La Commune au jour le jour. Samedi 25 mars 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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L’essentiel de la journée
Le Comité central emporte la décision, les maires capitulent
Le maire du IIe qui a fait entrer les mitraillettes dans la mairie a fait imprimer dans la nuit un appel aux armes, en pure perte, il ne se passe rien.
En effet la situation a changé. Les parisien-ne-s aspirent à la paix, l’ont crue conclue et ont dormi tranquille après l’accord de la veille. Le peuple ne veut pas que recommence la guerre, et ce sont les maires qui veulent recommencer le combat qui prennent la responsabilité d’un affrontement armé. Ils créent un mécontentement très fort, on ne comprend pas cette chicane sur la date. Un courant d’unité, de fraternité emporte la ville qui va balayer ces dernières tentatives.
L’idée des élections a fait son chemin dans tous les milieux. Y compris des journaux qui avaient signé la dénonciation de ces élections mardi 21 changent d’avis.
A tel point que Thiers leur conseille de cesser leurs efforts en les rassurant : « ne continuez pas une résistance inutile, je suis en train de réorganiser l’armée. J’espère qu’avant quinze jours ou trois semaines nous aurons une force suffisante pour délivrer Paris ». Il est vrai qu’il a réussi à récupérer la formation militaire qui était au Luxembourg, avec ses canons ; il tient maintenant solidement les abords de Versailles et avec la permission de Bismark, il vise à avoir 100 000 hommes solidement encadrés, gonflés de haine par une propagande habilement distillée. La résistance légaliste des maires lui a donné plusieurs jours de répit qu’il a su utiliser !
Les élections se tiendront dimanche 26
Le Comité publie au journal officiel ce matin le texte organisant les élections le dimanche qui est affiché partout. Il adopte également un texte rectifiant le nombre de conseillers à élire dans le XIXe arrondissement. En effet la population du XIXe avait été par erreur évaluée à 88 930 habitant-e-s, alors qu’elle est réellement de 113 000 habitants. En application de la règle fixant le nombre de conseillers à élire, un conseiller pour 20 00 habitant-e-s et par fraction de plus de 100 000, ce nombre sera de 6 pour le XIXe arrondissement. Le nombre total de conseillers à élire sera donc de 92.
Le Comité appelle les maires à s’unir à lui pour organiser les élections, pour confirmer que leur volonté était la conciliation, et pas l’obstruction.
COMITÉ CENTRAL
CITOYENS,
Entraînés par notre ardent désir de conciliation, heureux de réaliser cette fusion, but incessant de tous nos efforts, nous avons loyalement ouvert à ceux qui nous combattaient une main fraternelle. Mais la continuité de certaines manœuvres, et notamment le transfert nocturne de mitrailleuse à la mairie du IIe arrondissement obligent à maintenir notre résolution première.
Le vote aura lieu dimanche 26 mars.
Si nous nous sommes mépris sur la pensée de nos adversaires, nous les invitons à nous le témoigner en s’unissant à nous dans le vote commun de dimanche.
Hôtel-de-Ville, 25 mars 1871.
Les membres du Comité central
En outre, il publie une déclaration, un « appel à la raison et à la vérité » qui résume son action depuis le 18 mars. Il affirme que la révolution était un devoir sacré, pour l’établissement définitif de la république par le contrôle permanent de la commune, appuyé sur une seule force : la garde nationale élective dans tous les grades et la suppression de l’armée permanente.
CITOYENS,
La cause de nos divisions repose sur un malentendu. En adversaires loyaux, voulant le dissiper, nous exprimerons encore nos légitimes griefs.
Le gouvernement, suspect à la démocratie par sa composition même, avait néanmoins été accepté par nous, en nous réservant de veiller à ce qu’il ne trahît pas la République, après avoir trahi Paris.
Nous avons fait, sans coup férir, une révolution : c’était un devoir sacré ; en voici les preuves :
Que demandions-nous ?
Le maintien de la République comme gouvernement seul possible et indiscutable.
Le droit commun pour Paris, c’est-à-dire un conseil communal élu.
La suppression de l’armée permanente et le droit pour vous, garde nationale, d’être seule à assurer l’ordre dans Paris.
Le droit de nommer tous nos chefs.
Enfin, la réorganisation de la garde nationale sur des bases qui donneraient des garanties au peuple.
Comment le gouvernement a-t-il répondu à cette revendication légitime ?
Il a rétabli l’état de siège tombé en désuétude, et donne le commandement à Vinoy, qui s’est installé la menace à la bouche.
