La Commune au jour le jour. Lundi 24 avril 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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L’essentiel de la journée
Situation militaire
À l’ouest
Une suspension d’armes de quelques heures, de 9 heures à 17 . a été convenue pour demain, mardi 25 avril, afin de permettre à la population de Neuilly de déménager dans Paris. Une commission de cinq membres de la Commune, les citoyens Oudet, Bergeret, Johannard, Fortuné (Henri) et Eudes,sera en lien avec les délégués de la Ligue qui seront aux avant-postes pour assurer l’exécution de cet accord,pour « présider à la rentrée des habitants de Neuilly, et prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder tous les intérêts de la défense de Paris ». Il est demandé aux propriétaires de voiture qui le voudront de se mettre à disposition au palais de l’Industrie pour recevoir les instructions.
Ce matin, la canonnade était relativement faible ; un grand nombre de curieux, s’imaginant que la suspension d’armes avait commencé, se sont rendus sur la place de l’Étoile et dans l’avenue de la Grande Armée pour assister à l’entrée en ville des habitants de Neuilly. Mais les hostilités continuent, un obus est tombé sur la batterie même de la porte de l’ Arc de Triomphe, un autre a éclaté dans l’avenue tout près d’un groupe. Les curieux ont pris la fuite, la canonnade a diminué pour se terminer à 4h.
Extrait du Petit Journal – La chapelle de Longchamp
Au moment où nous pénétrons en ce triste sanctuaire, nous éprouvons un serrement de cœur à la vue de ses nombreux morts. On en enlève, on en rapporte.
Nous remarquons tout d’abord les physionomies des malheureux étendus sur 2 rangs des 2 côtés de la Chapelle. La plupart n’ont pas les yeux fermés. Dans les courts instants qu’ont les ambulanciers pour relever les corps sous la mitraille, il n’y a pas une minute pour accomplir ce pieux devoir de clore les paupières aux morts.
Les cadavres sont mêlés, l’uniforme côtoie la blouse et le paletot. Un vieux paysan, à bourgeron et à côte bleue est étendu à côté d’un lieutenant d’artillerie. Un vieillard de 64 ans a pris place côte à côte avec son fils, jeune homme de 35 ans. On nous montre le corps d’un sergent de la garde nationale, dont le fils sert, en qualité de lieutenant, à Versailles.
Les visages sont calmes. Ces hommes-là ont été tués sur le coup, ils n’avaient pas peur. Un marin a encore le bras levé en geste de défi. Un enfant de 17 à 18 ans, à la physionomie effarée, a la poitrine recouverte d’un numéro du Cri du Peuple…
Pendant notre visite un photographe reproduit les traits des victimes non reconnues.
Les valeurs, les bijoux et l’argent monnayé sont déposés au bureau des entrées.
Les autres objets, y compris même les journaux, sont étalés religieusement sur chaque corps pour faciliter des reconnaissances.
Au sud
Nuit calme.
Alix Payen, 28 ans, ambulancière.
24 avril 71
Je suis toujours sans lettre de toi. Je ne puis demander encore une permission mais je pense que nous ne tarderons pas à rentrer à Paris pour quelques jours
[….]
