés d’un drapeau rouge, pour demander à la Commune de ne pas travailler la nuit. Sur le champ, la commission exécutive a pris un arrêté leur donnant satisfaction. Il a vocation à s’appliquer rapidement et il est prévu la saisie des pains des patrons contrevenants.
Il est accueilli avec gratitude par la corporation des boulangers.
Sur les justes demandes de toute la corporation des ouvriers boulangers,
La commission exécutive
ARRÊTE :
Art. 1er. Le travail de nuit est supprimé.
Art. 2. Les placeurs institués par l’ex-police impériale sont supprimés. Cette fonction est remplacée par un registre placé dans chaque mairie pour l’inscription des ouvriers boulangers. Un registre central sera établi au ministère du commerce.
Paris, le 20 avril 1871.
La commission exécutive : COURNET, A. VERMOREL, G. TRIDON, DELESCLUZE, FÉLIX PYAT, AVRIAL, E. VAILLANT.
Sur l’organisation du Travail
Chambre fédérale des Sociétés ouvrières :
Les délégués des Sociétés ouvrières sont instamment priés d’assister à la réunion de la Fédération du jeudi 20 courant, 8 heures précises du soir.
Il y a urgence.
Communication des délégués de la sous-commission du travail, rapports sur les différents projets soumis à la commission du travail et de l’échange.
Nous soussignés, défenseur convaincu des droits de Paris dont la commune doit plaider et gagner la cause humanitaire, avons l’honneur de vous signaler les abus suivant dont l’abolition radicale nous paraît rentrer dans les attributions du socialisme.
Les garçons de café et de restaurants appartenant tous à la classe laborieuse, défendant la République démocratique et sociale contre les tentatives de la réaction, sont depuis trop longtemps exploités par leur patron qui prélève arbitrairement sur le pourboire donné par le consommateur la moitié des bénéfices qu’ils affectent au salaire des employés de la maison. Ces pourboires servent en outre à payer les dégâts matériels dont les pauvres gars ont supporté seul les injustes conséquences…
Nous espérons, citoyens, qu’en vertu d’un décret que nous attendons de votre fraternité éclairée, les garçons de café et de restaurant toucheront désormais à un seul, exclusivement, les modestes bénéfices du pourboire dont la destination jusqu’à présent a toujours été contraire aux principes républicains[2]
Du côté des clubs
Club de la rue d’Arras
C’est le siège du Comité des femmes, inspiré et créé par Jules Allix. Dès octobre 1870, les femmes réclament l’organisation « d’ateliers communs pour donner le travail commun aux femmes » et « l’autorisation de fonder et d’équiper une légion de femmes armées pour la défense directe ».
Le 28 février, une réunion institue une première commission « pour la distribution du service qui sera fait tant, pour la défense intérieure de l’arrondissement (Ve) que pour assurer la stricte observation de la partie du traité relatif à l’occupation partielle de Paris, commission composée de Lesénéchal (21e), Da Costa (118e), Longuet Charles (248e), Ledroit (161e), Jourde (160e), etc.
Tous les soirs, le sujet « Capital et travail » est abordé sous diverses formes, par exemple à la réunion du 30 mars, est discuté le sujet « Capital et travail. Moyens politiques d’organisation ».[3]
En bref
La Commune de Paris a décidé d’organiser sous le contrôle direct de la Commission exécutive une compagnie d’aérostiers civils et militaires composée provisoirement d’un capitaine, d’un lieutenant, d’un sous-lieutenant, d’un sergent, de deux chefs d’équipe et douze aérostiers. Sa tâche sera de recenser et d’inventorier les ballons disponibles. Ils devraient servir dans la guerre pour les observations aérostatiques militaires, et pour faciliter les échanges de nouvelles, journaux, correspondances privées, toutes communications intellectuelles entre Paris et les départements, pour que la vérité, les actes et les intentions de la Commune soient connues partout malgré Versailles.
Le Ministère de l’agriculture et du commerce informe qu’il nous est arrivé hier par une des gares un convoi de 600 bœufs, et qu’il en arrive tous les jours une quantité suffisante pour l’alimentation.