Il a porté la main sur la liberté de la presse en supprimant six journaux.
Il a nommé au commandement de la garde nationale un général impopulaire, qui avait mission de l’assujettir à une discipline de fer et de la réorganiser sur les vieilles bases anti-démocratiques.
Il nous a mis la gendarmerie à la préfecture dans la personne du général Valentin, ex-colonel de gendarmes.
L’Assemblée même n’a pas craint de souffleter Paris qui venait de prouver son héroïsme.
Nous gardions, jusqu’à notre réorganisation, des canons payés par nous et que nous avions soustraits aux Prussiens. On a tenté de s’en emparer par des entreprises nocturnes et les armes à la main.
On ne voulait rien accorder ; il fallait obtenir, et nous nous sommes levés pacifiquement, mais en masse.
On nous objecte aujourd’hui que l’Assemblée, saisie de peur, nous promet, pour un temps (non déterminé), l’élection communale et celle de nos chefs, et que dès lors, notre résistance au pouvoir n’a plus à se prolonger.
La raison est mauvaise. Nous avons été trompés trop de fois pour ne l’être pas encore ; la main gauche, tout au moins, reprendrait ce qu’aurait donné la droite, et le peuple, encore une fois évincé, serait une fois de plus la victime du mensonge et de la trahison.
Voyez, en effet, ce que le gouvernement fait déjà !
Il vient de jeter à la Chambre, par la voix de Jules Favre, le plus épouvantable appel à la guerre civile, à la destruction de Paris par la province, et déverse sur nous les calomnies les plus odieuses.
CITOYENS,
Notre cause est juste, notre cause est la vôtre ; joignez-vous donc à nous pour son triomphe. Ne prêtez pas l’oreille aux conseils de quelques hommes soldés qui cherchent à semer la division dans nos rangs ; et, enfin, si vos convictions sont autres, venez donc protester par des bulletins blancs, comme c’est le devoir de tout bon citoyen.
Déserter les urnes n’est pas prouver qu’on a raison : c’est, au contraire, user de subterfuge pour s’assimiler, comme voix d’abstentions, les défaillances des indifférents, des paresseux ou des citoyens sans foi politique.
Les hommes honnêtes répudient d’habitude de semblables compromissions.
Avant l’accomplissement de l’acte après lequel nous devons disparaître, nous avons voulu tenter cet appel à la raison et à la vérité.
Notre devoir est accompli.
Hôtel-de-Ville, 24 mars 1871.
Un adjoint, Gustave Lefrançais, démissionne de son mandat à la mairie du XXe arrondissement, reconnaissant le Comité comme seul représentant du pouvoir communal depuis la révolution du 18 mars. Il lui adresse sa lettre et la rend publique. Si cette démission ne change pratiquement que peu de choses, elle est importante au niveau symbolique : la révolution a modifié l’ordre établi lors des élections précédentes.
25 mars 1871.
CITOYENS,
Élu le 7 novembre dernier comme adjoint à la mairie du vingtième arrondissement, je n’ai pu prendre possession de mon poste jusqu’au 18 mars.
Depuis ce jour, et ne voulant point entraver par la moindre hésitation l’action qui venait de s’engager, par le fait même de ceux qui vous taxaient d’être un gouvernement anarchique, je me suis abstenu de me rendre à la mairie du vingtième arrondissement, ce qui me constitue par le fait à l’état de démissionnaire.
Aujourd’hui que la révolution du 18 mars est un fait accompli et reconnu, j’ai l’honneur de vous adresser, à vous citoyens, seuls représentants du pouvoir communal à cette heure, ma démission d’adjoint à la mairie du vingtième arrondissement, démission que je n’eusse jamais consentie, par respect pour les électeurs qui m’avaient honoré de leurs suffrages, à donner à M. Picard.
Salut et fraternité.
Gutave LEFRANÇAIS.
adjoint démissionnaire à la mairie du XXe arrondissement.
Les maires et députés capitulent et appellent aux élections
Lorsqu’un bruit venant de Versailles annonce la nomination du Duc d’Aumale[1] comme lieutenant général, les maires et des députés qui ont essayé ces jours derniers de trouver une conciliation avec Versailles basculent et acceptent de convoquer les électeurs avec le Comité central pour le dimanche 26, par une déclaration commune aussitôt affichée dans la ville et qui sera publié demain au JO.
La victoire est complète pour le Comité Central : on pourra voter dans les 20 arrondissements sans affrontement, avec tous les moyens de toutes les mairies.