A notre départ d’Issy, on nous avait lu un ordre portant que dorénavant les postes avancés seraient relevés toutes les 24 heures, malgré cela nous sommes restés 3 jours dans ce cloaque, sans compter les jours précédents où nous étions aussi aux tranchées avancées, peut-être y serions nous encore sans les démarches du capitaine; la pluie avait effondré les gourbis, les hommes creusaient de nouveau, de sorte que les tranchées ne tarderont pas à être percées à jour, le mécontentement était à son comble, plusieurs officiers avaient disparu, pas d’escarmouches pour distraire un peu. Un gamin de 18 ans, ancien franc-tireur, plus monter que les autres, s’écrit de. Si on nous laisse éternellement ici, il faut au moins que ce soit pour faire quelque chose! Et il part comme un trait hors des tranchées pour tirailler, les coups de feu ne se font pas attendre, deux autres des nôtres vont soutenir ce mauvais gamin, et les voilà tout 3 courant, se couchant dans la boue et attirant une grêle de balle; enfin ils ont fini par rentrer sains et saufs. Le soir arrivé et on ne nous relevai toujours pas. Les hommes alors déclarèrent qu’ils ne resteraient pas cette nuit aux tranchées, songe qu’avec le cimetière d’Issy, cela faisait la neuvième nuit dehors sans campement avec une pluie continuelle. Le capitaine part pour le fort et revient avec la promesse formelle que vers 4h nous serons tous remplacés. Mais rien, à 10h du soir le capitaine furieux déclare aux hommes que nous partirons quand même, nous avions trouvé la tranchée inoccupée et nous la laissons de même. Depuis 4h les sacs étaient faits aussi n’avions nous plus même l’abri insuffisant des gourbis qu’il avait fallu dépouiller des courroies et couvertures qui s’y trouvaient. Nous voilà donc partis à la nuit noire à part une pluie battante dans la boue jusqu’au genou et dans le profond silence …
Depuis que je suis ici je n’ai pas eu de blessure grave à soigner mais on s’adresse à moi pour 1000 petites choses et je suis même devenu écrivain public.
… Nous sommes prévenus que nous devons partir cette nuit probablement pour Clamart. J’ai grand peur que beaucoup s’y refusent. Ce ne sont pourtant pas des poltrons, mais la fatigue est extrême, le bataillon était caserné et au Prince-Eugène il y a 23 jours et on n’a pas accordé une seule permission depuis ce temps-là. Aussi personne n’a pu changer de linge, tu t’imagines leur saleté. Ce qu’il y a de plus triste c’est lorsque l’on ramènera ces hommes-là à Paris, ils ne voudront plus repartir, tandis que si l’on avait soin de ne pas les éreinter tout d’un coup, ils ne demanderaient pas mieux que de continuer le service, puis je remarque qu’ils ont beau bougonner, protester, ils ne sont pas moins disposés à marcher si c’est nécessaire. …
L’ambulance ne garde pas les blessés, on les emmène vite à Paris après le premier pansement fait, il ne reste que quelques hommes fatigués ou très légèrement blessés. Du reste, il faut avoir peu d’imagination pour mettre une ambulance dans le même bâtiment qu’une caserne ou le bruit est insupportable. Les lits sont mauvais et le manque de médicaments, il y a tout ce qu’il faut comme chirurgie, mais point d’autres remèdes, ainsi un homme de chez nous est dévoré de fièvre et depuis 4 jours le major n’a plus avoir encore de quinine. […]
Un bruit s’étant répandu de l’évacuation imminente des forts du nord et de l’est par l’armée allemande, et de leur cession possible aux troupes de Versailles, le commandant du château de Vincennes a fait armer de canons la forteresse. Un envoyé par le commandant en chef allemand s’est présenté hier à la porte de Charenton pour demander à la Commune la stricte observation de la convention du 28 janvier. Le délégué à la guerre a fait immédiatement droit à cette réclamation, en faisant désarmer les bastions de Vincennes.
Vingt batteries d’artillerie de marche sont instaurées, formées de tous les artilleurs des différentes batteries qui sont compris entre 19 et 40 ans. Elles éliront leurs officiers.
Le gouvernement de Versailles adresse une circulaire à toutes les autorités civiles et militaires, qui se termine par cette annonce : « Les opérations actives vont commencer. »
Réquisition des logements
Le citoyen Malon demande l’adoption d’un décret d’urgence autorisant les maires à réquisitionner les logements inhabités, pour les mettre à la disposition des nécessiteux. Il concerne tous les logements vacants et permettront de loger les habitant-es des quartiers bombardés. Ce sont les municipalités qui sont chargées de son application, car il faut connaître le quartier, pour éviter tant que possible la dissimulation de la vacance, notamment dans les beaux quartiers. Comment arriver à les faire occuper par les familles ouvrières qui croupissent dans des taudis ?
La Commune de Paris.
Considérant qu’il est de son devoir de fournir le logement aux victimes du second bombardement de Paris et considérant qu’il y a urgence,
DÉCRÈTE :
Art. 1er. Réquisition est faite de tous les appartements vacants.