Le Mot d’ordre réclame la démolition de la chapelle expiatoire de Louis XVI, cet édifice grotesque élevé sous Louis XVIII au 29 rue Pasquier à l’emplacement de l’ancien cimetière de la Madeleine, qui insulte la Convention nationale qui, à l’unanimité, a déclaré le roi coupable d’avoir appelé l’étranger en France. C’est une protestation contre la République, et la République ne devrait plus selon le Mot d’Ordre tolérer cela plus longtemps.
Publié au Journal Officiel
Meeting de Londres pour la Commune de Paris
Dimanche 16 avril, un meeting populaire était convoqué dans Hyde Park, à Londres ; une grande manifestation de la Ligue démocratique en faveur de la Commune de Paris.
Trente ou quarante mille citoyens ont répondu à l’appel. Le Times constate, non sans regret, que le nombre des paletots l’emportait sur celui des blouses. Plusieurs orateurs ont parlé avec autant d’énergie que de conviction ; puis l’assemblée a voté par acclamations cette adresse de félicitations à la Commune de Paris :
Frères,
Nous vous saluons, au nom de la République universelle, et nous vous remercions du fond de notre cœur pour la grande œuvre que vous accomplissez en ce moment, au nom de la liberté et pour la défense de vos droits communaux.
Nous vous saluons comme pionniers et les constructeurs d’un nouvel état social, tandis que nous regardons vos adversaires, les hommes de Versailles, comme les dignes émules de l’homme de Décembre, lâches instruments des despotes de l’Europe. Elus pour la plupart par des campagnes encore sous le joug des prêtres romains et des baïonnettes prussiennes, pour décider seulement les conditions de la paix, ils ont accompli leur mission par la vente honteuse qu’ils ont faite d’une partie de vos compatriotes aux hordes du Nord. Néanmoins, ils veulent encore exercer l’autorité ainsi usurpée, et ils osent s’arroger le droit de vous maîtriser et de vous opprimer.
Malgré les efforts de nos gouvernements aux abois, d’accord avec les félons de Versailles pour appeler l’intervention étrangère et amener l’anéantissement de vos droits, nous, le peuple de Londres, assurés que vous combattez pour la liberté et l’affranchissement du genre humain tout entier, nous vous tendons la main de l’amitié et de la fraternité.
Nous regardons votre proclamation de la Commune et de l’autonomie (selfgovernment) comme la résurrection de cette ère glorieuse de votre histoire où la Constitution de 93 (articles 58, 59 et 60) mit le gouvernement direct du peuple par le peuple entre les mains des Communes d’alors.
Nous nous réjouissons de voir qu’au milieu de tant de difficultés, d’obstacles et de luttes, vous délibérez néanmoins sur d’importantes questions de réforme sociale, toutes intimement liées à la chose publique. Nous n’avons qu’un regret, c’est que notre éducation politique, de ce côté du détroit, ne soit pas encore assez complète pour nous entraîner à suivre votre noble exemple.
Après la lecture et le vote unanime de cette adresse, le meeting s’est séparé aux cris mille fois répétés de : Vive la République universelle !
En débat. Notre révolution
Tribune de Pierre Denis, extraits d’une parution dans Le Cri du Peuple
Quelques mots de présentation de l’auteur : journaliste, ancien employé, âgé de 31 ans, il est membre de l’Internationale. C’est un actif militant proudhonnien présenté par son ami Vallès comme « un sobre, un simple, qui vit de café noir, de caporal et de pain bis ». Il a d’abord été partisan de la conciliation avec Versailles, mais le refus de Thiers de toute négociation l’a fait basculer dans le camp de la guerre à outrance.
« La révolution commencée le 18 mars n’est pas seulement une révolution politique, c’est encore et surtout, une révolution sociale.
C’est pour cela que la lutte se poursuit avec tant d’énergie, de patience, d’ardeur opiniâtre, de vigueur passionnée.
C’est à la fois une guerre de religion et une guerre d’intérêt.
C’est le combat du vieux monde contre le nouveau, de la tradition monarchique, gouvernementale, pontificale, propriétaire et militaire, contre l’idée de liberté, d’individualisme, d’association, de contrat, de solidarité, contre tout ce que la science positive a affirmé et découvert.
C’est la révolte du conquis contre le conquérant, du serf contre le seigneur, de l’industrie urbaine contre la féodalité terrienne ou financière.
Devant cette révolution sociale, la bourgeoisie a hésité un instant.
Un instant même, elle a cru devoir se montrer hostile et prendre parti pour Versailles, au nom de l’ordre que personne ni rien de troublait, contre Paris et la révolution.
