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Les mouvements de protestation dans le monde agricole sont réguliers dans l’histoire sociale, et malgré une relative invisibilité du monde paysan en dehors de ces moments de mobilisation, leurs luttes sont largement médiatisées – sans doute du fait de leur caractère spectaculaire – et trouvent l’oreille des gouvernants, même si ces derniers ne répondent pas aux revendications des petits et moyens agriculteurs. Dans ce dossier, nous présentons une sélection d’articles consacrés aux mobilisations paysannes et à la façon dont l’agriculture est façonnée par un agro-capitalisme de plus en plus destructeur.

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Alors que le monde paysan est menacé d’une extinction lente du fait de l’agro-business, ses représentants majoritaires, tenants de ce même agro-business, dictent les politiques à leur ministre de tutelle. Mais les mouvements paysans ne peuvent se réduire à une instrumentalisation par la FNSEA du sentiment de colère qui traverse le milieu agricole. Les mouvements de 2023-2024 révèlent plusieurs motifs de cette colère paysanne.

Jacques Pasquier, paysan retraité, décrit les racines du mouvement, avant le début des blocages. Pris entre le marteau du productivisme et l’enclume de la compétition mondiale, les paysans ont porté des revendications portant sur le revenu, les normes administratives et environnementales, face à quoi la FNSEA et le gouvernement ont pu imposer un agenda anti-écologiste. Mais comme l’explique Laurence Lyonnais, éleveuse dans le Doubs, ce mouvement a aussi soulevé d’autres problèmes qui ne sont pas résolus par les décisions gouvernementales récentes, et qui peuvent expliquer le soutien populaire dont a bénéficié le mouvement.

L’opposition entre le social et l’environnemental ne peut tenir lieu d’orientation en matière de politique agricole ni satisfaire les demandes d’augmentation des revenus agricoles. Il s’agit donc comme y invite Claire Lejeune de penser dimensions sociale et environnementale de manière harmonieuse à en rompant avec le modèle agricole capitaliste dominant – qui est précisément celui de la Macronie décrypté par Tangui Martin.

Ce modèle vise à une transformation en profondeur des pratiques agricoles et du travail des paysan·nes  sous l’égide d’un capitalisme techno-agricole, au service des firmes et start-up en pointe dans le secteur des nouvelles technologies, que décrit Florent Jourde. Mais une telle rupture ne sera possible que si les équilibres syndicaux sont bouleversés ; or, si la FNSEA a semblé être bousculée par la mobilisation, elle a su, avec le soutien du gouvernement, reprendre la main, et demeure un acteur essentiel dans le monde agricole, comme l’explique Alexandre Hobeika.

L’autre dimension importante des mobilisations récentes, est leur caractère européen. L’Union européenne et la politique agricole sont souvent désignées comme des responsables de la situation actuelle. Elles ont été en effet des acteurs importants dans l’imposition d’un modèle agricole contraire aux intérêts des petit.es paysan.nes.

On retrouve de semblables dynamiques dans les pays du Sud, où la petite paysannerie est écrasée par l’agrobusiness, suscitant d’importantes révoltes, comme par exemple récemment en Inde où un projet de lois agricoles en 2020 devait remettre en cause le système de prix minimum garantis, comme l’explique Pritam Singh. La révolte pendant plus d’un an, déclenchée par ces politiques agricoles, a conduit à une victoire historique des paysan.es indien.es, sur laquelle revient le journaliste et militant P. Sainath.

L’Amérique Latine est l’autre continue où l’agro-industrie règne en maitre et où les mouvements paysans sont aussi très importants, à l’image du mouvement des sans terre brésilien, pays où les mobilisations des femmes rurales ont connu une dynamique très importante que décrit la sociologue féministe Héloïse Prévost dans son analyse de la Marche des Margaridas au Brésil, une lutte de résistance à l’agrocapitalisme et au patriarcat.