Art. 2. Les logements seront mis à la disposition des habitants des quartiers bombardés, au fur et à mesure des demandes.
Art. 3. La prise en possession devra être précédée d’un état des lieux, dont copie sera délivrée aux représentants des possesseurs en fuite.
Il sera également apposé les scellés sur tous les meubles contenant des objets portatifs
Art. 4. Les municipalités sont chargées de l’exécution immédiate du présent décret. Elles devront, en outre, dans la mesure du possible, faciliter les moyens de déménagement aux citoyens qui en feront la demande.
L’ambassadeur américain, Elihu Washburne, a pris contact avec le délégué aux affaires étrangères pour protéger les ressortissants américains de l’application de ce décret.
La Commune veut contrôler la cour martiale
Les arrêtés rendus par la Cour martiale, sous la présidence du citoyen Rossel, sont très vivement critiqués, comme trop rigoureux, par certains membres de la Commune.
Il y avait eu la condamnation à mort du citoyen Girot le 18 avril, commuée le lendemain par la Commune en emprisonnement, compte tenu des antécédents démocratiques du condamné.
Il y a maintenant les décisions de la Cour martiale du 22 avril. Si peu de voix s’élèvent contre la condamnation de deux canonniers coupables de vol à 5 ans d’emprisonnement, les élus du VIIème s’insurgent contre la décision de dissoudre le 105° bataillon, et de verser l’ensemble des hommes, y compris les officiers comme simples gardes dans les autres bataillons, de condamner à 3 ans de prison un garde qui avait « outragé » son supérieur, à cinq ans de réclusion un sous-lieutenant et aux travaux forcés à perpétuité deux capitaines.
Ce bataillon qui avait pris possession du télégraphe à la mairie du VIIème arrondissement lors du 18 mars,s’il a été modifié par l’incorporation de beaucoup de jeunes qui ont minoré le poids des anciens gardes, est le bataillon le plus républicain de l’arrondissement. Le 13 avril, le bataillon a refuse de marcher, disant manquer de vivres et de cartouches, a fait prisonnier son chef. Celui-ci avait décidé de ne pas saisir les coupables, préférant « les voir laver leur tache devant l’ennemi», ce qui s’est produit les jours suivants.
La Commune décide de mettre en place une commission de cinq membres chargée de réviser tous les jugements prononcés par la Cour martiale, et pouvant statuer immédiatement.
La Commune de Paris,
DÉCRÈTE :
Une commission de révision, composée de cinq membres, est nommée pour statuer immédiatement sur les jugements prononcés par la cour martiale.
Les citoyens V. Clément, Dereure, Longuet, Léo Meillet et Jules Vallès sont désignés pour en faire partie.
La Cour martiale n’a pu tenir aujourd’hui, 24 avril, son audience habituelle. Est arrivée au dernier moment une dépêche du citoyen colonel Rossel, annonçant qu’il donnait sa démission de président de la Cour.
Application stricte du décret pris hier sur les officiers ministériels
Pour clarifier le décret adopté hier, celui d’aujourd’hui précise que tous les juges de paix, greffiers de justice de paix, les juges, greffiers et commis-greffiers du tribunal de commerce, les notaires, huissiers commissaires-priseurs, les juges et greffiers des tribunaux civils actuels sont concernés par ce texte, qui s’applique à eux aussi, pas seulement à ceux qui seront désignés à partir de maintenant, quils doivent explicitement accepter cette décisions sous peine d’être considérés comme démissionnaires.
Le membre de la Commune, délégué à la justice,
ARRÊTE :
Art. 1er. Les juges de paix, greffiers de justice de paix, les juges, greffiers et commis-greffiers du tribunal de commerce, les notaires, huissiers commissaires-priseurs, les juges et greffiers des tribunaux civils qui n’auront pas fait dans les vingt-quatre heures de la publication du présent arrêté, la déclaration qu’ils continuent leurs fonctions et appliquent les dispositions légales introduites dans la législation par la Révolution du 18 mars, seront considérés comme démissionnaires, et il sera pourvu à leur remplacement dans le plus bref délai.