Aujourd’hui elle doit être convaincue que cette révolution est le salut, qu’elle seule peut nous donner non seulement la liberté véritable, mais encore les certitudes d’ordre, de sécurité durable, de régularité et d’économie, dont les sociétés modernes, la société française plus que tout autre, ont besoin pour grandir et devenir glorieuses ou prospères.
Elle doit être convaincue, elle l’est.
Cette Révolution sociale a pour but, non pas de plier sous le joug d’un communisme dictatorial et intolérable toutes les intelligences, toutes les aptitudes, mais de donner leur vol à toutes les initiatives, leur essor à toutes les facultés.
Elle ne songe pas à retourner le monde, à faire du riche un pauvre, du patron un salarié, mais à rétablir partout l’égalité ou l’équilibre, à faire participer tous les citoyens aux richesses communes, aux avantages sociaux, à abolir le salariat en faisant de tous les producteurs où échangistes des commanditaires et des associés, propriétaires de leurs instruments de travail ou d’une part indivise du capital social.
Tout le monde, bourgeois, ouvriers, employés, est presque également intéressé à cette Révolution, à la fois réparatrice et créatrice.
[…]
Il s’agit d’une réforme plus positive, plus radicale. Il s’agit non pas d’être gouverné par tel ou tel maître, par telle ou telle classe, mais de n’être plus gouverné, de diminuer l’autorité et le pouvoir de l’État pour augmenter la liberté et le pouvoir du citoyen. Il s’agit d’amener l’effacement des classes par l’extinction du paupérisme, d’assurer l’indépendance civique par l’indépendance économique, d’en finir avec l’exploitation par la propagation de l’enseignement, de l’association et du crédit ; d’augmenter le bien être de chacun, la richesse publique, l’activité de la circulation par la diminution des frais généraux, l’utilisation de toutes les aptitudes, et la suppression de tous les emplois ou fonctions dont l’utilité n’est pas incontestablement démontrée.
Il s’agit de ne plus prélever sur le salaire du producteur, sur le prix du produit consommable, une prime destiné à payer le luxe et les prodigalité de l’État, des subventions tantôt stériles tantôt honteuses, des garanties au privilège, des traitements à toutes les fainéantises, à toutes les prétentions ou à toutes les servilités politiques, aux créatures du népotisme, aux serviteurs ou complices des fractions de parlementaires.
Voilà ce qu’on trouve au fond de cette révolution préparée par 60 ans de despotisme centralisateur, de corruption, d’exploitation, de gaspillage, d’oppression, de réaction, de misère et de désastres.
[…]
Cette révolution est donc celle des contribuables de tout ordre contre les subventionnés du budget, celle des administrés souverains contre ceux qui prétendent à la confiscation de la souveraineté, ils font de la politique leur fortune comme le prêtre fait du culte son gagne-pain.C’est la révolution faite par tous ce qui produit, travaille, échange, contre tout ce qui vit d’exploitation et de dîme sous les mille formes que lui donne la centralisation et le budget de l’État.
Cette Révolution doit décider les destinées non seulement de Paris, mais de la France entière.
Si, par malheur, elle était vaincue, notre pays, tombant de désastres en gâchis, de honte en mépris, de corruption en dissolution, descendrait au-dessous de l’Espagne, au-dessous de la Turquie, au-dessous de l’Inde ou de l’Égypte, ayant aussi ses bonzes, ses jannissaires, ses fellahs et ses parias.
Si elle triomphe c’est un avenir de liberté glorieuse, de paix laborieuse, d’ordre, de prospérité, de création industrielle, d’efflorescence artistique, de bien-être et de dignité qui commence pour nous. C’est une France Nouvelle qui nait de la victoire de Paris, comme avait surgit la vieille France du combat de Bouvines, portant haut comme elle l’oriflamme rouge, non plus parsemé de fleurs de lys, mais constellé d’étoiles d’or.
[…]
Pour chacun de nous, citoyens, pour Paris, pour la France, la défaite serait la ruine et la mort. Nous n’avons plus de Salut que dans la victoire.Il faut donc vaincre. Nous vaincrons. »
Notes
[1] Minet, Rouiller, Paget Lupicin, Serailler, Loret, Goullé, Moullé, Lévy.
[2] Transmis par Jacques Rougerie.
[3] Informations du Maitron.