Une proclamation est immédiatement affichée dans les rues de Paris annonçant la nouvelle :
Le comité central de la garde nationale, auquel se sont ralliés les députés de Paris, les maires et adjoints convaincus que le seul moyen d’éviter la guerre civile, l’effusion du sang à Paris, et, en même temps, d’affermir la République, est de procéder à des élections immédiates, convoquent pour demain dimanche tous les citoyens dans les collèges électoraux.
Les habitants de Paris comprendront que, dans les circonstances actuelles, le patriotisme les oblige à venir tous au vote, afin que les élections aient le caractère sérieux qui, seul, peut assurer la paix dans la cité.
Les bureaux seront ouverts à huit heures du matin et fermés à minuit.
Vive la République !
Les maires et adjoints de Paris
Journal officiel de la Commune de Paris du 20 mars au 24 mai 1871. (1871) 130
1er arrond. AD. ADAM, MÉLINE, adjoints. — 2e, ÉMILE BRELAY, LOISEAU-PINSON, adjoints. — 3e, BONVALET, maire, CH. MURAT, adjoint. — 4e, VAUTRAIN, maire ; DE CHATILLON, LOISEAU, adjoints. — 5e, JOURDAN, COLLIN, adjoints. — 6e A. LEROY, adjoint. — 9e, DESMARETS, maire ; E. FERRY, ANDRÉ, NAST, adjoints. — 10e, A. MURAT, adjoint. — 11e,
MOTTU, maire ; BLANCHON, POIRIER, TOLAIN, adjoints. — 12e, GRIVOT, maire ; DENIZOT, DUMAS, TURILLON, adjoints. — 13e, COMBES, LÉO MEILLET, adjoints. — 15e, JOBBÉ DUVAL, SEXTUS-MICHEL, adjoints. — 16e, CHAUDET, SEVESTRE, adjoints. — 17e, FR. FAVRE, maire ; MALON, VILLENEUVE, CACHEUX, adjoints. — 18e CLÉMENCEAU, maire ; J.-A. LAFONT, DEREURE, JACLARD, adjoints. — 19e, DEVEAUX, SATORY, adjoints.
Les représentants de la Seine présents à Paris,
LOCKROY, FLOQUET, TOLAIN, CLÉMENCEAU, SCHLŒLCHER, GREPPO.
Le Comité central de la garde nationale,
AVOINE FILS, ANT. ARNAUD, G. ARNOLD, ASSI, ANDIGNOUX, BOUIT, JULES
BERGERET, BABICK, BAROU, BILLIORAY, BLANCHET, L. BOURSIER, CASTIONI CHOUTEAU, C. DUPONT, FABRE, FERRÂT, HENRI FORTUNÉ, FLEURY, POUGERET, G. GAUDIER, GOUHIER, H. GÉRESME, GRELIER, GROLARD, JOURDE, JOSSELIN, LAVALETTE, LISBONNE, MALJOURNAL, ÉDOUARD MOREAU, MORTIER, PRUDHOMME, ROUSSEAU, RANVIER, VARLIN.
Les élus n’apprécient pas la formule « auquel se sont ralliés les députés de Paris, les maires et les adjoints », ils éditent une autre proclamation dans les mêmes termes auxquels ils ajoutent qu’ils ont été « réintégrés dans leurs arrondissements ». Cette péripétie de dernière minute ne change rien au fond : ces élus, qui ont cherché à obtenir une conciliation avec Versailles, ont fini par accepter la décision du Comité central, se rallient de fait à la révolution du 18 mars. Six députés signent cette déclaration, Clémenceau, Floquet, Lockroy, Greppo, Schoelcher et Tolain, c’est beaucoup et peu.
Il y avait 43 députés dans le département de la Seine[2] aux élections de février dernier. A ce jour, déjà sept élus parisiens ont démissionné de l’Assemblée nationale, Garibaldi (récusé parce qu’italien), Victor Hugo (refusant ce refus d’intégrer Garibaldi qui est venu en France combattre les prussiens), et Ledru Rollin, Rochefort, Félix Pyat, Malon et Ranc, au moment de la signature de la paix et de la session de l’Alsace Lorraine.