Art. 2. Les déclarations mentionnées en l’article 1er du présent arrêté, devront être faites à la délégation de la justice, place Vendôme, 13.
Paris, le 24 avril 1871.
Le membre de la Commune délégué à la justice.
Eugène PROTOT.
Démission du délégué à la sûreté générale et débat sur la question du secret des prisonniers
Les désaccords sur les pratiques de la préfecture de police, appelée par son délégué ex-préfecture de police, s’amplifient. Le 14 avril, pour « empêcher tout acte arbitraire ou attentatoire à la liberté individuelle », la Commune avait imposé l’obligation d’être informée des arrestations et que les perquisitions et arrestations soient faites uniquement par les autorités compétentes. Hier elle a mis en place une commission de trois membres pour visiter les prisons, faire des enquêtes sur l’état des détenus et s’informer de la cause de leur détention. Le citoyen Rigault demande que la Commune revienne sur ce vote, au moins en ce qui concerne les individus emprisonnés au secret, ne voyant personne, sinon il menace de donner sa démission.
La Commune doit-elle accepter que des prisonniers puissent être mis au secret ? Est ce que la visite de trois membres de la Commune dans les cellules où les prisonniers sont au secret pour leur demander depuis combien de temps ils sont arrêtés, s’ils ont été interrogés dans le délai légal compromet la sûreté publique et l’instruction d’une affaire ?
Le maintien du secret tant décrié par tous ces hommes durant l’Empire pose question. Pour certains le secret reste immoral, une torture morale substituée à la torture physique, odieuse et immorale qui doit être supprimé. Pour d’autres, dans la situation de guerre, il n’est pas possible qu’une instruction puisse se faire sans le secret.
Sans formellement trancher sur le secret, la commission de contrôle est maintenue par 24 voix contre 17.
Le citoyen RAOUL Rigault donne donc sa démission de délégué à la sûreté générale, il est remplacé par le citoyen Cournet, et les citoyens Rigault et Ferré sont nommés membres de la commission de sûreté.
Elie Reclus, 44 ans, journaliste
Nous jouissons depuis ce matin d’un nouveau préfet de police, au moins en apparence, car tout porte à croire que l’illustre Raoul Rigaud, qui est maintenant avec son collègue Ferré dans le comité de sûreté générale, continuera d’être le chef réel de la police, à côté et sous le nom du citoyen Cournet, un bon jovial garçon du Réveil qui, poursuivi plusieurs fois pour délit de presse, ne semblait pas devoir être jamais appelé à la triste fonction de mettre lui-même les gens en prison.
La séance, qui paraît avoir été orageuse, est extrêmement intéressante, Elle se répète chaque fois que les libéraux montent au gouvernement. Elle se répète chaque fois que les révolutionnaires prendront le pouvoir à un moment de troubles et de guerre civile. Dès qu’ils sont arrivés les nouveaux venus pensent : « il est plus commode de faire comme les autres !»
Télégraphes
Le directeur général des lignes télégraphiques nommé le 29 mars Alfred PAUVERT était un ancien salarié de l’administration du télégraphe licencié pour motif disciplinaire. Depuis son installation, il a réussi à faire repartir l’activité, malgré la fuite de la plupart des cadres et personnels qualifiés. Une école de télégraphie pour remédier insuffisance de personnel a été crée dès le 3 avril et le 15 avril il pouvait annoncer la réouverture de quinze bureaux de télégraphie privée. Aujourd’hui ils sont complétés par 19 autres bureaux en ville et 9 dans les forts et sur les champs de bataille.
Suppression des bons de pain
Face aux réclamations qui ont été portées, les élus de la Commune ont décidé qu’à partir du 1er mai prochain, les bons de pain seront supprimés, et seront remplacés par des cartes personnelles; cartes qui ne seront soumises qu’à un contrôle hebdomadaire, et qui supprimeront les queues journalières que sont obligés de faire les intéressés à la délivrance de secours.