Si toutes ces mobilisations ont comme des airs de famille, qu’elles s’attaquent aux mêmes adversaires, qu’elles posent la question à la fois des revenus des paysans et des alternatives agro-écologiques, c’est qu’elles sont reliées par une mondialisation de l’agriculture qui a imposé un modèle productiviste, destructeur de la paysannerie et porteur de grands dangers en matière sanitaire et environnementale. La multiplication des pandémies est une illustration des risques que fait courir aux populations un tel modèle.

Les cas de la grippe porcine et de la grippe aviaire sont des exemples particulièrement frappants des problèmes posés par les élevages intensifs, comment le montrent Mike Davis et Roxanne Mitralias. Et si cela a moins été souligné lors de la crise du Covid, la transformation des espaces naturels et la modification structurelle des contacts entre sociétés humaines et espèces animales du fait des pratiques agro-industrielles a largement contribué à l’extension de la pandémie. À cela s’ajoute la responsabilité majeure et grandissante du système agro-industriel dans les dérèglements climatiques. François Chesnais insiste en particulier sur les effets des monocultures et de l’élevage intensif dans cette situation.

Plus le système agro-capitaliste étend son emprise, plus les crises se multiplient. Les crises du monde agricole sont aussi des crises alimentaires du capitalisme. Chacune de ces deux dimensions, la production et la consommation, l’agriculture et l’alimentation, doivent donner lieu à des alternatives. C’est ce à quoi s’essaye Tanguy Martin, un des promoteurs de la sécurité sociale de l’alimentation, qui envisage une défense des communs pour sortir du « brigandage » alimentaire capitaliste.

Les alternatives existent bien, elles sont nombreuses, elles procèdent le plus souvent de théories critiques du capitalisme, produites au sein des mondes paysans, notamment autour des principes d’agriculture paysanne et de souveraineté alimentaire portées par la Confédération Paysanne et la Via Campesina, ou encore de l’idée d’une « Sécurité sociale de l’alimentation ».

Elles s’appuient également sur des études agraires critiques, notamment marxistes, comme celles d’Henry Bernstein qui a formé des générations de sociologues « ruralistes » marxistes, souvent impliqué·e·s dans les mouvements paysans de leur pays d’origine, en Inde et en Asie en particulier, et que présente Edouard Morena.

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Colère agricole : le « joker » vert au service du statu quo, par Claire Lejeune

Crise du milieu agricole : rien n’est réglé !, par Laurence Lyonnais

Comment expliquer la domination de la FNSEA parmi les agriculteurs·rices ?, par Alexandre Hobeika

Mobilisations agricoles : pris entre le marteau et l’enclume, les paysan·nes se rebiffent, par Jacques Pasquier

Pour une Sécurité sociale de l’alimentation – partie 1 [Podcast], avec Laura Petersell, Kévin Certenais et Ludivine Bantigny

Le modèle agricole de la Macronie, ou le triomphe annoncé de l’agribusiness, par Tanguy Martin

Grippe aviaire : l’industrialisation des élevages, générateur d’épidémies, par Roxanne Mitralias

Résister à l’agrocapitalisme au Brésil et construire un féminisme du bien-vivre, par Héloise Prévost

Victoire historique des paysan·nes indien·nes, par P. Sainath

Aux sources de la révolte paysanne en Inde : capitalisme de l’agrobusiness et centralisation, par Pritam Singh

Une question agraire pour le XXIème siècle ? Henry Bernstein et les « études agraires critiques », par Edouard Morena

L’agriculture numérique sauvera-t-elle le monde ?, par Florent Jourde

Cultures et élevage en monoculture : impasses productives et impacts climatiques majeurs, par François Chesnais

Sortir de l’indigestion capitaliste, par Tanguy Martin

Agriculture, paysannerie et pandémie, Entretien avec Roxanne Mitralias

Le capitalisme et la grippe porcine, par Mike Davis

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