Si le reste des députés parisiens est très majoritairement républicain, il y a quelques royalistes et bonapartistes, et un certain nombre d’actifs Versaillais, comme Thiers, ou l’Amiral Saisset, sans compter ces républicains autour de Louis Blanc qui ne quittent plus Versailles, ceux qui chantaient la révolution sous l’empire et la fuient quand elle arrive. Pour les élus républicains restés à Paris, la majorité veut une issue pacifique, veut éviter le retour d’un nouveau juin 1848, par exemple le député d’extrême gauche Charles Delescluzes appelle à la réconciliation.
C’est la joie dans la capitale !
Témoignage
Elie Reclus, 44 ans, journaliste :
« Passant dans la rue Richelieu, j’entends des cris formidables de « « Vive la république ! ». Toutes les crosses étaient en l’air, on se serrait les mains, on s’embrassait ; déjà on se mettait en devoir de cacher et d’emmener les hideuses mitrailleuses. Des membres du Comité Central fraternisaient avec les maires et les adjoints de l’arrondissement, ils échangeaient leurs sabres, leurs ceintures, leurs écharpes. Les maires de Paris ont fait comprendreaux députés de Paris la nécessité d’en référer au peuple de Paris pour lettre fin à la situation anormale de Paris, laquelle situation anormale est la conséquence du coup d’état manigancé par le pouvoir légal. Demain, devant les urnes, nous ferons acte de concorde et de civisme. Comme au sortir d’un douloureuse maladie, nous renaissons à la joie, à la santé morale ; on est heureux de vivre et d’agir dans ce grand drame qui, dans ses vastes tourbillons, emporte nos frêles et mesquines influences.
La nuit, quelques cent mille âmes se pressaient sur le boulevard. Toutes les figures rayonnaient, tous les yeux souriaient, toutes les voix s’étaient faites douces et amicales. Tous nous nous aimions, tous nous étions heureux »
Texte d’appel au vote du Comité central
La campagne électorale est courte, animée, avec toutes les tendances, les conciliateurs, la garde nationale, les blanquistes, les républicains centralistes ou fédéralistes, les délégués du Comité central des 20 arrondissements, l’International et les membres des clubs.
Les membres du Comité Central peuvent descendre la tête haute les marches de l’Hôtel de ville. Il n’y a pas d’autres exemple de cette détermination de citoyens portés au pouvoir par une révolution de se remettre en cause immédiatement et d’appeler la population à désigner ses représentants.
Le Comité Central publie une adresse d’adieu admirable, qui exprime la volonté d’une démocratie qui part de la base, du peuple assemblé et mobilisé. Elle conseille les électeurs, les défiant des « ambitieux », des « parleurs », de ceux que « la fortune a trop favorisé » et les appelant à porter leur voix sur « ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ».
Parmi tant d’autres, un appel au vote paru dans Le cri du peuple, le journal de Jules Vallès
L’affiche suivante, qui nous est communiquée manuscrite, sera placardée demain sur les murs de Paris :
Appel au peuple de Paris
En face de la réaction qui proclame la déchéance de Paris, qui prépare l’anéantissement de la République, en ameutant contre elle l’invasion des campagnes après l’invasion prussienne, il ne faut pas que les républicains s’entr’égorgent.
Dans la confusion actuelle, inévitable résultat de nos immenses désastres, des dissentiments se sont élevés entre nous. Des incidents désagréables ont surgi entre les républicains qui suivent le Comité central de l’Hôtel de Ville et les républicains qui suivent la députation
et les mairies. On s’est mutuellement reproché d’être sorti de la légalité qu’il est pourtant impossible d’observer en pleine révolution.
Quel que soit le bien-fondé ou l’exagération des récriminations réciproques, nous ne voulons pas d’une lutte terrible et fatale, nous ne voulons pas que notre République se noie dans le sang des républicains.
Citoyens électeurs, en tant que gardes nationaux vous avez nommé le Comité central, en tant qu’habitants de Paris vous avez nommé vos députés et vos municipalités. Eh bien ! vos représentants et mandataires n’ont pas le droit de risquer dans les hasards d’une bataille des rues l’existence d’une République qu’ils compromettent déjà par leurs maladresses.
Peuple souverain, c’est à toi qu’il appartient de mettre fin à la lutte entre tes mandataires en les soumettant à une prompte réélection. C’est à toi de juger le différend et de faire tomber ton verdict du haut de l’urne électorale.
Notre salut est dans l’union et la concorde. Entre républicains, entre concitoyens et Français, ce n’est point aux fusils ni aux canons de se prononcer, mais au suffrage universel.
Citoyens, au scrutin.