Du côté des Clubs
Salle Valentino, 251 rue Saint Honoré
La célèbre salle de bal est aussi un lieu de réunion pouvant accueillir jusqu’à 1200 personnes, s’y sont exprimés au cours des années toute sorte d’orateurs, comme Bakounine, Cabet, Louis Blanc, et aussi le premier banquet des femmes socialistes en décembre 1848. Il a été le siège du modéré Club de la Délivrance. Elle est régulièrement utilisée tout au long de la Commune pour diverses réunions.
Louise Milliet à Félix Milliet
Lundi 24 avril
Cher père
[…] Monsieur Delbrouck et un autre monsieur avec un laissez-passer de la Commune se sont rendus à Versailles pour tâcher de faire entendre raison à ces imbéciles de ruraux, mais avec des crétins pareils il n’y a pas de conciliation possible ; des gendarmes les ont arrêtés, si on avait trouvé ce laisser passez de la Commune, ils auraient été fusillés sur-le-champ, heureusement qu’il l’avaient mâché et jeté en boulettes, ils sont restés plus de 24 heures sans manger, on leur a fait faire je ne sais combien de lieues à pied conduits entre des gendarmes comme des malfaiteurs, ils étaient insultés tout le long du chemin, les Versaillais faisaient semblant de les prendre pour des espions et criaient : « Voyez, ont-ils l’air assez brigand, assez canaille ». Si ce n’est pas ignoble, quand nous racontions cela à ces pauvres blessés du Luxembourg ils étaient indignés, surtout le brave Lazergues, il en pleurait de rage.
Quand ils parlent de Monsieur Delbrouck et de Paul, c’est avec un enthousiasme et une vénération, tous donneraient leur vie pour eux. Enfin Monsieur Delbrouck, non sans peine, a pu accomplir sa mission et parler aux ruraux, mais je crois que cela aura fait autant d’effet que s’il avait parlé à une bûche. Si l’on pouvait donc fusiller toute cette assemblée ! Il paraît qu’ils vont demander des secours aux Prussiens, cela ne m’étonne pas, ils sont bien assez canailles pour cela. En tout cas ce n’est pas à nous à rien céder, nous romprons plutôt que de plier. Lorsque les païens voulaient forcer les chrétiens a adorer leur Dieu ils leur demandaient d’adresser une petite prière à Jupiter, c’était bien peu de chose et cependant ceux-ci préféraient la mort, ils avaient la fois, la conviction. Nous aussi nous avons la nôtre. Nous voulons la République, les royalistes de Versailles veulent nous l’escamoter, nous faire adorer leur fétiche, un roi, nous préférons la mort ; nous ne sommes plus dupes de leurs paroles hypocrites, et nous ne nous laisserons plus tromper, comme nous l’avons été par les hommes du 4 septembre. Quand l’on voit le courage de nos gardes nationaux, on déplore que faute de chefs capables on n’ai pas su tirer parti des immenses ressources que nous possédions, que de mal on aurait pu faire aux Prussiens !
…
De quel droit à l’Assemblée viendrait-elle se mêler des affaires de Paris, ce troupeau d’oies n’a rien fait si ce n’est du mal, la Commune, elle, a brûlé la guillotine, elle a fait des décrets, ayant toujours en vue l’amélioration physique et morale du peuple. Les ruraux fusillaient leurs prisonniers. La commune a arrêté des curés, le beau malheur ma foi ! Maintenant au moins à chaque prisonnier que les ruraux fusilleront, la Commune fusillera trois curés, c’est bien honnête car 3 calotins ne valent pas un garde national.
On a réquisitionné les curotins de Saint-Jacques. Brigitte et Madeleine en ont vu qui traversaient l’église, tout effarés, il s’étaient déguisés en hommes avec des moustaches postiche et des culottes (tu penses si elles se pouffaient de rire), ils gardaient leur gibus sur la tête pour cacher leur tonsure, avec ça ils avaient un cigare à la bouche et une dame au bras.
………..
