La France contemporaine est indéniablement marquée par un glissement autoritaire. Cette dynamique offre à la police un rôle politique de plus en plus important. Dans cette conjoncture, connaître l’institution policière est une étape indispensable à la critique de l’ordre établi et, par extension, à la formulation des politiques émancipatrices. Nous proposons ainsi à nos lecteurs·rices une compilation de nos principaux articles sur ces questions.
***
À travers le meurtre de Nahel, la police s’est à nouveau imposée dans le débat politique – seulement quelques semaines après la répression brutale des travailleurs·ses s’opposant à la contre-réforme des retraites et des écologistes luttant pour une répartition juste des ressources naturelles à Sainte-Soline et ailleurs. Toute cette séquence appelle à comprendre comment l’institution policière produit des agents hostiles à l’immense majorité de la population.
Un trait central de la police est son racisme structurel, que des travaux scientifiques mettent en évidence depuis plus de 30 ans. La police incarne ainsi la réalité d’un racisme d’État. C’est dans cette optique qu’il convient d’interroger des unités spécifiques, notamment la BAC dont la raison d’être constitue le quadrillage sécuritaire des quartiers populaires. Au fil des années on dénombre des centaines de crimes dont les institutions dissimulent le caractère racial.
En parallèle, l’État réprime les mobilisations de ces mêmes quartiers et tente ainsi de faire barrage à la formation d’un antiracisme politique et autonome – sans pleinement parvenir à ses fins, comme le montre l’activité des comités vérité et justice. Si la population non-blanche est particulièrement exposée aux violences policières, ces dernières années se caractérisent plus largement par une brutalisation du maintien de l’ordre, notamment au moyen d’armes prétendument « non-létales », qui touche aussi de plus en plus les mouvements ouvrier et écologiste, sans oublier les Gilets jaunes.
La police ne se caractérise pas seulement par des pratiques violentes et discriminatoires à l’encontre d’une partie grandissante de la population. Le glissement autoritaire actuel s’accompagne aussi par une présence policière accrue sur les plateaux de télé, une police qui participe pleinement à la bataille des idées, du côté de la bourgeoisie, légitimant l’imposition de lois toujours plus liberticides à l’image de la loi dite « sécurité globale ».
Dans ce cadre, la justification des violences policières à travers l’idée de violence légitime faussement attribuée à Max Weber est particulièrement révélatrice en ce qu’elle incarne une logique de guerre entretenue par l’État, contre sa population. Ce glissement autoritaire est d’autant plus inquiétant qu’il indique de plus en plus clairement les affinités entre groupes d’extrême droite et la police. Le processus actuel de fascisation a pour principal terrain les appareils répressif d’État, mais il inclut également la montée d’une « société de vigilance », l’État cherchant à s’appuyer sur les citoyen·nes pour surveiller et dénoncer.
Toutefois, il serait erroné de concevoir la police contemporaine comme une institution simplement pervertie par des décennies de néolibéralisme. La bonne vielle police n’existe pas. Son histoire est celle de déviances policières routinisées et impunies, d’interventions violentes contre le mouvement ouvrier et de pratiques coloniales sanglantes importées en métropole, à l’instar du 17 octobre 1961 ou du 14 juillet 1953. Faire l’histoire de la police permet de comprendre à quel point les interventions extérieures rétro-agissent sur la société française, qui reste encore aujourd’hui traversée par l’héritage colonial et le présent néo-colonial (dans ce qu’on appelle les « Outre-mer » mais aussi dans l’ancien pré carré colonial français en Afrique).
L’attention à ce qui se joue du côté de la police invite également à rouvrir la question carcérale. La prison accomplit à l’évidence une fonction cruciale dans l’économie générale de la répression d’État, ce qui suppose de l’intégrer dans nos stratégies anti-répression et plus largement dans les politiques d’émancipation, y compris d’un point de vue programmatique.
Puisque l’État refuse de produire des données sur les violences et les actes racistes commis par ses représentants armés, la documentation réalisée par la société civile joue un rôle essentiel. Si aujourd’hui nombreux sont les collectifs, chercheurs et simples citoyens qui un jour filment une intervention policière ou produisent d’autres données, il convient de rendre hommage au précurseur, l’infatigable Maurice Rajsfus.
Tout comme les violences et discriminations policières ne sont pas un phénomène récent, elles ne sont pas non plus un phénomène exclusivement français. Aux États-Unis, les mobilisations autour de Black Lives Matter incarnent une résistance organisée contre la police, le système judiciaire et les structures d’État, tout en renouvelant les stratégies vis-à-vis du mouvement syndical et féministe. Établir des liens plus serrés entre le mouvement ouvrier et le mouvement antiraciste y a notamment mis à l’ordre du jour l’exclusion des syndicats de police des syndicats de travailleurs.
Les textes que nous rassemblons ici reviennent sur ces différentes questions, et constituent autant de portes d’entrée pour comprendre l’institution policière et penser son dépassement.
***
*
Illustration : Photothèque Rouge /JMB.