Paris, 25 mars 1871
Élie Reclus, F.D. Leblanc, Élisée Reclus, Paul Reclus
Extraits du petit Journal Officiel paru ce soir
Des citoyens de Firminy nous prient d’insérer l’adresse suivante, couverte de plus de 800 signatures, qu’ils envoient au citoyen Garibaldi
AU CITOYEN GARIBALDI
Citoyen,
Les républicains démocrates de Firminy tiennent à remercier le noble champion de la cause républicaine et des peuples opprimés, l’adversaire du cléricalisme (cause de tous nos maux).
Puisqu’il s’est trouvé des Bazile qui ont eu l’impudence de calomnier le grand citoyen dont le cœur et les bras ont toujours été au service des causes justes.
Nous venons protester contre les accusations mensongères et les insultes qu’a eu à subir de la part des députés ruraux, le citoyen le plus désintéressé des temps modernes, le défenseur intrépide des opprimés contre les oppresseurs, le propagateur de la libre pensée et de la république universelle.
A vous, grand Citoyen, notre admiration et nos sincères remerciements !
(Suivent plus de 800 signatures)
Dans la rubrique CA ET LA, signée par Floriss Piraux :
O rus !
A Gondette, canton de Samer (Pas de Calais), le curé a invité ses paroissiens à prier pour la dynastie napoléonienne.
Il devait officier le service des morts. Et nous donc de répéter avec lui,
Requiescat in pace !!!!
Le grand Père Pie IX vient d’adresser à son très-humble, très-fidèle et très-pénitent employé le cardinal Patrizi, une lettre où il fait un magnifique éloge des jésuites.
Je me doutais déjà depuis longtemps que les loups ne se mangeaient pas entre eux.
A Marseille
Comme à Paris, la réaction cherche à isoler la commune. Les administrations, caisses publiques, services de la place, sont parties à Aubagne, leur petit Versailles. La Commission installée à l’Hôtel de ville depuis le 23 mars nourrit et loge avec les moyens du bord les soldats présents. Mais le conseil municipal qui n’avait à aucun moment pris ouvertement parti pour la Commune, prend alors ses distances et les maires du département refusent d’afficher les proclamations.
Les deux pouvoirs sont face à face, à distance.
A Saint Étienne
Le 18 mars avait enthousiasmé les ouvriers. Depuis hier, de grands rassemblements, garde nationale en tête, poussent le conseil municipal à se désister au profit d’une commission populaire provisoire, chargée d’organiser la libre élection d’une commune.
A l’arrivée des ouvriers de la manufacture d’armes vers 16h30, un coup de feu tue un ouvrier passementier, Lyonnet. En réaction, la foule et les gardes nationaux prennent l’Hôtel de ville. Lors d’une bagarre, le Préfet est tué.
Le conseil municipal a démissionné et une commission s’est mise en place ce soir qui appelle à des élections pour le 29 mars. Elle fixe pour tâche à la Commune « la conquête des franchises et de l’indépendance que nous avaient ravies les législations impériales et monarchiques ».
A Narbonne
Narbonne, terre de viticulture, est depuis longtemps une terre républicaine. Après l’instauration de la République le 4 septembre, huit compagnies de gardes Nationaux ont été créées, à la tête desquelles ont été placés des républicains sûrs, mais le préfet refuse de les armer. La nouvelle de l’insurrection à Paris, parvenue le 19 mars, a provoqué une mobilisation des républicains radicaux. Le 23 mars, le club de la Révolution a réuni 1600 personnes pour exiger la constitution d’une commune et le soutien à Paris.
Hier soir, plusieurs centaines gardes nationaux qui se sont armés ont occupé l’Hôtel-de-Ville en scandant « la Commune ! ». La « Commune centrale de l’arrondissement de Narbonne, avec union à celle de Paris » a été proclamée, le drapeau rouge a remplacé le drapeau tricolore.
Ce matin, les troupes envoyées pour reprendre le bâtiment ont fraternisé sous la pression des femmes et les enfants venus au son du tocsin, les officiers ont été faits prisonniers. Deux cent cinquante gardes nationaux se sont armés à l’Arsenal, et ils tiennent la mairie avec les soldats insurgés, puis investissent la Préfecture dans l’après-midi.
La Commune se finance par une avance « à rembourser » prise sur le trésor municipal et organise des réquisitions.