Ta fille qui t’aime de tout son cœur Louise Millet
En bref
■ Dans la matinée une délégation de la garde nationale a hissé le drapeau rouge avec une certaine solennité au fronton du palais de la Bourse. Monsieur Johannard a prononcé à cette occasion un discours à la suite duquel la musique de la garde nationale a exécuté la Marseillaise. La même délégation c’est ensuite transportée à la Mairie du 2e arrondissement, où le drapeau communal a également été arboré pour la première fois. Un certain nombre de spectateurs ont salué cette solennité locale des cris de « Vive la république et Vive la commune ! »
■ Les visites des boutiques et des appartements occupés par les réfractaires continuent. Le désarmement se fait, avec des voitures à bras et jusqu’à un omnibus réquisitionnés qui sont remplis de fusils de sabre et d’objets d’équipement, escortés d’un groupe de gardes nationaux. Les opérations s’accomplissent sans résistance mais devant nombre de curieux.
■ Musées du Louvre. L’administration dément les insinuations, produites dans un journal et répétées par d’autres, d’après lesquelles des tableaux du Louvre seraient vendus à Londres. Elle ne peut pas savoir sous quelle appellation des tableaux sont présentés à la vente dans la ville de Londres ; ce qu’elle sait et affirme, c’est que les collections du Louvre sont intactes, qu’elles sont préservées des dangers de la guerre, respectées et protégées.
■ Montmartre est devenu un observatoire des combats, de la fumée qui se lève d’Asnières, de Neuilly et du Mont-Valérien. Il y a des cantines, des débits du vin, on y trouve des longues-vues.
Nouvelles du Havre
La municipalité, pour conserver les voix des ouvriers, a envoyé trois des ses membres en mission à Paris et Versailles « pour chercher par tous les moyens possibles à faciliter le rétablissements de la concorde ». Ils sont reçus aujourd’hui au Ministère de la guerre par quatre membres de la commission exécutive de la Commune, qui rappellent les termes du Manifeste du 19 avril.
Elisabeth Dmitrieva-Tomanivsky (plus connue sous le nom d’Elisabeth Dmitrieff) à Hermann Jung
Paris le 24 avril 1871
Cher monsieur
Il est impossible d’écrire par la poste, les communications sont interrompues, tout tombe entre les mains des Versaillais. Serailler qui vient d’être nommé à la Commune et qui va bien, a fait parvenir sept lettres à Saint-Denis, et pourtant il paraît, qu’elles n’ont pas été reçues à Londres. Je vous avais envoyé un télégramme de Calais et une lettre de Paris, mais depuis, malgré toutes mes recherches et informations, je n’ai plus découvrir quelqu’un qui se rendre à Londres. Comment se peut-il, que vous restiez là à ne rien faire, quand Paris va périr à cause de cela ? Il faut agiter à tout prix la province, qu’elle vienne à notre secours. La population parisienne se bat héroïquement (en partie), mais on ne comptait jamais être abandonné comme cela. Pourtant jusqu’à présent nous gardons toutes nos positions, Dombrowski se bat bien et Paris est réellement révolutionnaire. Les vivres ne manquent pas. Vous savez, je suis pessimiste et ne vois rien en beau, je m’attends donc à mourir un de ces jours sur une barricade. On s’attend à une attaque générale. Je crois, moi, que tout dépend de la chance.
Je suis très malade, j’ai une bronchite et la fièvre. Je travaille beaucoup, nous soulevons toutes les femmes de Paris. Je fais des réunions publiques, nous avons institué dans tous les arrondissements des comités de défense dans les mairies mêmes et en outre un comité central, le tout pour organiser l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Nous nous mettons en rapport avec le gouvernement, je crois que l’affaire marchera, mais que de temps perdu et quelle peine cela m’a donné ! Il faut que je parle tous les soirs, que j’écrive beaucoup et ma maladie s’empire. Si la commune triomphe, notre organisation de politique deviendra sociale, nous formerons des sections internationales. L’idée prend très bien, en général la propagande internationale que je fais pour démontrer comme quoi tous les pays ainsi que l’Allemagne sont tous à la veille de la révolution sociale, cette propagande-là est fort goûtée des femmes, nous avons jusqu’à 3-4000 femmes à ces réunions. Le malheur c’est que je suis malade et qu’il n’y a personne pour me remplacer. La commune marche bien, seulement au commencement on a fait beaucoup de fautes. Cluseret a été nommé il y a 15 ou 20 jours malgré toute notre propagande, mais Malon déjà s’arrache les cheveux de ne pas m’avoir écouté,. Un de ces jours, Cluseret sera arrêté.
On a pas fait à temps le manifeste paysan, je crois qu’il n’a pas été fait du tout, et cela encore malgré tout ce que ….. et moi avons pu dire. Le comité central n’avait pas rendu tout de suite ses pouvoir, il y a eu des histoires qui ont affaibli des partis. Mais depuis, tout s’organise plus fermement. Je crois que l’on fait ce qu’on peut. Je ne puis le dire trop, de crainte que les « beaux yeux » de Monsieur Thiers viennent inspecter ces lignes, car c’est encore une question si le porteur de ces lignes, rédacteur suisse de Bâle, qui m’a apporté des nouvelles de l’internationale parviendra sain et sauf à Londres. Je suis sans argent, si vous avez reçu le mien tâchez de me l’envoyer avec quelqu’un, mais non par la poste, cela n’arriverait pas. Comment allez-vous, je pense à vous tous quand j’en ai le temps, ce qui arrive rarement, du reste. Que fait Jenny ? Si la position de Paris n’était aussi critique qu’elle l’est j’aurais bien aimé que Jenny soit ici, il y a tant à faire.
Lise
PS : je vois peu Malon et Léo Frankel chacun de son côté nous sommes très occupés
En débat
L’Assemblée de la Commune de Paris est attentive aux atteintes aux libertés, comme en témoignent ses décisions concernant la délégation à la Sûreté générale et à la Cour Martiale. Arthur Arnould est particulièrement critique sur ces questions.
Ancien employé à l’Assistance Publique, il devient journaliste, et son opposition à l’Empire lui valut plusieurs condamnations. Intervenant régulier dans plusieurs clubs révolutionnaires, il a été élu à la Commune le 26 mars dans le IVèmme et le VIIIème arrondissement.
Tribune
[…] Le secret a été maintenu. Je proteste énergiquement. Le secret est quelque chose d’immoral. C’est la torture morale substituée à la torture physique. Eh bien, au nom de notre bonheur, il faut décider immédiatement qu’en aucun cas le secret ne sera maintenu. Même au point de vue de la sûreté, le moyen de communiquer existe toujours : nous avons tous été mis au secret sous l’Empire, et pourtant nous sommes parvenus, non seulement à communiquer avec le dehors, mais nous avons fait insérer des articles dans les journaux même.
Il y a là une question de moralité : je le répète, nous ne pouvons ni ne devons maintenir le secret non seulement le secret mais l’instruction doit être publique. J’insiste à ce sujet, et j’en fais l’objet d’une proposition formelle.
Je ne comprends pas des hommes qui ont passé toute leur vie à combattre les errements du despotisme, je ne comprends pas, dis-je, ces mêmes hommes, quand ils sont au pouvoir, s’empressant de tomber dans les mêmes fautes. De deux choses l’une : ou le secret est une chose indispensable et bonne, ou elle est odieuse. Si elle est bonne, il ne fallait pas la combattre, et si elle est odieuse et immorale, nous ne devons pas la maintenir. […]
Les arguments [pour maintenir le secret] sont absolument les mêmes que ceux qu’on présentait en faveur de la torture. Mais sans la torture nous ne pouvons, disaient les juges, jamais obtenir l’aveu du coupable ! On a aboli la torture et on a obtenu l’aveu des accusés….il faut des garanties : mais vous serez obligés de vous en rapporter au juge qui sera chargé de l’instruction, c’est toujours l’arbitraire. Il n’y a qu’une façon juste de résoudre les questions : c’est d’en revenir aux principes. Il y a quelque chose de bien fâcheux, c’est quand on a tenu un drapeau pendant toute sa vie de changer la couleur de ce drapeau en arrivant au pouvoir. Il en est toujours de même, dit-on dans le public. Eh bien ! nous républicains démocrates socialistes, nous ne devons pas nous servir des moyens dont se servaient les despotes.