Nouvelles du Havre
Une dépêche télégraphique de Thiers informe de la situation dans toute la France :
« L’ordre se maintient dans la presque totalité de la France ; il se rétablit à Lyon ; il a été troublé à Marseille mais pas d’une manière inquiétante. A Paris, le parti de l’ordre contient celui du désordre et lui tient tête. Il y a un certain retour au calme dû à l’intervention des maires. A Versailles, l’armée, largement pourvue de tout ce qui est nécessaire, s’augmente considérablement. Une nombreuse cavalerie est arrivée hier. Tous les chefs rentrés de l’armée continuent d’accourir pour offrir leurs épées ».
Le Journal du Havre informe
Quatre représentants du Comité Central de la Garde Nationale, dont Lavalette, sont arrivés de Paris ce matin pour essayer de soulever la population havraise. Ils se sont introduits dans la principale usine qui occupe près de 800 ouvriers, mais cette tentative n’a aucun succès. Le journaliste se félicite des mesures prises par l’administration qui a provisoirement arrêté plusieurs meneurs parmi les salariés.
Le soir même arrivent pour se réfugier au Havre la baronne Rothschild et sa famille, le banquier Béchet-Thomas qui sont descendus à l’Hôtel de l’Europe, rue de Paris.
En débat : quel bilan de l’action du Comité Central de la Garde Nationale ?
Le comité central, composé d’inconnus des grands débats politiques, d’ouvriers, d’artisans, de petits bourgeois, d’individualités remarquables, qui étaient sous le même uniforme, dans les mêmes débats, depuis presque six mois, s’est trouvé à cette place, non par choix, au terme d’une démarche politique consciente, mais parce qu’il était la force incontournable, acceptée de tou-tes, parce que représentative. Spontanément dès le début de l’insurrection c’est vers lui que se sont tourné-es les parisien-nes.
Placés à la tête d’une révolution, ils ont essayé de résoudre les problèmes qui sont apparus d’une manière aussi légaliste que possible. Ils ont eu le mérite immense de faire vivre Paris en quelques jours et de montrer qu’une grande ville moderne peut s’autogouverner. Ils ont fait preuve d’une certaine habileté avec les maires des arrondissements parisiens, conciliants sur la forme, tout en restant déterminés sur l’objectif d’élections acceptées par tous, et ils ont gagné sur ce point.
Surtout ils ont fait preuve du profond respect envers le peuple parisien qui l’avait placé là. En remettant immédiatement en jeu le pouvoir qui leur était arrivé entre les mains, en refusant de devenir des dirigeants non élus, ils ont montré qu’on peut jouer un rôle central dans une révolution sans vouloir le pouvoir. De ce point de vue la conception de la représentation démocratique du peuple dans le texte du Comité central pour le vote à la Commune est remarquable, notamment lorsqu’il dit :
« cherchez des hommes de convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. — Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Nous sommes convaincus que, si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considéreront jamais comme vos maîtres ».
Pour autant, ces qualités ne doivent pas occulter les limites, le manque d’initiative révolutionnaire du comité central.
Le problème principal est qu’il a construit le rapport de force dans Paris, mais pour le reste a agi comme si Versailles n’existait pas, comme si ce qui se passait à Paris allait se passer partout en France naturellement, compte tenu du prestige de la capitale. Alors que toutes les déclarations et les actes du gouvernement Thiers montraient la détermination de la bourgeoisie à écraser l’insurrection parisienne, après tout ce qui s’était passé à l’Assemblée de Bordeaux.
Il y a eu la possibilité militaire d’aller jusqu’à Versailles, de prendre tous les forts de Paris. Il y avait le rapport de force politique qui aurait permis de s’emparer des institutions que Thiers n’avait pu faire partir, la Banque de France, la Bourse. Il y avait des possibilités qui auraient pu mettre Paris dans une meilleure position face au gouvernement Thiers. Il y avait, il y a encore le choix entre une capitulation de Paris sans combat et une guerre civile engagée dans de mauvaises conditions.
La Commune pourra-t-elle être le gouvernement d’une nouvelle république sociale, universelle, régénérée par application du principe fédératif ?
Notes
[1]Henri d’Orléans, Duc d’Aumale, est le fils de Louis Philippe. Exilé en Angleterre après la révolution de 1848, il a continué à jouer un rôle politique en France comme chef des orléanistes au travers de ses investissements dans la presse, dans le journal Le Temps notamment. Il a été élu à l’Assemblée le 8 février.
[2]Le département de la Seine est composé de la ville de Paris et de communes environnantes, jusqu’à la limite du département de Seine et Oise. Les deux départements de la Seine et de la Seine et Oise seront plus tard redécoupés en quatre départements.